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27/08/2010 | 

Jean-Michel Coron contre les poussettes

Jean-Michel Coron (UPMC, France) nous a offert une excellente et stimulante performance mardi 24 août. Clarté, dynamisme humour,...   sa conférence plénière intitulée On the controllability of nonlinear partial differential equations était un vrai bon moment de mathématiques.

Ce "maître de la théorie du contrôle", auteur de "contributions très profondes dans le domaine des problèmes non-linéaires" (pour reprendre les termes employés par son président de séance, le récemment primé Louis Nirenberg)  a commencé par expliquer simplement la notion de contrôlabilité et définir ce qu'est un système de contrôle à l'aide d'exemples très visuels.



Poussettes, bacs d'eau, ...


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Un système de contrôle est un système dynamique que l'on amène d'une positon initiale à une position finale  (par exemple une poussette que l'on fait rouler, un réservoir d'eau que l'on déplace) tout en "contrôlant" (minimisant, maximisant...) un certain nombre de paramètres sur lesquels on agit à l'aide d'une commande (par exemple : guidage de la poussette, limitation de la formation de vagues dans le réservoir d'eau).



Linéaire, non-linéaire, linéarisable...


L'exposé s'est d'abord intéressé au cas des systèmes linéaires et a proposé une condition de contrôlabilité de tels systèmes (le théorème de Kalman).
Ensuite, puisque la nature produit en réalité très peu de systèmes vraiment linéaires, il s'est attaqué à la possibilité de contrôler des systèmes non-linéaires.


Première idée : linéariser localement et en temps petit un système non-linéaire, et voir si le résultat est ainsi contrôlable. Et s'il ne l'est pas ... voir si le système de départ est contrôlable quand même (dans ce cas, sa contrôlabilité est induite par sa non-linéarité).


Les cas étaient ainsi abordés un à un, en partant du plus "simple" et en corsant les choses au fur et à mesure, permettant au public de suivre le cheminement de cette réflexion, avec pour finir des EDP célèbres comme les équations d'Euler ou de Navier-Stockes et l'introduction de la notion de système stabilisable.


Evidemment, vers la fin, les choses étaient très pointues - il faut bien que les spécialistes du domaine y trouvent aussi leur compte - mais cette conférence plénière a rempli sa mission : agréable à suivre, donnant au public l'impression de comprendre quelque chose, piquant la curiosité pour cette théorie mathématique.



J'insisterai pour finir sur l'impressionnante maîtrise de Jean-Michel Coron, sans conteste un des orateurs les plus appréciés de ce Congrès, très en forme, ne lisant jamais son écran d'ordinateur mais, au contraire, toujours en contact visuel avec son public, alliant volontiers le geste à la voix pour se faire comprendre et émaillant son exposé de bons mots avec le plus grand naturel.

26/08/2010 | 

Artur Avila ou les nuits blanches d'un jeune conférencier plénier

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Artur Avila (IMPA, Rio de Janeiro, Brésil - CNRS, France), le plus jeune conférencier plénier de cet ICM 2010, livre ses impressions sur ce dur métier.



En quoi est-ce particulièrement difficile de faire une conférence plénière?


Ce n'est pas le type d'exposé que l'on a l'habitude de faire, avec un résultat à démontrer. Ici, notre rôle est complètement différent. Le public est plus vaste, avec des spécialistes de mon domaine, les systèmes dynamiques, et aussi des personnes extérieures à ce domaine. Je me sentais obligé de communiquer pour le plus grand public possible. Il fallait donc à la fois présenter des choses simples, compréhensibles par les non-spécialistes du domaine, et à la fois présenter mes derniers travaux, tout ceci en une heure.

 Est-ce impressionnant de parler devant un tel auditoire ?


Oui, en plus, je suis assez timide donc quand il y a trop de monde, ça me fait un peu peur. Dans des expériences antérieures, dès qu'il y avait plus de 200 personnes, je regardais vers l'écran et je donnais le dos au public. C'est très efficace pour ne pas voir le public mais ce n'est pas très bon pour la qualité de l'exposé. Ici, il y avait beaucoup plus de monde que cela donc je m'inquiétais un peu de savoir comment j'allais réagir. Finalement, j'ai très peu regardé le public, plutôt l'ordinateur.



L'importance de l'événement augmente-t-elle la pression sur les conférenciers pléniers ?


On est là pour représenter son domaine. On est un peu un porte-parole donc, oui, on a beaucoup de pression.



Comment avez-vous préparé votre exposé ?


J'ai commencé par préparer quelque chose de très ambitieux, il y a longtemps, puis j'ai coupé, coupé, coupé... Je savais depuis avril 2009 que j'étais invité comme conférencier plénier. J'ai décidé presque immédiatement de ce que j'allais faire, mais c'était plus ou moins fixé. Je veux dire, les thèmes généraux étaient fixés mais le découpage était encore à faire. Une autre difficulté, pour moi, c'était l'utilisation des transparents et de l'ordinateur, qui ne laissent pas de place à l'improvisation. D'habitude, je ne fais jamais d'exposé sur ordinateur. Je préfère nettement écrire au tableau, improviser. Donc là, il fallait aussi que je pense aux transparents. Combien de transparents ? Comment les organiser ? Quelle quantité de texte mettre ? Quel contenu ? Je n'avais jamais réfléchi à ça.



Est-ce que d'autres événements de ce type vous ont en quelque sorte servi d'entraînement ?


J'ai eu l'occasion de faire une conférence en Amérique Latine avec un peu les mêmes contraintes. J'ai essayé d'être accessible et les réactions ont démontré que ce que j'avais fait n'était pas vraiment raisonnable. J'ai essayé d'en tirer des leçons pour l'ICM. J'ai aussi fait d'autres essais dans plusieurs endroits des USA, pas exemple à Stanford, Princeton... J'ai parlé des sujets que je voulais présenter ici. C'est là que j'ai vu que c'était trop long et que j'ai commencé à couper.



Aviez-vous le trac ?


Oh, oui. Pire que ça. J'en ai fait des cauchemars. Je ne dors pas très bien depuis plusieurs mois. Toute la préparation s'est accompagnée de beaucoup d'inquiétude. En général je n'ai pas de problème avec l'anglais mais je sais que si je suis trop tendu alors les mots peuvent me manquer. Et puis il y avait les questions du genre "ne pas tourner le dos au public"...



Ce n'est pourtant pas la première fois que vous êtes invité comme conférencier quelque part...


Pour une conférence comme celle-là, non, pas vraiment. J'ai l'habitude de parler devant un public moins nombreux, constitué de spécialistes. Même lors de cette conférence en Amérique Latine, l'auditoire était plus petit et la circonstance moins importante. Là, ma grande préoccupation, c'était la communication. J'ai essayé au début de partir très lentement, sans supposer que les gens savaient même les bases des systèmes dynamiques, et puis à un certain moment j'étais quand même obligé de partir en avant.



Idéalement, que souhaitiez-vous que le public retienne de votre exposé ?


Ici j'ai fait une conférence sur l'utilisation de certaines idées de renormalisation pour certains objectifs en systèmes dynamiques. Je voulais que le public voie quelque chose d'intéressant, qu'il ait le sentiment qu'il s'agit d'une théorie riche, de questions naturelles. Je voulais vraiment faire passer, pour les gens qui ne les connaissent pas, la richesse des systèmes dynamiques, et en même temps leur présenter une idée surprenante, une idée dont un peut penser qu'elle ne va pas marcher au départ, et qui finalement fonctionne. Je voulais montrer qu'il se passe là quelque chose de très joli. Le but n'est pas que les gens comprennent comment ça marche en détail, mais qu'ils s'intéressent à ce qui se passe, qu'ils commencent à voir des choses. C'était ça, mon objectif.



Est-ce qu'il y a des mathématiciens dont vous admirez particulièrement les talents de conférenciers ?


Pour citer des gens connus, je dirais Etienne Ghys. Je savais qu'il ne fallait pas que j'essaye de me comparer à lui, il ne fallait même pas que je pense à lui, mais il était mon président de séance, donc c'était un facteur de pression supplémentaire. Sinon, j'aime beaucoup Mc Mullen également. Ces deux-là ont la faculté de communiquer sur des choses très difficiles. Ils arrivent à convaincre les gens qu'ils ont compris quelque chose qu'a priori il était impossible qu'ils comprennent.



Et maintenant que votre exposé est passé...


Je vais enfin dormir !

25/08/2010 | 

Un roi des échecs conquiert l'ICM 2010

CIMG6384 Mais c'est qu'il volerait presque la vedette aux Médailles Fields !

"Il", c'est Viswanathan Anand, champion du monde d'échecs, et accessoirement attraction du jour. De passage à l'ICM 2010, il se livre au moment où j'écris ces lignes à un match en simultané avec une trentaine de personnes.
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Une importante file d'attente se forme devant la porte de la salle pleine à craquer où se tient la partie. On se bouscule pour avoir une chance d'apercevoir le maître en action.
Ceux qui, comme moi, n'arriveront pas à rentrer, ont tout de même la possibilité de suivre la partie grâce aux écrans installés dans la hall. On peut y voir Arnand (air pépère) s'arrêter deux secondes devant chaque adversaire (hyper concentré, mine crispée), jouer son coup et passer au suivant.
Nul doute qu'il les écrabouillera tous.

Représenter des groupes avec A.N. Parshin

Ce mardi 24 août commence par une conférence de A.N. Parshin (Steklov Mathematical Institute, Russie), "une figure majeure de l'école mathématique russe" pour reprendre les mots de son président de séance M.S. Narasimhan.

L'exposé, intitulé Representations of higher adelic groups and arithmetics, est clair et agréable à suivre, bien que rapidement très pointu. Parshin commence par remarquer quelques analogies entre nombres et fonctions (décomposition en facteurs irréductibles pour les entiers comme pour les fonctions polynomiales, similitude entre séries géométriques et nombres p-adics, ...). Plus tard dans l'exposé, il soulignera les correspondances entre figures géométriques et groupes : entre les courbes arithmétiques et les groupes abéliens, entre les surfaces et les groupes de Heisenberg, pour terminer sur la représentation de groupes nilpotents.
Cette correspondance entre objets mathématiques a priori différents (dans certaines théories il arrive que se rejoignent des objets encore plus éloignés qu'ici), cette possibilité de toujours construire des ponts entre les mondes mathématiques, et, d'une certaine façon, d'unifier la pensée, me semble une des caractéristiques les plus mystérieuses et les plus belles de cette discipline.

A propos d'unifier la pensée, je laisse à Henri Poincaré le mot de conclusion : "Faire des mathématiques, c'est donner le même nom à des choses différentes".

23/08/2010 | 

Petit coup d'oeil sur la conférence de Spielman

Daniel Spielman (Université de Yale) a fait samedi 21 août son exposé de lauréat du prix Nevanlinna. L'objectif des travaux présentés, en gros : savoir résoudre des équations linéaires de type Ax-b vite, c'est à dire en temps linéaire par rapport au nombre d'entrées non nulles de A.
 Une question cruciale que celle du temps de calcul (également abordée plus tôt dans la journée chez I. Dinur) pour les problèmes en grande dimension : tant que le temps de calcul augmente proportionnellement au nombre d'entrées, ça va, c'est gérable, mais si c'est exponentiellement, c'est fichu.
La méthode de Spielman faisait intervenir des graphes et des matrices laplaciennes de graphes.
Honorant son prix Nevanlinna, Daniel Spielman a donné un exposé clair, vivant et bien mené, avec au début des rappels de définitions pour les non-initiés.

La conférence de médaillé de Ngô

CIMG6234 Après Stanislav Smirnov vendredi, Ngô Bao Châu (IAS de Princeton) est le deuxième lauréat de la Médaille Fields à exposer ses travaux en tant que tel.
Son domaine, la géométrie algébrique et plus précisément les formes automorphes, est auréolé d'une réputation à la fois fascinante et effrayante. Ce serait, pour résumer grossièrement, les plus pures des mathématique pures, difficiles voire totalement incompréhensibles par les mathématiciens spécialisés dans d'autres domaines... Autant dire qu'en ce qui me concerne, Ngô pourrait bien faire sa conférence en vietnamien, ce serait du pareil au même.

Un programme, des prix
La conférence porte sur le lemme fondamental, dont la démonstration dans le cas général a valu la Médaille Fields à Ngô Bao Châu. Cette conjecture fait partie d'un grand édifice (un gratte-ciel à vrai dire) des mathématiques contemporaines : le programme de Langlands, un domaine de recherche initié par Robert Langlands en 1967, qui cherche à unifier plusieurs théories mathématiques appartenant à la géométrie, à la théorie des nombres, à l'analyse, avec des techniques qui trouvent leurs origines dans la physique classique et quantique. Le programme de Langlands est un vivier de belles conjectures très profondes et fécondes, et engendre des bataillons mathématiciens primés : Médailles Fields, Prix de recherche Clay, pour ne citer que les plus prestigieux. Le grand théorème de Fermat, peut-être la conjecture la plus connue du grand public, dégommée par Andrew Wiles après 350 de siège, est à classer dans cette grande famille.

Le temps passé à voir de belles mathématiques n'est jamais perdu...
... dirais-je en conclusion pour (presque) paraphraser Cédric Villani (cf. les Paroles de lauréats). Même si celles-ci demeurent quasi-insaisissables, ajouterai-je sans citer personne.
Egalement invité comme conférencier plénier au Congrès, Ngô Bao Châu a probablement fait un effort considérable pour que son exposé ne soit pas trop technique. En tout cas, il me semble beaucoup moins terrifiant que prévu. Faute d'avoir le bagage mathématique nécessaire pour comprendre toute la profondeur et l'impact des travaux présentés ici, je trouve cependant un certain intérêt à entendre la fabuleuse histoire de ce lemme fondamental et à en (re)découvrir les protagonistes : Gérard Laumon, bien sûr - ancien directeur de thèse de Ngô, ainsi que de Laurent Lafforgue, une autre Médaille Fields française, il avait démontré avec Ngô le lemme fondamental dans le cas particulier des groupes unitaires et a démontré par la suite avec Pierre-Henri Chaudouard le lemme fondamental pondéré - mais aussi Laurent Clozel, David Gabai, Michael Harris, Nigel Hitchin, Jean-Pierre Labesse, François Loeser, Richard Taylor, Jean-Loup Waldspurger, ...
22/08/2010 | 

Ma révélation Irit Dinur

Au programme de la matinée du 21 août, il y avait un jeune prodige brésilien, le lauréat du Prix Nevanlinna et un conférencier dont la (bonne) réputation était parvenue jusqu'à mes oreilles*. Ce n'est pourtant aucun de ces trois là - qui ont effectivement fait de très bons exposés, il faut leur rendre justice - qui à mes yeux remporte la palme, mais une brillante jeune femme que je ne connaissais quasiment pas (bon, j'avoue, j'avais vaguement vu circuler son nom sur des blogs où quelques Nostradamus et autres Paul le poulpe tâchaient d'anticiper le palmarès de la Médaille Fields).

*Vous aurez reconnu Artur Avila et Daniel Spielman. Le troisième, c'est Carlos Kenig.

Et dire qu'elle passait après Artur Avila...

CIMG5954 La matinée commence avec Artur Avila, le plus jeune des conférenciers pléniers, ex-star des Olympiades et mathématicien précoce bien connu à Paris. J'étais impatiente de voir sa conférence, d'autant que son domaine - les systèmes dynamiques - est de ceux qui piquent ma curiosité au moins depuis la prime enfance, c'est à dire le TIPE de sup. Artur Avila est présenté dans une introduction extrêmement élogieuse (je cite : "chacun de ses articles est un chef d'oeuvre, un tour de force") de son président de séance, Etienne Ghys - pas le moins impressionnant des orateurs, cela dit en passant -, qui semble sincèrement admiratif de ce jeune homme décidément hors du commun.
CIMG5946 CIMG5947 CIMG5951 Un peu nerveux, peut-être, mais toujours passionnant, Artur Avila nous parle de renormalisation dans un exposé énergique et très visuel - un des aspects sympathiques des systèmes dynamiques - avec diagramme de bifurcation et papillon de Hofstadter entre autres choses.

Puis c'est au tour de la jeune mathématicienne israélienne Irit Dinur (The Weizmann Institute of Science Rehovot) d'entrer en scène.

Epatante Irit Dinur

CIMG5972 Evidemment, il faudrait demander ce qu'en pensent les vrais pros, mais cette prestation d'Irit Dinur est exactement ce que la non-mathématicienne que je suis aimerait voir tous les jours : des mathématiques enthousiasmantes, surprenantes, belles et admirablement racontées. L'entrée en matière est aussi comme je les aime : des questions abstraites et profondes, à la fois très mathématiques et très universelles. Le raisonnement fait intervenir des idées simples, presque enfantines, le genre d'idée dont on se dit : "Mais c'est bien sûr ! Comment n'y a-t-on pas pensé plus tôt ?" Voilà, à chaud et dans le désordre, mes sentiments en sortant de la conférence d'Irit Dinur (qui a, entre autres dons, une voix magnifique).
Bon, mais alors de quoi s'agit-il ?
Le titre de l'exposé est "Probabilistically checkable proofs and codes" mais avant d'entrer dans le vif du sujet, Irit Dinur nous invite à nous poser toutes sortes de questions préliminaires : qu'est-ce qu'une preuve ? quelle est la différence entre un problème et sa solution ? entre un théorème et sa démonstration ? ... Peut-être est-ce dû à l'art de l'oratrice, mais il me semble que l'on va au-delà des mathématiques pour toucher à la question du sens dans toute sa généralité.
Pour la suite, l'idée (on l'aura compris) est de pouvoir s'assurer de la validité d'une preuve sans la vérifier entièrement, en se basant sur les probabilités.

Le coup de la confiture

CIMG5964 Imaginez que vous êtes aveugle et que l'on vous présente une tartine de pain sur laquelle il y a peut-être (ou pas) un tout petit peu de confiture concentré sur une toute petite zone, presqu'un point. Vous pouvez goûter la tartine pour savoir s'il y a de la confiture dessus,  mais le risque de vous tromper est grand : facile de mordre une zone non garnie et d'en déduire à tort qu'il n'y a rien sur la tartine. Vous pouvez aussi tartiner avec votre couteau. Si la tartine n'a pas de confiture vous tartinez de l'air (pas grave, le ridicule ne tue pas), mais si confiture il y a, vous l'étalez un peu partout sur le pain. Ensuite, en mordant dans la tartine, vous saurez avec quasi-certitude si elle était garnie ou pas.
L'idée est de se comporter avec une preuve comme avec une tartine : en étalant l'erreur pour la rendre décelable (par une transformation qui bien sûr conserve la qualité "sans erreur" si la démonstration est correcte).

P vs NP, graphes coloriables avec trois couleurs et théorème PCP

Dans la suite de l'exposé, il est question du fameux problème à 1 million de dollars P vs NP, du problème consistant à déterminer si un graphe est coloriable avec trois couleurs seulement (le problème le plus dur dans NP), du lien entre les deux, et enfin du théorème PCP (qui dit que tout problème de décision dans NP a de solutions probabilistiquement vérifiables) dont Irit Dinur a fourni une preuve combinatoire, et qui intervient dans les questions de robustesse ou d'approximation aussi bien en combinatoire qu'en algèbre ou en analyse.
Il est impossible de commencer à raconter tout ceci sans être excessivement longue alors je dirai simplement que, là encore, la clarté de l'exposé est tel que tout semble couler de source, la synthèse des idées est très efficace et permet d'aborder une foule de choses en peu de temps, et surtout, l'enthousiasme de la conférencière est terriblement communicatif.

En conclusion, j'espère que cette jeune chercheuse enseigne (sinon, que d'étudiants perdus pour la cause !). J'espère aussi qu'elle obtiendra très vite un grand prix très prestigieux, qu'elle dégommera P vs NP ou que sais-je. Je n'ai évidemment pas la moindre compétence pour juger qui mérite un prix ou un million de dollars. Si j'ose penser aux récompenses et à la médiatisation qui s'ensuit, c'est parce qu'en quittant l'auditorium, je suis tellement ravie que je souhaite au monde entier d'avoir un jour la chance de voir une conférence d'Irit Dinur.
21/08/2010 | 

De Shing-Shen Chern à Louis Nirenberg

Après l'émotion de la cérémonie du 19 août (cliquez ici), cette matinée du 20 août, présidée par l'actuel président de l'IMU Laszlo Lovasz, est consacrée aux Prix Gauss et Chern.

Shing-Shen Chern
CIMG5831 Le premier temps de la matinée est un hommage au mathématicien chinois Shing-Shen Chern, qui donne son nom au tout dernier prix décerné lors de l'ICM, remis hier au mathématicien américain Louis Nirenberg.
La vie, la personnalité et l'oeuvre de ce grand géomètre sont évoquées par sa fille, May Chu, présente à l'ICM, par le mathématicien et ancien disciple de Chern, Robert Bryant, et à travers des enregistrements vidéos montrant Chern lui-même, les mathématiciens qu'il a inspirés comme Bertram Kostant, Philip Griffiths, Isadore M. Singer, Robert Osserman, Gang Tian...  ou encore le célèbre philanthrope et ami des mathématiques Jim Simons, qui eut la chance de le connaître.
C'est l'occasion de découvrir un personnage étonnant, à la fois un mathématicien important et un grand professeur, exceptionnel par son charisme, son influence sur ses étudiants et collègues, ses contributions fondamentales en géométrie (ses travaux sur le théorème d'équivalence de Cartan, sa preuve du théorème de Gauss-Bonnet, ses recherches en géométrie kählerienne, en géométrie différentielle... ), ses amitiés et collaborations avec des géants tels Elie Cartan ou André Weil...
"Reasonably tall but a large head", retiendra-t-on en conclusion.

Louis Nirenberg
Nir8 Dans un deuxième temps, le mathématicien Van Van Li présente les travaux du lauréat de la Médaille Chern : Louis Nirenberg (cliquez ici pour en savoir plus sur les prix décernés le 19 août).
On découvre que, dès sa thèse, Nirenberg s'est attaqué avec succès à deux problèmes ouverts coriaces de géométrie différentielle : le problème de Weyl et le problème Minkowski. Ce préambule détonnant ouvrait une carrière féconde, émaillée de contributions remarquables qui marqueront non seulement la géométrie (en particulier la géométrie différentielle), mais aussi d'autres domaines comme les équations aux dérivées partielles linéaires et non linéaires, la mécanique des fluides, les systèmes dynamiques, ... On retiendra aussi les interactions de Nirenberg avec d'autres grands noms des mathématiques contemporaines comme Chern, Fefferman ou Hormander. Ses qualités d'enseignant sachant guider ses étudiants, leur transmettre savoir, sagesse et amour des mathématiques sont également soulignées. Avant cette Médaille Chern, Louis Nirenberg a reçu plusieurs distinctions importantes au cours de sa carrière : les prix Bôcher, Crafoord, le Steele Prize for Lifetime Achievement et la National Medal of Science des Etats-Unis.

Paroles de lauréats (et d'autres)

Voici quelques phrases glanées durant la conférence de presse des lauréats, qui a eu lieu juste après la remise des prix (cliquez ici pour un aperçu de la cérémonie).

De l'utilité des mathématiques
"Pourquoi les mathématiques sont-elles utiles ? Ceci reste un mystère." Yves Meyer
"Que l'univers puisse être décrit est déjà extraordinaire." Louis Nirenberg citant Einstein

Un message pour les jeunes
"Quel que soit le temps passé à faire des mathématiques, ce n'est jamais du temps perdu." Cédric Villani
"Si vous êtes mu par une insatiable curiosité à comprendre les choses, la vie, alors faites de la science." Louis Nirenberg rappelant le conseil du grand physicien Richard Feynman

De l'intérêt de chaque lauréat pour les travaux des autres et de la différence entre les domaines mathématiques
"Nous comprenons presque tout, mais pas dans le détail. On ne peut pas tout savoir." Stanislav Smirnov
"J'ai commencé par m'intéresser à la théorie des nombres. Ensuite, je suis passé à un autre sujet, puis encore à un autre. Quand vous abordez un nouveau domaine, vous lui apportez des idées nouvelles, vous le changez aussi. On a la capacité de comprendre plusieurs choses très diverses." Yves Meyer
"Les mathématiques ne sont pas faites d'îlots coupés les uns des autres." Yves Meyer
"Non seulement les différents domaines des mathématiques interagissent entre eux, mais d'autres disciplines, la physique par exemple, peuvent leur apporter de nouvelles questions." Louis Nirenberg
"Nous vivons dans un monde où les télécommunications sont de plus en plus performantes et de plus en plus omniprésentes, et, paradoxalement, il est aussi de plus en plus important pour les mathématiciens de se rencontrer lors de conférences, de discuter... c'est bien plus efficace que la simple lecture des travaux des uns et des autres." Cédric Villani

Maths pures vs. maths appliquées
"L'opposition faite entre mathématiques pures et mathématiques appliquées n'existe pas en réalité. Il existe des mathématiques dites appliquées dont les applications n'existaient pas encore au moment où ces théories ont été formulées." Yves Meyer
"L'inspiration mathématique peut venir de partout." Cédric Villani

Pourquoi si peu de femmes en maths ?
"Ce n'est pas une question d'aptitudes naturelles mais de contexte culturel et social. Cela est également dû au fait que les mathématiques nécessitent d'avoir du temps à leur consacrer et d'avoir l'esprit libre, or les tâches ménagères et éducatives, à la maison, incombent encore souvent aux femmes." Indrig Daubechies, nouvelle présidente élue de l'IMU

A quand un grand projet sur lequel travailleraient des mathématiciens du monde entier ?
"Les mathématiques sont trop vastes et trop riches pour être réduites à un ou quelques grands projets." Laszlo Lovasz, président en exercice de l'IMU
"En mathématiques, il se passe souvent des choses tout à fait inattendues. Il ne faut pas trop planifier les choses." Cédric Villani


La cérémonie de remise des prix (19 août 2010)

19 août 2010. La cérémonie a lieu dans l'immense salle principale du centre de congrès. Nous sommes accueillis par un concert de tabla qui nous permet de ne pas nous endormir pendant l'inévitable attente qui précède l'arrivée de Mme la Présidente de la République indienne, Pratibha Patil, qui remettra les différents prix. Les consignes de sécurité exigées par l'honorable présence interdisaient théoriquement d'amener le moindre appareil photo, téléphone. ordinateur... Ayant commis l'erreur de les respecter scrupuleusement, je constate que ceux qui ont enfreint la règle ne sont absolument pas inquiétés ("This is India", dira-t-on pour me rassurer). Il faudra ruser pour les photos.

Je ne résiste pas au bon mot de la maîtresse de cérémonie lors de l'allocution d'ouverture (un joli discours mêlant évidemment mathématiques, histoire et culture de l'Inde et de la ville d'Hyderâbâd) : "No statement about India is either true or false and it is the only statement that is true about India."
Puisqu'on en est aux paroles de sagesse, voici le secret de la phrase en sanskrit gravée sur le logo de l'ICM 2010 : Aano bhadrah kratavo yanti vishvatah, ce qui signifie Laissons les nobles pensées venir de toutes les directions. Riche idée.

Mme la Présidente, petite dame distinguée aussi menue que le pays est grand, arrive enfin sur fond d'hymne national. La Cérémonie proprement dite peut commencer. Quelques flammes rituelles et propos  solennels plus tard, c'est le grand moment : les lauréats sont nommés et montent sur l'estrade. dans l'ordre : Elon Lindenstrauss, Ngô Bao Chau, Stanislav Smirnov et Cédric Villani pour la Médaille Fields, puis Daniel Spielman pour le Prix Nevanlinna, puis Yves Meyer pour le Prix Gauss et enfin Louis Nirenberg pour la Médaille Chern.

Comme tout le monde (enfin, tout le monde...), je trouve que le chauvinisme est un sentiment idiot, et pourtant je me réjouis tout particulièrement des prix de Ngô Bao Chau, de Cédric Villani et d'Yves Meyer. Les quelques mots présentant les lauréats tandis qu'ils entrent en scène soulignent d'ailleurs les origines ou appartenances culturelles multiples de nombre d'entre eux : Ngô est franco-vietnamien, Nirenberg est né au Canada mais vit et travaille aux USA, Smirnov est suisse d'origine russe. C'est en tout cas sans chauvinisme aucun que je note que Villani a encore la meilleure cravate.