Gouverner la République
C’est une recherche tout à fait considérable que nous proposent le juriste Vincent Le Grand et les éditions LGDJ avec Léon Blum (1872-1950) : gouverner la République (2008, 656 p., 53 €), à la réserve près que le prix de l’ouvrage ne pourra que décourager sa diffusion. L’auteur de cette thèse de droit, « contribution majeure à l’histoire du droit politique français », dit son préfacier (et directeur de la thèse) Eric Desmons, propose en effet une forme de biographie intellectuelle et politique d’un des grands républicains français du XXe siècle, au même titre que Gambetta, Waldeck-Rousseau, Clemenceau ou le général de Gaulle. Evidemment, la question du socialisme tend à s’éluder au fur et à mesure que la recherche progresse, et c’est peut-être l’une des critiques qui pourraient être faites à l’auteur. Il aurait été fructueux d’interroger la pratique gouvernementale de Léon Bum à l’aune de cette pensée politique dont il fut l’un des concepteurs. Cette confrontation est cependant présente lorsque Vincent Le Grand étudie, dans la première partie de son ouvrage, « la défense de la souveraineté parlementaire » qui constitue le « cadre indispensable au progrès républicain ». Et, de fait, toute l’œuvre théorique et critique de Léon Blum comme son activité de député tendent à la modernisation de la République pour en faire un régime né au XIXe siècle et adapté au XXe siècle. Le corollaire d’un pouvoir élargi du Parlement est alors le renforcement de la pratique gouvernementale pour laquelle il plaide inlassablement, depuis les « Lettres sur la réforme gouvernementale » de 1917 jusqu’à ses articles du Populaire, avant de se confronter à la machinerie du gouvernement et l’Etat à partir de juin 1936. L’étude du renforcement de la présidence du Conseil avait déjà été esquissée par l’historien Nicolas Roussellier, elle est ici poussée jusqu’à son terme et inscrite dans un processus long qui irait de Gambetta au général de Gaulle. Les qualités de cette thèse sont, au final, très nombreuses : enquête bibliographique exemplaire en direction des textes et discours de Léon Blum et de l’historiographie (en dépit de certains oublis ou confusions), effort salutaire d’un juriste allant avec succès sur les terrains de la recherche historienne, démonstration avec Léon Blum du lien parfois critique entre pensée intellectuelle et action politique. Certes, l’éclatement de la chronologie peut poser des problèmes d’interprétation, mais l’expérience décisivement exhumée par Vincent Le Grand ne cesse de parler aux chercheurs comme aux lecteurs contemporains, y compris dans le contexte actuel d’une reconfiguration profonde des rôles et des fonctions du Président de la République, du Premier ministre et du Parlement. Vincent Duclert, EHESS
Et retrouvez ce compte rendu dans L’Ours, « Mensuel socialiste de critique littéraire culturelle artistique », dans son numéro de juillet-août 2008. La publication de ce post est faite exceptionnellement en collaboration avec ce média (www.lours.org).
Rédigé par : duclert | 25 juin 2008 à 08:38
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