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08 décembre 2008 |

Nanosciences. La Révolution Invisible

Blog nano Le préfixe nano est devenu dans les laboratoires un mot clé pour affirmer la modernité et donc accéder aux sources de financement. Mais les termes qui en sont dérivés, nano-électronique, nano-objets, nano-fabrication, nano-sciences recouvrent en fait des sujets très vastes et ne sont pas toujours compris. Conséquence normale, ils soulèvent des interrogations et par delà des inquiétudes. Ce petit livre, Nanosciences: La Révolution Invisible, par Christian Joachim et Laurence Plévert, publié au Seuil cette année (182 p., 18€) s’applique à expliquer ces mots, à distinguer ce qui est du domaine du connu, du possible et de l’irrationnel.

Cependant, la vision qu’en ont les chercheurs dépend beaucoup du point de départ. Pour les physiciens déjà impliqués dans la microélectronique, la nanoélectronique en a été la suite naturelle et inéluctable ; la recherche de performances toujours accrues des circuits intégrés exigeait une réduction des dimensions de leurs éléments constitutifs, passant donc de l’échelle du micromètre (10-6 m) à celle du nanomètre (10-9 m) *, dimensions qui sont voisines de celles des molécules et des atomes. Mais ce n’est pas seulement un changement d’échelle. Quand l’une des dimensions d’un objet physique devient du même ordre de grandeur que la longueur caractéristique d’un phénomène (longueur d’onde des électrons, leur libre parcours moyen, etc), les lois usuelles doivent être modifiées. De nouvelles propriétés apparaissent qui à leur tour peuvent être mises à profit pour créer des nouveaux composants (les « quantum dots » servent aux lasers, aux cellules photovoltaïques, …). Ici, recherche de base et applications sont indissolublement liées, se nourrissant mutuellement.

L’approche personnelle de Christian Joachim a été différente, car il s’est directement intéressé à l’observation d’objets nanométriques et surtout à leur manipulation, avec le microscope à effet tunnel à balayage (scanning tunnel microscope STM) et ses développements, en particulier le microscope à force atomique (AFM). Le projet était sous-tendu par un souci écologique, la réduction de la quantité de matière et d’énergie à mettre en jeu. Pionnier de ces méthodes, il décrit avec passion ses premières expériences dans la manipulation d’atomes et molécules individuels allant jusqu’à la fabrication d’objets de taille nanométrique. Ecriture de mots, atome par atome, construction de « nanomécanismes », engrenages, chariots, « insectes »; on ne peut qu’être frappé par l’habileté que cela représente, mais aussi par le désir ludique de reproduire à cette échelle des objets du monde de la vie courante. Ces nano-objets en tant que tels sont seulement des démonstrateurs, fabriqués un par un, mais si des méthodes d’assemblage en quantité sont développées, les utilisations suivront. Rappel : les premiers transistors en 1950 étaient fabriqués à l’unité, mais l’invention du circuit intégré en fait apparaître des millions à la fois –probablement l’objet manufacturé fabriqué en plus grande quantité. Sera-ce le futur des nano-objets ?

Ces approches différentes, descendante, nano-objet créé par « sculpture » (micro-lithographie en particulier) d’un substrat macroscopique ou montante, assemblage atome par atome d’une grosse molécule fonctionnelle, correspondent donc à des visions différentes, l’une très liée à la technologie, l’autre plus exploratoire et à visée écologique. L’historique des nanosciences –terme générique aux acceptions multiples-, longuement développé dans tout un chapitre, s’attache beaucoup aux aspects industriels et même politiques, mais n’insiste guère sur la contribution à la connaissance et sur les interactions avec la recherche de base. Aussi bien dans la partie historique que dans la description de la recherche, ces deux approches sont opposées de façon artificielle, reflétant la vision et l’expérience de C. Joachim . Or, elles se sont développées simultanément, mues par la curiosité comme par la perspective de création de nouveaux outils.

D’autre part, entre ces approches descendantes et montantes, il existe d’autres processus de création de nano-objets en quantité, par voie chimique –la chimie des colloïdes en était l’avant-coureur. L’exemple le plus cité actuellement est celui des nanotubes de carbone, sous- produit fréquent des combustions, et objet de nombreuses études tant fondamentales qu’appliquées. Certes, mention en est faite dans l’ouvrage, mais outre leur intérêt propre comme matériaux pour l’électronique ou la mécanique, ils présentent un risque potentiel de toxicité, mal évalué encore, et qui serait aussi celui de nouveaux produits utilisant des particules finement divisées, comme celles, d’origine naturelle, responsables de l’asbestose ou la silicose.

Le dernier chapitre est consacré aux risques associés aux nanotechnologies. Risques réels, mais peu connus, ou fantasmés qui ont amené les nanotechnologies au rang des inquiétudes de la société. Une littérature s’est créée, de la science-fiction ou des annonces apocalyptiques aux rapports académiques Ce chapitre démonte les proclamations irrationnelles de certains groupes, dans un sens ou un autre, des néo-luddites rejetant le progrès aux transhumanistes, rêvant de surhommes créés par la technologie.. Il présente de façon claire et raisonnée les enjeux et les interrogations réfutant des chimères et appelant à considérer avec bon sens ces innovations. D. Lecourt a commenté avec justesse, dans La Recherche du mois de mars 2008 (p. 97), ce dernier chapitre, suggérant qu’une « nanophilosophie » vienne compléter nanosciences et nanotechnologies, « qui …réfléchisse sur la valeur humaine des buts assignables ... »

On aurait apprécié de trouver, autrement que par allusions dispersées, plus de détails sur l’impact des nanotechnologies sur les sciences de la vie et la médecine, où les enjeux sont importants, tant par les applications potentielles, vecteurs de médicaments, outils de diagnostic, que par les risques de toxicité incontrôlée. Les quelques pages consacrées aux nanobactéries fossiles, dont l’existence même est en fort doute, apparaissent comme une digression. Par contre, les notions d’auto-assemblage et d’auto-réplication, si vivement discutés aujourd’hui sont seulement mentionnées **.

Le format de l’ouvrage ne permettait certes pas de traiter tous ces aspects. Mais la lecture en est stimulante, par les informations apportées, par le traitement aussi bien des questions scientifiques que des aspects sociaux et éthiques. Et, ce qui ajoute à son intérêt, c’est de voir dans le récit enthousiaste des expériences avec ces nano-objets, que la recherche est aussi un plaisir !

Pierre Baruch, Université de Paris 7

* le second chiffre des deux mesures indiquées est en exposant.

** On consultera avec intérêt les avis émis par l’Académie des Sciences, la Royal Society ou d’autres sociétés savantes, et surtout le compte-rendu de la très intéressante discussion au Sénat, dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques,

http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-off/i3658.asp

et http://www.assemblee-nationale.fr/12/cr-oecst/05-06/synthese_nano.pdf

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