De l’affaire Sokal à la trivialité
Autour de « l’affaire Sokal » déclenchée en 1996, les amis de La Recherche ont pu apprécier une partie des travaux d’Yves Jeanneret avec L’Affaire Sokal ou la querelle des impostures (Puf, 1998, 274 p.). Dans la profusion de réactions, le professeur en Sciences de l’information et de la communication à l’Université d’Avignon a la particularité de traiter la querelle en dépassant le seul décryptage du cas pour interroger à travers lui et plus fondamentalement la « trivialité des savoirs ». Non pas assimilée à la « banalité », à la « popularité » ou à la « vulgarité », la trivialité constitue le cœur de l’affaire où se jouent, de manière plus neutre, la création, la circulation et la transformation des idées. 10 ans après L’Affaire Sokal, Yves Jeanneret consacre à la trivialité le premier livre d’une série annoncée avec Penser la trivialité – volume 1 – la vie triviale des êtres culturels (Hermès-Lavoisier, 2008, 267 p., 39 €).
La densité d’analyse et de concepts de Penser la trivialité, où l’on partage le souci et le plaisir de l’auteur à citer les recherches conduites par les jeunes chercheuses et chercheurs, s’arrime à un projet intellectuel ambitieux et intéressant à plusieurs égards. D’abord, si l’ouvrage est fortement imprégné par les Sciences de l’information et de la communication et par leur « réécriture », celui-ci éclate les carcans disciplinaires non seulement par le biais de références à d’autres disciplines (les références à l’histoire culturelle, notamment, sont nombreuses) mais surtout par la projection des outils conceptuels et méthodologiques dans l’univers plus large des « sciences anthroposociales ». Ce qui est projeté là, ensuite, ce sont les problèmes, les concepts et les méthodes liés à l’étude précise de la circulation et de la transformation des « êtres culturels » dans la société, phénomènes généralement négligés et simplifiés et qu’Yves Jeanneret étudie au contraire avec le sérieux et la complexité qu’ils méritent en exposant « les ressources qu’offre
une problématique de la trivialité pour relire beaucoup de questions « classiques » des sciences sociales » (pp. 229-230). Enfin, Penser la trivialité, c’est revenir avec son auteur sur ce qui fait tenir ensemble et sur ce qui distingue les processus d’échange, les constructions d’objets, les gestes d’évaluation et les imaginaires de la pratique culturelle… avant de plonger dans l’économie des pouvoirs et des valeurs fondées sur la trivialité dans un deuxième volume annoncé… et attendu.
Julie Bouchard (CNRS)
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