Notre voyage nous a conduit de Géorgie à l'Espagne où les plus anciens fossiles connus à ce jour permettent de poser les bases chronologiques d'une occupation du continent européen. Les films que je réalise doivent porter uniquement sur l'Europe. (Le sujet est suffisamment large) Mais lors de mes recherches je me pose la question des liens avec le bassin méditerranéen qui me semble peut développé dans les documents concernant l'Europe. Plusieurs sites révèlent des installations humaines (fossiles retrouvés) vers - 900 000, 800 000 : Atapuerca mais aussi, près de Naples le site de Ceprano.
J'ai envie d'en savoir plus sur les liens avec l'Afrique du Nord. je prends contact avec le Préhistorien Jean-Paul Raynal.(Directeur de recherche au CNRS) - Voici sa réponse. Elle me permet de mieux saisir un pan de cette période. Deux plans du film évoquent ce qu'il explique:
"Il est clair... que c'est loin d'être clair. Ne vous trompez pas, il y a dans ce débat, bien cachée derrière mais vivace même chez nos amis libertaires catalans, l'idée que les premiers européens ne sont pas des africains mais des "euro-asiates", appelez cela comme vous voudrez. Or ce n'est pas vraiment le problème puisque l'homme moderne, lui, est clairement d'origine africaine.
Que se passe t-il en Afrique du Nord ?
1) absence totale d'australopithèque jusqu'à ce jour.
2) absence de fossile anciens du genre Homo (pas d'habilis, ergaster ou autre erectus ancien). Nous savons bien d'après les faunes fossiles (biostratigraphie) et les outillages de pierre associés, qu'il existe un peuplement ancien - Aïn Hanech et Mansourah en Algérie, 1,4 millions d'années, voire un peu plus sans doute ? mais les éléments de preuve pour une plus grande ancienneté ne sont indiscutables. Au Maroc, le million paraît acquis à la Carrière Thomas I à Casablanca, un peu plus peut-être et les outillages de pierre que l'on rencontre alors (Acheuléen ancien) sont copies conformes de ceux d'Ubeidyia dans la vallée du Jourdain ou de Kesem Kebena en Ethiopie par exemple. Mieux, ceux du sud de la péninsule ibérique, malheureusement découverts en plein air hors contexte stratigraphique, leur ressemblent comme deux gouttes d'eau.
3) les premiers fossiles humains connus - Homo mauritanicus - sont un peu plus récents : au Maroc (El Hajeb) et en Algérie (Tighenif) , vers 0,8-0,7 Ma, autour de l'alternance magnétique Brunhes-Matuyama, voire plus anciens, à Tighenif. Les outillages de pierre ne diffèrent pas de ceux connus précédemment et ne semblent pas varier jusque vers 0,6-0,5 Ma.
4) on rencontre ensuite, entre 0,5(voire 0,6) et 0,3 Ma environ, des fossiles humains qui présentent des caractères anatomiques "modernes"(thèse Hublin), qualifiés encore d'Homo mauritanicus (restes de l'homme de Sidi Abderrahmane et hémi-mandibule de 1969 dans la carrière Thomas I à Casablanca) mais aussi par certains auteurs de "sapiens archaïques" ou encore d'Homo rhodesiensis : ils incluent en outre les restes de la carrière Thomas III à Casablanca, de Salé et de Khébibat, toujours au Maroc. La mandibule que nous avons découvert en 2008 dans la carrière Thomas I présente, en première observation, des caractères anatomiques identiques à ceux de la première, découverte de 1969 ; une dent isolée trouvée un peu au-dessus dans la stratigraphie nous a donné un âge de 0,5 Ma. Cette nouvelle pièce, entière, partage des caractères avec les Homo mauritanicus de Ternifine, mais semble également "cousine" de celle d'Atapuerca TD6 (publiée aux PNAS en 2005), mais nos collègues espagnols ont écarté, pour des raisons obscures, la mandibule de Thomas (1969) de leur tableau de comparaison...
5) apparaît enfin au Maroc un Homo sapiens archaïque "qui donne l'image de l'ancêtre immédiat de l'homme moderne" (com. pers. de J.J. Hublin), longtemps confondu avec les néandertaliens européens. C'est l'homme du Djebel Irhoud (3 crânes, trois mandibules, plusieurs autres restes), dont l'âge est au moins de 160 ka. Il est associé à un Middle Stone Age longtemps qualifié (et ce n'est pas idiot) de Moustérien, dont la position chronologique pourrait remonter vers 250 ka au moins...
6) puis, dans ce Middle Stone Age marocain, vers 80 ka, sont connus les hommes de Dar es Soltan et Temara près de Rabat, rapportés par certains auteurs au seul Atérien (faciès du MSA/Paléolithique moyen maghrébin), mais ceci est sans aucun doute trop restrictif. Ce sont des hommes modernes au plein sens du terme. On ne peut donc pas exclure, mais il faut attendre les études détaillés sur les nouveaux fossiles de la carrière Thomas, que l'Afrique du Nord ait envoyé des gènes vers l'Espagne, mais en fait, on n'en sait trop rien et on choisit, comme bien souvent, d'interprêter les faits de la façon qui arrange. La mandibule de la Sima de l'Elefante trouvée en 2008 à Atapuerca et supposée agée d'au moins 1 Ma, vient compliquer le tableau. Il ne serait pas impossible qu'existent en Europe occidentale, à la fois des influences asio-européennes (georgicus) et des influence maghrébines (mauritanicus-rhodesiensis). Si elles étaient établies, ces dernières conduiraient à réfuter antecessor, puisque mauritanicus a été créé antérieurement. Comme vous le voyez, les enjeux sont de taille et les questions loin d'être réglées."