L’internationalisation dans tous ses états
La référence à l’« international » a fait tache d’huile ces dernières années dans la recherche et l’enseignement supérieur (Etat, institutions, espace public), et participe de sa gouvernementalité de diverses manières (classements internationaux, mobilités internationales, programmes et projets de recherche européens et internationaux, structures éditoriales internationales,…). Loin d’être « naturel » à la science et à l’enseignement supérieur, l’international est le résultat de plusieurs phénomènes ainsi que des discours, des pratiques et des instruments mis en œuvre par les acteurs politiques et scientifiques. C’est là une des idées de départ du livre Recherche et enseignement supérieur face à l’internationalisation – France, Suisse, Union européenne (2009, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, 397 p. 38 € [sous la direction de Jean-Philippe Leresche, Philippe Larédo et Karl Weber]) qui scrute le processus d’internationalisation dans ses dynamiques cognitives, économiques, politiques, sociales et culturelles.
Derrière la cohérence synthétique du propos introductif, le livre donne à lire une mosaïque de 18 contributions très variées en points de vue et en objets mais qui partagent la même attention pour l’analyse empirique autour des exemples de l’Union européenne, de la Suisse et de la France. On a trouvé personnellement très intéressante l’analyse critique de la politique de la recherche de l’UE que Philippe Larédo connaît sur le bout des doigts. Celui-ci observe et conclut de manière plus normative que la diversité des arrangements organisationnels selon les domaines de recherche implique et doit inviter à l’avenir l’UE à diversifier les règles et les procédures d’une politique de recherche à l’homogénéité contre-productive. « Rien ne serait plus contre-productif, écrit-t-il, qu’un huitième programme-cadre […] conduit dans les mêmes cadres organisationnels ! » (p. 47) Concernant encore la politique européenne de l’éducation, Eva Hartmann en retrace l’évolution historique pour montrer comment le principe de subsidiarité contribue à la mise en place d’une « hégémonie transnationale » ou d’un « espace public transnational formalisé ». Le principe de subsidiarité permet de « relier une politique publique européenne à un espace public national » dans une logique de délibération et d’acceptation sociale large plutôt que dans la logique étroite d’un formalisme juridique international et européen tout puissant. (p. 61).
Les exemples de la Suisse et de la France sont traités dans l’ouvrage en eux-mêmes plutôt que de manière comparative. Cela permet déjà de voir la diversité des usages nationaux de la référence à l’international, « ressource cognitive et symbolique », et d’éviter l’amalgame souvent fait entre internationalisation et homogénéisation. Comme le soulignent Catherine Paradeise et Gaële Goastellec à propos de l’internationalisation des systèmes d’enseignement supérieur : « Si l’internationalisation des systèmes d’enseignement supérieur est désormais avérée, les processus de convergence qu’elle comporte – que l’on peut définir comme l’adoption de valeurs et de normes semblables – ne conduit pourtant pas à leur homogénéisation » (p. 211) mais donne lieu à des innovations institutionnelles locales spécifiques. Autre idée reçue battue en brèche par Michel Grossetti, Philippe Losego et Béatrice Milard : les grands centres sont les moteurs de la compétitivité internationale. Leur étude de la répartition spatiale des activités scientifiques montre au contraire une déconcentration des activités scientifiques depuis la fin des années 1990, un déclin de la puissance des régions capitales et un fort dynamisme des petits sites récents. L’internationalisation est abordée encore par le biais des instruments : outils informationnels ouverts, classements, financements, régimes de propriété,… L’internationalisation dans de multiples états, en somme.
Julie Bouchard, Université Paris 13 - LabSic
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