Et le singe se mit debout
Brigitte Senut est une femme remarquable. Paléoanthropologue de terrain autant que de laboratoire, elle a conduit quelques missions qui ont abouti à des découvertes majeures, notamment celle, au Kenya, d'Orrorin tugenensis, un hominidé de 6 millions d'années environ. On espère bien que ce n'est pas terminé.
Dans Et le singe se mit debout (avec Michel Devillers, Albin Michel, 185 p., 15 €) elle nous raconte les grandes étapes de sa vie scientifique, tout en nous initiant à la question des origines de l'homme. On la suit ainsi de ses premières études sur les os du bras de « Lucy » à ses prospections et ses fouilles de terrain. Elle exprime assez bien la passion qui l'anime vis-à-vis des origines de l'homme, du continent africain et de son activité. Les quelques aventures rocambolesques qu'elle conte, dans des pays où la sécurité des visiteurs ne tient parfois qu'à un fil, font comprendre que cette passion est nécessaire, et que la paléoanthropologie vomit les tièdes. Elle évite aussi habilement les polémiques, pourtant parfois virulentes dans lesquelles elle a été (ou est encore) impliquée (j'ai ainsi entendu un jour à l'Académie des sciences l'un de ses confrères américain lui adresser le joli nom de « créationniste »).
Une réserve quand même : ce livre est un peu dans l'état de certains fossiles dégagés par Brigitte Senut et son équipe, encore pris dans une gangue de sédiments. Pour ces fossiles, elle recommande un traitement à l'acide. Dans le cas présent, j'aurais préconisé une intervention éditoriale du même type (une bonne réécriture), qui aurait fait ressortir les richesses enfouies là, trié les propos, proposé des annexes pour certains points techniques... L'éditeur s'est contenté d'ajouter des parenthèses ou des notes pour expliquer des termes complexes. Cela alourdi inutilement le texte sans le rendre plus intéressant. Le lecteur est donc obligé de s'armer de courage, et de mettre en pratique les recommandation de l'auteur : fouiller, pour espérer faire des découvertes intéressantes. On peut donc craindre que ce livre ne retienne que les passionnés. C'est dommage.
Luc Allemand, La Recherche
Rédigé par : Luc Allemand - La Recherche | 03 avril 2009 à 13:31
Brigitte Senut m'a appelé au téléphone (j'avoue, mon activité journalistique m'avait déjà conduit à la rencontrer) pour me dire qu'elle n'avait pas apprécié ce post sur son livre (ce ne sont pas exactement ses termes, mais c'est l'esprit). En particulier, le fait que j'évoque des polémiques dans lesquelles elle est impliquée et qu'elle n’a pas mentionnées dans son livre. Pour lever toute ambiguïté, nous avons donc coupé la dernière phrase du deuxième paragraphe : il n'est pas dans mon intention de prétendre que Brigitte Senut a insulté ses confrères comme l'un d'entre eux l'a fait dans l'incident que j'évoque (incident, je le précise encore, qu’elle n’avait pas provoqué non plus).
Sur d'autres choses qu'elle m'a dites au téléphone, je lui ai suggéré de poster elle-même un commentaire ici. J'espère qu'elle le fera : c'est la loi du blog que les critiques soient elles-mêmes critiquées!