Grippe porcine : la pandémie, et après ?
Que sait-on au juste du virus grippal déclaré jeudi dernier pandémique par l’OMS ?
« On attendait une grippe aviaire, c’est une grippe porcine. On attendait à ce qu’elle arrive de l’Est, elle nous vient de l’Ouest. On pensait qu’elle serait tueuse et on recense « peu » de morts ». François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris n’hésite pas à manier l’humour pour rappeler une chose : la « prochaine » pandémie de grippe était attendue. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré hier jeudi 11 juin 2009 que, cette fois-ci, elle est là, 41 ans après celle de la grippe de « Hong Kong ». La grippe « porcine » ou « mexicaine » ou encore « H1N1v » répond aux deux critères importants pour l’OMS : elle se répand en deux endroits de la planète au moins (en l’occurrence les Etats-Unis, l’Australie et le Japon) et il s’agit d’une souche nouvelle de virus. D’où le passage officiel à la « phase 6 » — la plus élevée — du niveau d’alerte pandémique.
Les cinq continents sont aujourd’hui officiellement touchés. L’Egypte a en effet comblé la « lacune » africaine en déclarant un cas sur son territoire. On peut penser que ce n’est cependant pas le seul sur le continent africain. Environ 25 000 cas ont été recensés dans 78 pays, causant quelque 150 morts. Des chiffres à manier avec une extrême précaution : on s’accorde à dire qu’il faut multiplier le nombre de cas par 20 pour avoir une meilleure estimation. Certains experts pensent même qu’aucune estimation ne peut être faite.
Car, pour être honnête, on ne sait que très peu de choses sur la maladie. On a observé que l’incubation est courte, de l’ordre de 48 heures, que la contagiosité apparaît un jour avant l’apparition des symptômes, et que, sinon, c’est une grippe classique (qui, rappelons-le circule chez l’homme et non chez le porc), si ce n’est qu’elle s’accompagne de peu de fièvre et de beaucoup de toux.
Le virus ? Il s’agit d’un virus porcin, dont deux segments du génome ont été modifiés et substitués par des éléments connus chez des porcs européens. Il a une capacité épidémique, mais en moyenne chaque personne n’infecterait que 1,4 à 1,6 personne selon les premières données. L’explosion du nombre de cas observée au Japon ces dernières semaines est, elle, totalement inexpliquée. L’origine géographique du virus est incertaine : il pourrait s’agir des Etats-Unis plutôt que du Mexique. La mortalité est inconnue, mais elle semble être faible, de l’ordre de 0,1 % ou 0,4 %. Ceci dit, on n’a encore que peu d’informations sur les personnes décédées et les facteurs de co-morbidité sont probablement importants. Les antiviraux semblent bien fonctionner in vitro contre cette souche virale, mais en revanche, les premiers résultats sont mitigés chez les patients. Et on sait que les virus du type H1N1 ont une forte propension à muter.
Face à tant d’incertitudes, faut-il redouter un scénario « à la grippe espagnole » ? Les points communs sont nombreux. Dans les deux cas, il s’agit d’un virus de type H1N1, qui nous vient d’Amérique du Nord, qui a provoqué un premier pic modéré au printemps, qui touche plus les sujets jeunes que les sujets âgés. Ce dernier point, contraire à ce que l’on observe avec la grippe saisonnière, pourrait s’expliquer par une immunité résiduelle chez les personnes âgées. Celles-ci ont déjà été exposées à des virus proches et leur système immunitaire s’en souvient : environ un tiers des plus de 60 ans aurait des moyens de défense contre le virus et cette immunité est décuplée en faisant un simple rappel du vaccin saisonnier. En revanche, les jeunes adultes et les enfants sont totalement dépourvus d’immunité face à ce virus.
Dès lors, on comprend l’enjeu d’avoir un nouveau vaccin, spécifiquement développé contre cette souche. Mais la question de la vaccination est extrêmement complexe. Comme il s’agit d’un nouveau virus, il faudrait faire en théorie trois vaccinations à un mois d’intervalle. Des adjuvants pourraient permettre de réduire les doses de vaccin et de ne faire que deux injections, mais on ne sait pratiquement rien des effets secondaires qu’ils pourraient provoquer.
Les Américains gardent un mauvais souvenir des campagnes de vaccinations. En 1976, une vaccination massive avait été décidée par le président Gerald Ford à la suite de l’apparition d’un virus grippal d’origine porcine dans le New Jersey. Plus de 40 millions de personnes ont été vaccinées, mais l’épidémie ne s’est pas déclarée tandis que l’on enregistrait plusieurs centaines de cas de syndrome de Guillain-Barré (une maladie neurologique rare) dus au vaccin. La campagne fut suspendue. A grande échelle, les effets secondaires sont une réalité. Et, encore, à cette époque, on n’utilisait que très peu d’adjuvants.
Le laboratoire suisse Novartis a annoncé aujourd’hui avoir mis au point un premier vaccin prêt à être testé. Pour le vaccin saisonnier, la capacité mondiale est d’un peu moins de 900 millions de doses par an. En cas de crise, on pourrait peut-être monter à près de 5 milliards de doses. Le facteur limitant devenant alors la quantité d’œufs disponibles pour fabrique les vaccins (il faut un œuf par dose de vaccin). Pour l’heure, on a encore besoin de plusieurs mois pour faire les tests cliniques et mettre la production en route. Et ensuite ? Qui vacciner en premier ? A quel moment ? Avec quelles doses de vaccins ? A quel prix ? Personne n’a les réponses à ces questions.
Pendant ce temps, on aurait tort d’oublier la grippe que l’on attendait : celle du poulet, ou H5N1. Elle continue à se propager. Il s’agit d’un virus très différent : il se transmet peu et la mortalité est très élevée (supérieure à 50 %), ce qui laisse à penser qu’il ne s’est pas bien adapté à l’homme. D’aucuns envisagent le scénario du pire : une recombinaison entre la grippe porcine et la grippe du poulet. Impossible à prévoir et impossible à exclure. Les épidémies sont indissociables de l’histoire de l’humanité. C’est un nouveau chapitre qui s’écrit. L’avantage, c’est que nous n’avons jamais été aussi bien placés pour participer à son écriture.
Mathieu Nowak
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