Louis Maufrais. J’étais médecin dans les tranchées
Les éditions Robert Laffont publient le récit inédit de Louis Maufrais, sous-titré J’étais médecin dans les tranchées (préface de Marc Ferro, 331 p., 21 €). Cette histoire orale est celle d’un jeune étudiant en médecine destiné à faire son apprentissage dans les tranchées. A l’âge de 80 ans, alors atteint de la cataracte, le médecin décide d’enregistrer son récit
: 16 cassettes de 90 minutes où il raconte son expérience du 2 août 1914 au 14 juillet 1919. Un héritage enfermé dans une boite de chaussures durant 25 ans jusqu’à ce que sa petite-fille Martine Veillet en découvre le contenu en 2001. Elle retranscrit les mots, vérifie ensuite tous les événements, étudie tous les documents conservés par son grand-père – cahiers personnels, lettres adressées à ses parents. Certaines photos sont commentées par le médecin et elles accompagnent le récit. On suit ses déplacements et ceux de son poste de secours en Argonne (Marie-Thérèse, Bagatelle), puis on part pour l’offensive de Champagne (Bois Vauban, Auberive), et on rejoint Verdun (Froideterre, Thiaumont, Cumières). On observe le rôle crucial des brancardiers. « Il était dans les habitudes dans les cadres de l’armée de désigner comme brancardiers des hommes incapables de se battre. Mais ils comprirent rapidement que c’était l’inverse qu’il fallait faire » explique-t-il, « parce que ces gars-là agissaient en dehors de tout contrôle, que leur rendement était subordonné à leur dévouement, sans aucun repos ni de jour ni de nuit ». On est effrayé par l’arrivée quotidienne et toujours croissante de soldats blessés : jambes cassées, hémorragies, plaies de la poitrine par balle, lambeaux de chair si déchiquetés qu’ils sont inidentifiables. A l’époque, la trousse de soins ne permet pas les transfusions : on ne connaît ni les groupes sanguins ni les rhésus et le matériel n'est pas aseptisé. Les actes techniques se résument parfois à couper les pantalons et à désinfecter autant que possible pour réaliser des pansements énormes. Dans ces conditions, il est difficile de soigner. Au Bois Vauban, certaines scènes d’évacuation des blessés et de réparations provisoires des dégâts causés par les obus ou les shrapnells sont insoutenables. Selon le recensement effectué par la petite fille, il n’existerait pas plus d’une vingtaine de témoignages de médecins. Voici une nouvelle contribution à l’Histoire. La vision d’un médecin et d’un homme confronté à la mutilation des corps qui ne laisse étrangement aucune place à un positionnement personnel vis-à-vis de cette guerre.
Lynda Sifer-Rivière, Cermès, EHESS
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