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21 juillet 2009 |

Un tueur dans la tête

Blog neuro En 1985, à l'université de Californie, Benjamin Libet et ses collègues faisaient une découverte troublante : ils détectaient dans le cerveau de leurs sujets d'expérience une activité électrique correspondant à des mouvements quelques millisecondes avant que la décision d'agir soit effectivement prise.

Ces résultats ont d'ailleurs été confirmés en 2008 par une équipe germano-belge : face à un choix entre gauche et droite, notre cerveau déciderait parfois plusieurs secondes avant que nous en soyons conscients!

Scott Bakker, qui semble bien connaître les travaux de la psychologie moderne, a utilisé ces faits, et bien d'autres connaissances actuelles sur le fonctionnement de notre esprit et de notre conscience, comme socle de son roman Neuropath (Bragelonne, 2009, 20€). Son héros, Thomas Bible, est professeur de psychologie à Columbia. Son meilleur ami, Neil Cassidy, neurochirurgien à Bethesda (du moins le croit-il, mais il sera vite détrompé : il travaille en fait pour un projet gouvernemental secret d'interrogatoires neurochirurgicaux). Durant leurs études, ils ont beaucoup réfléchi à la nature de l'esprit humain, et ils ont abondamment discuté de ce qu'il nomment le Débat (avec une majuscule) : il n'y a pas de causalité dans le monde. Notre esprit n'invente des explications cohérentes aux événements qu'après que ceux-ci se soient produits. Nous vivons « à Disneyland », dans un monde d'illusions permanentes. Pire, c'est le hasard qui mène le monde, et il se manifeste à travers l'évolution, dont nous ne sommes que des instruments. Ainsi, l'amour de Thomas pour ses enfants, lui rappelle Neil au second chapitre, est simplement une astuce trouvée par ses gènes au cours de l'évolution pour qu'il investisse l'énergie nécessaire à les amener dans les conditions de se reproduire.

Je résume un peu vite ce qui occupe une bonne partie du récit. Car Thomas, qui avait un peu oublié le Débat (et pour tout dire, qui semble avoir oublié toute activité de recherche, à laquelle aucune allusion n'est faite dans tout le livre), est contraint de l'exposer dans ses moindres détails à Samantha Logan, du FBI. Neil s'est transformé en tueur en série, et pour le retrouver, comme nous l'ont appris nombre de romans, films et séries télévisées mettant en scène des « profilers », il faut entrer dans sa tête, penser comme lui. Qui mieux que Thomas peut y parvenir? Il s'apercevra trop tard qu'il est la cible principale, et pas seulement de Neil.

Les codes du roman noir sont respectés : un anti-héros qui se vit en perdant perpétuel, dépassé par les événements, une femme fatale, un méchant vraiment très méchant, des crimes horribles, une fin terrible pour tous les personnages (le chien familial compris). Mais l'intérêt réside aussi dans le fait de suivre de l'intérieur les réflexions du psychologue Thomas Bible, qui analyse sans cesse ses pensées et ses états émotionnels sous l'angle des mécanismes psychologiques. Et la réflexion ouverte par le Débat ne s'arrête pas lorsque l'on a refermé l'ouvrage. La postface de l'auteur, dans laquelle il fait la part entre les quelques éléments réels dont il s'est inspiré, et les faits qu'il a extrapolés n'est pas le passage le moins éprouvant à lire. Il voulait faire réfléchir sur sa vision de l'homme « post-humain » : c'est réussi.

Luc Allemand

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