Histoire de chambres
D’Une chambre en Hollande à l’Histoire de chambres, il n’y a qu’un pas franchi par Michelle Perrot qui publie dans cette rentrée un grand livre (Le Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 453 p., 22 €). Histoire de chambres l’est à plusieurs titres, par son écriture d’abord d’une très grande élégance autant que d’une précision remarquable, ensuite par l’importance de la documentation déployée et des lectures menées, enfin par la manière exemplaire dont le sujet est porté et explicité au lecteur. Ce livre est né, explique Michelle Perrot, de sa propre relation aux chambres dont tous nous avons des expériences. « Bien des chemins mènent à la chambre, explique-t-elle, le repos, le sommeil, la naissance, le désir, l’amour, la méditation, la lecture, l’écriture, la quête de soi, Dieu, la réclusion, voulue ou subie, la maladie, la mort. De l’accouchement à l’agonie, elle est le théâtre de l’existence, ou du moins de ses coulisses, celles où, le masque dépouillé, le corps dévêtu s’abandonne aux émotions, aux chagrins, à la volupté. On y passe près de la moitié de sa vie, la plus charnelle, la plus assoupie, la plus nocturne, celle de l’insomnie, des pensées vagabondes, du rêve, fenêtre sur l’inconscient, sinon sur l’au-delà ; et ce clair-obscur renforce son attrait. » Tout est dit dans ce court passage de ce lieu, de ce temps, de cet univers familier, intime, et universel tant l’expérience de la chambre rassemble l’humanité ou presque, savoir qui traverse les époques et les civilisations. Etre privé de chambre, c’est mourir en quelque sorte, et pas uniquement du fait de l'intimité rendue impossible, mais aussi parce que l’ancrage spatial qu’elle représente et qu’elle permet forge une conscience politique de soi. « L’ancrage spatial est une forme économico-politique qu’il faut étudier en détail », avance Michel Foucault. Et Michelle Perrot accomplit pour la chambre ce vœu de connaissance, avec une beauté particulière et un émerveillement du savoir dont on ne sort pas indemnes.
Vincent Duclert
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