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18 juin 2010 |

L'Appel du 18 juin

Blog crémieux
L’Appel du 18 juin 1940 fut un texte, un acte, et un événement fondateur de la Résistance française. L’histoire immédiate de la Seconde Guerre mondiale puis l’histoire longue de la France contemporaine lui donnèrent une importance considérable dont témoignent les innombrables commémorations qui se déroulent aujourd’hui des deux côtés de la Manche. Les instrumentalisations politiques vont aller bon train mais elles ne parviendront pas à entamer un fait historique que l’on peut analyser et dont la connaissance doit beaucoup, aujourd’hui, à l’historien et ancien combattant de la France Libre Jean-Louis Crémieux-Brilhac. Aspirant durant la campagne de France, il s’évada en septembre 1941 du Stalag allemand où il était interné, se réfugia en URSS puis parvint à Londres en septembre 1941. Engagé dans le Forces françaises libres (sous le pseudonyme de Brilhac), il devint secrétaire du comité exécutif de propagande et chef du service de diffusion clandestine de la France libre, on l’entendit à plusieurs reprises dans les émissions françaises de la BBC *. Après la Libération, il fonda la Documentation française dont il fut l’un des directeurs historiques. Comme son ami Georges Boris à qui il consacra une splendide biographie intellectuelle et politique (Gallimard, 2009), son engagement auprès de Pierre Mendès France s’articula à sa fidélité au général de Gaulle chef de la France combattante. Conseiller du président du Conseil, il travailla particulièrement au lancement d’une vaste politique publique pour la recherche et l’enseignement. Il fut la cheville ouvrière du Colloque de Caen organisé par Pierre Mendès France et ses équipes en novembre 1956. Son action particulièrement, rendit possible le lancement, dès novembre 1958, de la politique scientifique gaullienne incarnée dans la Délégation générale à la recherche scientifique et technique où nombre d’anciens résistants et d’anciens savants résistants s’impliquèrent hautement. Un ouvrage collectif est revenu sur cet engagement pour la recherche, de Mendès France à de Gaulle (Le gouvernement de la recherche. Histoire d’un engagement politique, de Pierre Mendès France au général de Gaulle (1953-1969), Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2006, 428 p.)

Jean-Louis Crémieux-Brilhac a étudié l’Appel du 18 juin dans un petit ouvrage passionnant publié par les éditions Armand Colin à l’initiative de Caroline Leclerc. Tout y est dit et très bien dit, très bien analysé, à commencer par le rappel des deux voyages du général de Gaulle, ministre (sous-secrétaire d’Etat) du dernier gouvernement légal de la IIIe République, à Londres, pour y rencontrer notamment le Premier ministre Churchill, suivis de l’ultime et décisive arrivée dans la capitale anglaise pour près de quatre années (exceptés les nombreux déplacements de De Gaulle et le temps d’Alger). Parti le 17 juin de l’aéroport de Mérignac à 9 heures du matin dans l’avion de l’envoyé spécial de Churchill, le général Edward Spears, il arrive à Londres à 14 heures 30, deux heures après la demande de cessation de combat diffusée sur les ondes françaises par le maréchal Pétain. En voulant continuer le combat, le général de Gaulle endosse une seconde légitimité, après celle du gouvernement républicain dont il reste membre puisque le ministère Pétain n’est ni légal ni légitime. Le sous-secrétaire d’Etat demeure fidèle en effet à l’accord international de la Déclaration franco-britannique du 28 mars 1940 aux termes de laquelle les deux gouvernements « [s’engageaient] mutuellement à ne pas négocier ni conclure d’armistice ou de traité de paix durant la présente guerre, si ce n’est d’un commun accord ». On a rappelé la veille à Paul Reynaud, explique Jean-Louis Crémieux-Brilhac, que cet accord avait été passé « avec la République française et non pas avec une administration française ou un homme d’Etat français en particulier et [engageait] donc l’honneur de la France ». En restant fidèle aux engagements de la République, De Gaulle assumait l’honneur de la France. Il le faisait en se rapprochant d’un pays étranger. La République prenait là une nouvelle signification, découlant d’un des choix de rupture du général de Gaulle comme l’explique l’auteur de L’Appel du 18 juin (Armand Colin avec Radio-France, 128 p., 4,90 €).

L’Appel du 18 juin fixe les termes de ces refus fondateurs d’une possibilité d’agir et de construire, après la débâcle et la défaite : « De Gaulle rompt avec le devoir militaire de discipline, il rompt avec sa caste – il sera, pour des mois, le seul officier général d’active à choisir l’insubordination puis la rébellion, et sans aucun notable de la IIIe République à ses côtés pour soutenir son action -, il rompt avec l’idée dominante d’une armée hitlérienne invincible, il rompt avec l’idée dominante d’une armée hitlérienne invincible, il rompt avec l’idée alors courante de démocratie irrémédiablement vouées à l’échec, il rompt enfin avec le tabou de l’exil et avec la tradition qui veut, depuis Danton, qu’on n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers. » Ces ruptures permettent une forme supérieure de fidélité à « la conscience » dira Léon Blum. Cela s’explique. L’appel du 18 juin, même limité aux forces armées, réinvestit les principes élémentaires de la démocratie et de l’honneur national confondus. Ce retour vers l’évidence donne au texte et à l’acte une importance historique immédiate en inaugurant un temps de résistance. Le terme est présent dans l’Appel et permet à ce dernier de s’étendre au-delà du seul domaine militaire pour viser une intention politique et morale évidente : « Quoiqu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ». La force de l’Appel repose sur le pouvoir de son auteur de s’arracher à la densité insondable des événements immédiats pour se projeter vers l’avenir et imaginer le temps de la Résistance, notamment sur le plan militaire, en comprenant que l’armée allemande peut être vaincue de la même manière qu’elle a gagné en mai-juin 1940. En agissant avec cette force critique considérable, De Gaulle se comporte comme un intellectuel décisif.

Jean-Louis Crémieux-Brilhac retrace finement, dans son livre, cette genèse intellectuelle de l’Appel mais aussi les contraintes pratiques et politiques imposées par les Anglais qui veulent avant toute chose comprendra la portée de la demande d’armistice du maréchal Pétain. De Gaulle, lui, qui connaît bien son auteur et qui n’a aucune illusion sur son courage et son patriotisme républicain (« un très grand homme mort en 1926 »), veut parler le plus tôt possible à la radio, afin de se donner un point de départ pour construire après le désastre. L’Appel du 18 juin, qui suit l’arrivée du général de Gaulle à Londres et son choix de « la résistance française », est un acte voulu et assumé qui joue le rôle d’événement fondateur d’un nouveau temps de l’histoire. Certes, l’Appel fut peu entendu, mais la décision était là, la vision du monde aussi, si bien que le texte et l’acte purent prendre place comme fondement d’un temps historique capable de changer la perception collective de l’histoire. C'est de la métaphysique, explique à l'instant au micro de France Inter à 7h28, l'historien Sudhir Hazareesingh (voir la page du 17 juin sur ce Blog). Il a raison.

Vincent Duclert

* Et ce matin, il parle sur France Inter, dans la matinale de Nicolas Demorand installée exceptionnellement à Londres.

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