L'institution de la science et l'expérience du vivant
Les grands livres d’histoire des sciences sont des socles sur lesquels peuvent reposer des études ultérieures, car ce sont des sources inépuisables de questionnements et de problématiques, écrivait Stéphane Tirard dans le numéro 400 de La Recherche (septembre 2006), au sujet L’institution de la science et l’expérience du vivant de Claire Salomon-Bayet paru en 1978. Le Blog des Livres ne pouvait que republier les meilleurs passages de cette recension, à l’occasion du passage en poche (Flammarion, coll. « Champs sciences », 512 p., 11 €) de ce livre capital.
« L’ouvrage révèle le déplacement du sens de l’expérience dans un univers scientifique encore sans unité. Entre la période des origines de l’Académie des Sciences et la deuxième moitié du XVIII siècle, l’expérience, d’abord collection des faits ou description, deviendra un montage expérimental fondant la démonstration. Claire Salomon-Bayet ne pouvait mener sa recherche qu’en assumant l’éclatement de son objet et en discernant les fils qui quadrillent le savoir, il s’agit dans ce cas : des vivants, de l’expérience et de l’institution, le cœur du XVIII siècle scientifique. L’étude, centrée sur l’Académie, montre d’abord comment 'l’invocation expérimentale' gouverne certains débats lorsqu’apparaît la physiologie. Avec le contre-exemple de la classification, traitée au travers du cas de Tournefort, il apparaît que la question reste toujours la même : comment se constitue une méthodologie propre aux sciences de la vie ? Claire Salomon-Bayet défend et pratique une histoire des concepts dans laquelle s’intègre une histoire de la science comme institution. Son approche est résolument fondée sur les faits, avec comme volonté de se laisser guider par les problèmes et non par les solutions, qui considérées rétrospectivement peuvent donner une illusion d’ordre et de simplicité. La réflexion prend ici le relais de celles de Georges Canguilhem ou de Michel Foucault, mais l’ouvrage recèle une originalité qui réside dans la proximité et la tension toujours entretenues, entre le traitement en profondeur des sources historiques et la critique philosophique extrêmement ciblée qui le suit immédiatement. Sans doute, seul un tel double traitement systématique pouvait-il doter l’analyse de l’acuité nécessaire pour révéler que ‘la biologie, ce non-dit de l’âge classique, n’est peut-être pas un non-pensé : un contenu autonome du terme expérience donnerait les lignes de cet impensé, et constituerait une archéologie’. »
Stéphane Tirard, Centre François-Viète, Université de Nantes
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