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04 octobre 2013 |

Un roman pour Turing

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A la fin du mois d'octobre 2013, le parlement britannique devrait adopter une loi accordant à Alan Turing le pardon de sa condamnation prononcée en 1952 pour avoir eu des relations homosexuelles. Le Premier Ministre Gordon Brown avait déjà prononcé en 2009 un discours d'excuses vis-à-vis de Turing. C'était déjà pas mal, même si on peut regretter qu'il n'ait pas étendu ces excuses à tous les homosexuels condamnés au Royaume-Uni pour les mêmes raisons (l'homosexualité n'a été complètement dépénalisée dans tout le pays que dans les années 1980). Le cas de Turing est emblématique, mais malheureusement pas isolé.

Pour ce qui concerne Turing lui-même, cette condamnation, et son suicide deux ans plus tard (vraisemblablement lié à la dépression engendrée par le traitement de castration chimique qui lui avait été imposé) a transformé en tragédie ce qui était déjà une vie dramatique. La Pomme d'Alan Turing, biographie romancée que Philippe Langenieux-Villard publie aux éditions Héloïse d'Ormesson (224 p., 18€) en convaincra tous ceux qui ignoraient encore les épisodes de la vie du mathématicien. En se fondant sur les propres carnets de Turing, et sur le récit que sa mère publia après sa mort, l'auteur nous propose d'accompagner le développement de la vocation du mathématicien, de son enfance à sa fin prématurée à 42 ans.

Le drame d'Alan Turing réside dans les secrets qu'il se devait de garder. Secret, je l'ai dit, quant à son homosexualité, autant hors-la-loi aux Etats-Unis, où il effectua sa thèse qu'au Royaume-Uni (sa mère elle-même l'ignorait). La révélation de ce secret à l'occasion d'une banale affaire de vol (par l'un de ses amants) précipita sa fin. Mais aussi, et sans doute plus pesant pour lui, qui rêvait de la reconnaissance de ses pairs, secret quant à sa prouesse scientifique la plus remarquable : la construction de la machine à calculer (on n'ose encore parler d'ordinateur) Colossus qui lui permit de déchiffrer les messages codés qu'échangeait l'armée allemande pendant la Deuxième Guerre mondiale. Turing avait fortement contribué à ce que les Alliés gagnent cette guerre, mais celle-ci terminée, sa machine fut détruite, et interdiction fut faite d'en parler. Pire : il eut toutes les peines du monde à obtenir les moyens nécessaires au développement de ses idées reconnues aujourd'hui comme fondatrices de l'informatique. Le roman, centré sur le personnage de Turing, ne pousse pas l'explication de ces faits au-delà de la personnalité complexe de son héros, finalement trop asocial pour collaborer normalement à de grandes entreprises scientifiques.

Rien de ce qui concerne Turing n'est plus secret aujourd'hui. Son centenaire, en 2012, n'est pas passé inaperçu, et on ne compte plus les livres qui lui rendent hommage. Celui-ci constitue une première approche qui pourrait toucher largement un public sans connaissances scientifiques.

Je me permets toutefois de regretter plusieurs énormes erreurs liées à la science. Von Neumann tentant de retenir Turing aux Etats-Unis à la fin de sa thèse (nous sommes en 1934) lui lance en effet (p. 80) : « C'est ici qu'Einstein a publié la Relativité générale,... que Kurt Gödel a imaginé le théorème de l'incomplétude. » Non : Einstein était à Berlin lorsqu'il a publié, en 1915, sa théorie, et c'est à Vienne que travaillait Gödel en 1931 lorsqu'il énonça son théorème. Avant la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis étaient scientifiquement à la remorque de l'Europe. Quant à la « relativité artificielle », dont Turing attribue la découverte à Joliot-Curie, c'est évidemment de la radioactivité artificielle qu'il s'agit. On ne tiendra pas rigueur à l'auteur de ce passage qui n'est que secondaire dans son récit, mais une relecture par un scientifique ne lui aurait pas nuit.

Luc Allemand

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