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août 2010

30/08/2010

Le Congrès est terminé, vive le Congrès !

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Le Congrès International des Mathématiciens 2010 est terminé et on connaît le pays organisateur de la prochaine édition : la Corée.

Rendez-vous donc à Séoul pour l'ICM 2014 !

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Quant à l'autre congrès majeur en mathématiques, le Congrès Européen, il aura lieu en juillet 2012 à Cracovie.

Ingrid Daubechies, présidente de l'IMU

CIMG6512 La mathématicienne belge Ingrid Daubechies (professeur à Princeton) est la nouvelle présidente élue de l'Union Internationale de Mathématiques (IMU), où elle prendra la succession de László Lovász (qui vient de recevoir le Prix de Kyoto) le 1er janvier 2011. Entre deux conférences du Congrès International des Mathématiciens, cette spécialiste de la transformée en ondelettes a répondu à quelques questions sur ses nouvelles fonctions.

Quel est le rôle de l'IMU ?
L'IMU regroupe les associations nationales de mathématiques qui désirent y adhérer. Outre l'organisation du Congrès International, dont elle désigne le président du comité de programme, elle a principalement deux fonctions :
 - favoriser les liens entre les mathématiciens qui font de la recherche et ceux qui s'occupent d'éducation (y compris dans le secondaire),
 - créer un climat favorable à l'avancement et à la transmission des mathématiques dans les pays en voie de développement, et notamment faire croître la communauté mathématique de ces pays. En effet, non seulement cela est primordial pour y faire émerger des mathématiciens de talent, mais cela contribue aussi au développement technologique de ces pays.

Est-ce que le fait d'avoir organisé l'ICM 2010 en Inde, par exemple, a un impact pour les mathématiques de ce pays ?
Chaque pays qui organise l'ICM en retire un avantage. Sa communauté mathématique y trouve un atout politique, un argument pour peser à l'intérieur du pays. Elle y gagne également en termes de visibilité, notamment pour attirer les jeunes. L'ICM permet de faire venir à moindre frais un grand nombre de mathématiciens d'envergure, y compris pour assister aux événements satellites qui ont lieu avant ou après le Congrès.

Vous êtes la première femme élue à l'IMU. Pensez-vous que cela puisse avoir un quelconque impact ?
J'espère que oui. Cela peut être stimulant pour de jeunes femmes. Ici, plusieurs femmes indiennes sont venues me voir. Elles avaient étudié mon travail et semblaient tirer davantage de plaisir à savoir qu'il s'agissait de l'oeuvre d'une femme. De grands obstacles subsistent encore dans certains pays pour que l'opinion accepte l'idée que les femmes peuvent faire des maths. J'espère que le fait que la présidente de l'IMU soit une femme contribuera à l'érosion de ce genre de préjugés.

Qu'espérez-vous accomplir durant votre mandat ?

J'ai évoqué précédemment les principales fonctions de l'IMU. Pour moi elles sont toutes essentielles donc j'espère vraiment me rendre utile sur tous ces points. J'espère aussi améliorer la visibilité de l'IMU afin qu'elle puisse accomplir ses missions de manière plus efficace. Enfin, l'IMU doit contribuer à donner une vue d'ensemble des actions menées dans le monde en faveur des mathématiques, afin qu'une expérience ayant fonctionné dans un pays soit également profitable à d'autres et que chaque initiative ait finalement plus d'impact.

27/08/2010

Coup d'oeil sur l'infini avec Woodin

Je ne pouvais pas rater cette conférence de Hugh Woodin (Université de Berkeley, USA) intitulée Strong axioms of infinity and the search for V. Ces mathématiques qui consistent en gros à s'amuser avec des ensembles abstraits à l'aide de règles logiques non moins abstraites, sont celles qui me fascinent depuis toujours. Il me semble que c'est à cet endroit-là que les mathématiques se rapprochent le plus de l'art. C'est un voyage dans des mondes imaginaires, des constructions étranges, des édifices dont les pierres semblent extraites de l'esprit de quelques fous. On a envie de situer cela entre le conte et le jeu de légos. Et en même temps, tout le reste repose dessus.

Dans sa conférence, Woodin convoque le grand (et fou) Kurt Gödel, mais aussi Baire, Luzin, Scott, Martin, Steel , ... et lui-même (il est question de "cardinaux de Woodin", qui reviennent souvent) pour parler logique, théorie des ensembles, paradoxes, fondements, infinis, axiomes contradictoires, univers constructible, déterminabilité, consistance... C'est l'occasion de se poser le genre de questions qui empêchent de dormir, et de trouver - quand on trouve - des réponses surprenantes !

Yavana par ci, Yavana par là...

Indian rules, Yavana rules: foreign identity and the transmission of mathemathématics, par Kim Plofker (Brown university, USA), était une conférence d'histoire des sciences qui portait sur les échanges entre les Grecs (puis les Européens) - ce sont eux, les Yavanas - et les Indiens de l'Antiquité et du Moyen-Age. On y retrouve Brahmagupta, le zéro, l'invention géniale que fut la notation de position, la méthode de calcul par double fausse position (ni ingénieuse, ni indienne, ouf !), Ménandre 1er, Al Khwarizmi, les chiffres arabes qui sont en fait indiens, ... et surtout la relation complexe entre cultures scientifiques (et pas seulement) indienne et occidentale, faite d'emprunts, d'admiration et de méfiance réciproque.

Une conférence pas désagréable mais où je n'ai somme toute pas l'impression d'avoir appris grand chose. Un peu détonnante parmi les autres exposés pléniers.

Impression : Claire Voisin ou la force de l'insatisfaction

J'ai hésité à écrire cette chronique car, outre le fait qu'elle ne raconte pas vraiment de maths, elle ne va pas forcément dans le sens du discours que je devrais tenir. La vulgarisation consiste, dans une certaine mesure, à rassurer son public. Comme on ne doit pas négliger l'autosuggestion, il vaut mieux affirmer que les maths sont faciles, agréables et riantes, plutôt que le contraire. Il faut ajouter que si elles semblent parfois farouches, c'est au fond pour mieux se laisser apprivoiser. C'est le point de vue que j'aurais probablement défendu si j'avais pris la parole, par exemple, lors de la table ronde Communicating mathematics to society at large (voir la note "Communiquer sur les mathématiques")
C'est pourtant une autre réflexion qui me vient quand je repense à la conférence de Claire Voisin (IMJ, CNRS, France).

Intitulée On the cohomology of algebraic varieties - de la géométrie algébrique, donc, cette branche réputée difficile des maths -, cette conférence est la troisième de la matinée du 25 août. Le président de séance, C.S. Seshadri rappelle brièvement le parcours de la brillante géomètre française, émaillé de récompenses : médaille de bronze du CNRS, puis d'argent, Sato Prize, Prix Sophie Germain, Clay research award... Un sujet impressionnant, une conférencière impressionnante.

On sent que Claire Voisin essaye de commencer doucement, en définissant les variétés complexes. Il n'empêche que, très vite, je trouve l'exposé ardu, ne serait-ce qu'à cause du vocabulaire spécifique (structure de Hodge, classe de cohomologie, variété khälerienne, nombres de Betti, classes de Chern...) que je ne maîtrise pas ou n'intègre pas assez vite malgré les rappels de définitions. Je pourrais conclure en disant que décidément, on peut toujours parler de géométrie algébrique, mais pas avec n'importe qui. Pourtant, même à mon (très faible) niveau, cet exposé parle de quelque chose et comporte un aspect foncièrement fascinant.

Claire Voisin semble assez nerveuse, pas vraiment à l'aise. Plus exactement : pas contente d'elle-même. Pas même lorsqu'elle évoque des théorèmes importants qu'elle a démontrés. C'est loin d'être le cas de tous les mathématiciens qui défilent à l'ICM (et après tout, on peut bien avoir le sourire aux lèvres quand on évoque un résultat, une théorie, un objet mathématique qui porte son propre nom). Paradoxalement, quelque chose de très fort se dégage de la conférencière et donne envie de la suivre, face au vent, jusqu'au bout de l'exposé. C'est de l'ordre de la lutte âpre, de l'escalade d'une montagne imposante par la face Nord, mais (comme pour l'alpinisme extrême, j'imagine) c'est justement parce que c'est âpre que c'est intéressant.

Je me rappelle la réponse de Claire Voisin à une question banale que je lui avais posée en interview, à savoir "quelle qualité est indispensable pour faire des mathématiques ?". Au lieu des habituelles "créativité", "rigueur" ou "persévérance", elle avait prononcé le mot "insatisfaction". C'est peut-être de cela qu'il est question ici, au delà de la théorie de Hodge : la force de l'insatisfaction, son rôle moteur dans la recherche, sa puissance de fascination.

Pour en revenir à la question de populariser les mathématiques, je me demande quand même si l'insatisfaction est un bon argument de vente. Peut-être pour les amateurs de sports extrêmes...

La conférence de médaillé de Lindenstrauss

La dernière des quatre conférences des Médaillés Fields était donnée le 25 août par Elon Lindenstrauss (Université Hébraïque de Jérusalem, Israël).

Introduit par son président de séance Hillel Furstenberg, le lauréat a présenté ses travaux, qui établissent des liens entre la théorie ergodique (qui étudie les transformations préservant la mesure) et la théorie des nombres (on retrouve une fois de plus cette qualité de bâtisseur de ponts entre théories mathématiques).
C'était l'occasion de découvrir la conjecture de Furstenberg-Margulis (qui s'intéresse à l'action du sous-groupe des matrices diagonales positives sur l'espace des réseaux unimodulaires, et qui dit que les seules mesures préservées par cette transformation sont les cas triviaux) et ses applications à la conjecture de Littlewood, un problème ouvert qui s'intéresse à l'approximation diophantienne (c'est à dire l'approximation des nombres réels par des rationnels).


Malgré les qualités d'orateur d'Elon Lindenstrauss, l'exposé devenait vite difficile pour qui ne maîtrise pas le vocabulaire propre à ces théories.

Yves Meyer, lauréat du prix Gauss 2010

C'est Ingrid Daubechies, la nouvelle présidente élue de l'IMU, qui fut chargée de présenter l'oeuvre du lauréat du Prix Gauss 2010 : Yves Meyer (Membre de l'Académie des Sciences, Membre senior de l'IUF, France).
Vaste entreprise, puisqu'Yves Meyer est l'auteur de contributions importantes en théorie des nombres, en analyse harmonique, en EDP (équations de Navier Stokes, inégalités), en analyse d'images, en compression...
De son oeuvre, qui touche aussi bien aux mathématiques dites "pures" qu'à celles qualifiées d'"appliquées" (qu'Yves Meyer refuse d'ailleurs d'opposer, cf. Paroles de lauréats en cliquant ici), on retiendra entre autres choses sa caractérisation des nombres transcendants, ses travaux sur les pavages apériodiques du plan, ceux sur les ondelettes (que l'on retrouve par exemple dans la norme JPEG et dont il est un des pionniers avec entre autres Stéphane Mallat et ... Ingrid Daubechies !), ses méthodes pour "nettoyer" une image sans l'altérer, ses travaux sur la théorie de Calderon-Zygmund en analyse de Fourier...
Après cet inventaire impressionnant, Ingrid Daubechie souligne également les qualités humaines d'Yves Meyer, sa générosité, son caractère chaleureux et enthousiaste.
A la sortie de cet exposé clair, agréable à suivre, instructif sans être trop technique, on est plus que jamais admiratif du don d'ubiquité d'Yves Meyer, touche à tout de talent, et de la synthèse des mathématiques qu'il incarne.

Communiquer sur les mathématiques

La table ronde Communicating mathematics to society at large, avec des intervenants allemand, britannique, canadien, états-unien, indien, fut l'occasion de glaner quelques idées et surtout, pour ma part, de me conforter dans deux certitudes : OUI, les mathématiques sont vulgarisables, y compris les plus abstraites. Et NON, ce ne sont pas (seulement) leurs applications qui sont intéressantes au yeux du grand public, mais bien les mathématiques elles-mêmes, prises comme une fin en soi, comme l'art.

Simon Singh, roi des vulgarisateurs

Après cette table ronde, il était naturel d'enchaîner sur la conférence de Simon Singh, un des rois de la vulgarisation mathématique. Egal à lui-même, Singh livre une prestation pleine d'humour et d'énergie, montrant des extraits de son film sur Andrew Wiles (on revoit cette séquence exceptionnelle des larmes de Wiles alors qu'il se remémore le moment où il pense avoir trouvé LA démonstration du grand théorème de Fermat), expliquant comment et pourquoi il a truqué une interview de Conway, racontant comment il a convaincu Katie Melua, une chanteuse pop à succès de modifier les paroles scientifiquement ineptes d'un de ses tubes... Frais et enthousiasmant !

La conférence de médaillé de Smirnov

Stanislav Smirnov (Université de Genève, Suisse) était le premier Médaillé Fields à donner sa conférence à l'ICM 2010, le vendredi 21 août. Clair, dynamique, illustré, son exposé est l'occasion de découvrir les fonctions préholomorphes, qui sont des fonctions harmoniques holomorphes définies sur des sous domaines du plan complexe et des surfaces de Riemann.

L'approche suivie par Smirnov est historique et recense les apparitions de ces fonctions. Ainsi, on les retrouve aussi bien dans les travaux du physicien Kirchhoff à la fin du XIXe siècle, que dans des questions de pavages de rectangles par des carrées dans les années 1940. Aujourd'hui, ces fonctions jouent en particulier un rôle important dans la physique statistique.

La conférence de médaillé de Villani

Autre très bel exposé mardi 24 août : la première conférence de Cédric Villani (ENS Lyon, IHP, France, sans doute le lauréat le plus photographié du congrès, cela dit en passant) depuis sa Médaille Fields.

Le conférencier nous fait rêver dès le début de l'exposé en nous emmenant voir un "gaz d'étoiles" grâce à un film de Dubinski, avant de convoquer Boltzman, Vaslov et Landau, pour nous parler de la cinétique des plasmas. On retiendra en particulier l'étonnante théorie du "damping" de Landau, ce phénomène de retour à l'équilibre qui a lieu lorsque l'on perturbe les particules d'un plasma, et qui en garantit par conséquent la stabilité.