A l’épreuve du sang contaminé
La collection « En temps & lieux » des éditions de l’EHESS publie les travaux d’Emmanuelle Fillion, A l’épreuve du sang contaminé – pour une sociologie des affaires médicales (2009, au prix de 21€, 323 p.).
En s’appuyant sur une enquête au long au cours et sur une centaine d’entretiens menés auprès des acteurs les plus directement engagés, la sociologue propose de revenir sur l’affaire du sang contaminé afin de saisir les nouvelles articulations entre la sphère publique et les reconfigurations d’expériences individuelles. Le pari sociologique est important car elle cherche ainsi à esquisser plus largement une manière d’envisager et d’interpréter comment les scandales ou les affaires du monde médico-sanitaire contemporain constituent une clé de lecture de la dynamique moderne des transformations sociales. Pour démontrer le bien fondé de « l’entrée par l’affaire » et son efficacité pour appréhender l’enchevêtrement du monde de la médecine, de la connaissance et de la justice, sa première partie s’attache à décrire le monde professionnel des médecins de l’hémophilie et à expliquer comment ce monde professionnel, d’abord clairement identifié et identifiable, sera bousculé par l’affaire du sang contaminé – notamment en terme « d’éclatement professionnel » (les chapitres 3 et 4 sont particulièrement instructifs). On prend la mesure de la spécificité nationale de cette affaire compte tenu des liens qu’entretient l’Etat avec la médecine de l’hémophilie et la nécessité de prendre en considération les difficultés de la médecine transfusionnelle. La deuxième partie de l’ouvrage concerne l’analyse des mobilisations collectives des patients à partir du rôle occupé par l’Association Française des Hémophiles (AFH) de 1980 à 2000. La sociologue y étudie la manière dont l’AFH a radicalement modifié son rapport à l’univers médico-scientifique en passant d’un modèle de coopération et de délégation (confiné aux cliniciens de l’hémophilie) à un modèle de la négociation et de la participation. La dernière partie de l’ouvrage est ainsi consacrée à « l’expérience morale d’une crise médicale » par les patients et leurs proches. Le chapitre 9 intitulé « expérience du soupçon, les années de crise » constitue un chapitre important pour voir comment se nouent les relations entre patients et cliniciens, les plaintes, l’action judiciaire, le rapport compliqué avec les procédures et les montants d’une indemnisation. Une contribution sérieuse à la compréhension des liens entre médecine et justice.
Lynda Sifer-Rivière, Cermès, EHESS
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