août 2010
Ingrid Daubechies, présidente de l'IMU
Quel est le rôle de l'IMU ?
L'IMU regroupe les associations nationales de mathématiques qui désirent y adhérer. Outre l'organisation du Congrès International, dont elle désigne le président du comité de programme, elle a principalement deux fonctions :
- favoriser les liens entre les mathématiciens qui font de la recherche et ceux qui s'occupent d'éducation (y compris dans le secondaire),
- créer un climat favorable à l'avancement et à la transmission des mathématiques dans les pays en voie de développement, et notamment faire croître la communauté mathématique de ces pays. En effet, non seulement cela est primordial pour y faire émerger des mathématiciens de talent, mais cela contribue aussi au développement technologique de ces pays.
Est-ce que le fait d'avoir organisé l'ICM 2010 en Inde, par exemple, a un impact pour les mathématiques de ce pays ?
Chaque pays qui organise l'ICM en retire un avantage. Sa communauté mathématique y trouve un atout politique, un argument pour peser à l'intérieur du pays. Elle y gagne également en termes de visibilité, notamment pour attirer les jeunes. L'ICM permet de faire venir à moindre frais un grand nombre de mathématiciens d'envergure, y compris pour assister aux événements satellites qui ont lieu avant ou après le Congrès.
Vous êtes la première femme élue à l'IMU. Pensez-vous que cela puisse avoir un quelconque impact ?
J'espère que oui. Cela peut être stimulant pour de jeunes femmes. Ici, plusieurs femmes indiennes sont venues me voir. Elles avaient étudié mon travail et semblaient tirer davantage de plaisir à savoir qu'il s'agissait de l'oeuvre d'une femme. De grands obstacles subsistent encore dans certains pays pour que l'opinion accepte l'idée que les femmes peuvent faire des maths. J'espère que le fait que la présidente de l'IMU soit une femme contribuera à l'érosion de ce genre de préjugés.
Qu'espérez-vous accomplir durant votre mandat ?
J'ai évoqué précédemment les principales fonctions de l'IMU. Pour moi elles sont toutes essentielles donc j'espère vraiment me rendre utile sur tous ces points. J'espère aussi améliorer la visibilité de l'IMU afin qu'elle puisse accomplir ses missions de manière plus efficace. Enfin, l'IMU doit contribuer à donner une vue d'ensemble des actions menées dans le monde en faveur des mathématiques, afin qu'une expérience ayant fonctionné dans un pays soit également profitable à d'autres et que chaque initiative ait finalement plus d'impact.
Coup d'oeil sur l'infini avec Woodin
Dans sa conférence, Woodin convoque le grand (et fou) Kurt Gödel, mais aussi Baire, Luzin, Scott, Martin, Steel , ... et lui-même (il est question de "cardinaux de Woodin", qui reviennent souvent) pour parler logique, théorie des ensembles, paradoxes, fondements, infinis, axiomes contradictoires, univers constructible, déterminabilité, consistance... C'est l'occasion de se poser le genre de questions qui empêchent de dormir, et de trouver - quand on trouve - des réponses surprenantes !
Yavana par ci, Yavana par là...
Une conférence pas désagréable mais où je n'ai somme toute pas l'impression d'avoir appris grand chose. Un peu détonnante parmi les autres exposés pléniers.
Impression : Claire Voisin ou la force de l'insatisfaction
C'est pourtant une autre réflexion qui me vient quand je repense à la conférence de Claire Voisin (IMJ, CNRS, France).
Intitulée On the cohomology of algebraic varieties - de la géométrie algébrique, donc, cette branche réputée difficile des maths -, cette conférence est la troisième de la matinée du 25 août. Le président de séance, C.S. Seshadri rappelle brièvement le parcours de la brillante géomètre française, émaillé de récompenses : médaille de bronze du CNRS, puis d'argent, Sato Prize, Prix Sophie Germain, Clay research award... Un sujet impressionnant, une conférencière impressionnante.
On sent que Claire Voisin essaye de commencer doucement, en définissant les variétés complexes. Il n'empêche que, très vite, je trouve l'exposé ardu, ne serait-ce qu'à cause du vocabulaire spécifique (structure de Hodge, classe de cohomologie, variété khälerienne, nombres de Betti, classes de Chern...) que je ne maîtrise pas ou n'intègre pas assez vite malgré les rappels de définitions. Je pourrais conclure en disant que décidément, on peut toujours parler de géométrie algébrique, mais pas avec n'importe qui. Pourtant, même à mon (très faible) niveau, cet exposé parle de quelque chose et comporte un aspect foncièrement fascinant.
Claire Voisin semble assez nerveuse, pas vraiment à l'aise. Plus exactement : pas contente d'elle-même. Pas même lorsqu'elle évoque des théorèmes importants qu'elle a démontrés. C'est loin d'être le cas de tous les mathématiciens qui défilent à l'ICM (et après tout, on peut bien avoir le sourire aux lèvres quand on évoque un résultat, une théorie, un objet mathématique qui porte son propre nom). Paradoxalement, quelque chose de très fort se dégage de la conférencière et donne envie de la suivre, face au vent, jusqu'au bout de l'exposé. C'est de l'ordre de la lutte âpre, de l'escalade d'une montagne imposante par la face Nord, mais (comme pour l'alpinisme extrême, j'imagine) c'est justement parce que c'est âpre que c'est intéressant.Je me rappelle la réponse de Claire Voisin à une question banale que je lui avais posée en interview, à savoir "quelle qualité est indispensable pour faire des mathématiques ?". Au lieu des habituelles "créativité", "rigueur" ou "persévérance", elle avait prononcé le mot "insatisfaction". C'est peut-être de cela qu'il est question ici, au delà de la théorie de Hodge : la force de l'insatisfaction, son rôle moteur dans la recherche, sa puissance de fascination.
Pour en revenir à la question de populariser les mathématiques, je me demande quand même si l'insatisfaction est un bon argument de vente. Peut-être pour les amateurs de sports extrêmes...La conférence de médaillé de Lindenstrauss
Introduit par son président de séance Hillel Furstenberg, le lauréat a présenté ses travaux, qui établissent des liens entre la théorie ergodique (qui étudie les transformations préservant la mesure) et la théorie des nombres (on retrouve une fois de plus cette qualité de bâtisseur de ponts entre théories mathématiques). C'était l'occasion de découvrir la conjecture de Furstenberg-Margulis (qui s'intéresse à l'action du sous-groupe des matrices diagonales positives sur l'espace des réseaux unimodulaires, et qui dit que les seules mesures préservées par cette transformation sont les cas triviaux) et ses applications à la conjecture de Littlewood, un problème ouvert qui s'intéresse à l'approximation diophantienne (c'est à dire l'approximation des nombres réels par des rationnels).
Malgré les qualités d'orateur d'Elon Lindenstrauss, l'exposé devenait vite difficile pour qui ne maîtrise pas le vocabulaire propre à ces théories.
Yves Meyer, lauréat du prix Gauss 2010
Vaste entreprise, puisqu'Yves Meyer est l'auteur de contributions importantes en théorie des nombres, en analyse harmonique, en EDP (équations de Navier Stokes, inégalités), en analyse d'images, en compression...
De son oeuvre, qui touche aussi bien aux mathématiques dites "pures" qu'à celles qualifiées d'"appliquées" (qu'Yves Meyer refuse d'ailleurs d'opposer, cf. Paroles de lauréats en cliquant ici), on retiendra entre autres choses sa caractérisation des nombres transcendants, ses travaux sur les pavages apériodiques du plan, ceux sur les ondelettes (que l'on retrouve par exemple dans la norme JPEG et dont il est un des pionniers avec entre autres Stéphane Mallat et ... Ingrid Daubechies !), ses méthodes pour "nettoyer" une image sans l'altérer, ses travaux sur la théorie de Calderon-Zygmund en analyse de Fourier...
Après cet inventaire impressionnant, Ingrid Daubechie souligne également les qualités humaines d'Yves Meyer, sa générosité, son caractère chaleureux et enthousiaste.
A la sortie de cet exposé clair, agréable à suivre, instructif sans être trop technique, on est plus que jamais admiratif du don d'ubiquité d'Yves Meyer, touche à tout de talent, et de la synthèse des mathématiques qu'il incarne.
Communiquer sur les mathématiques
Simon Singh, roi des vulgarisateurs
Après cette table ronde, il était naturel d'enchaîner sur la conférence de Simon Singh, un des rois de la vulgarisation mathématique. Egal à lui-même, Singh livre une prestation pleine d'humour et d'énergie, montrant des extraits de son film sur Andrew Wiles (on revoit cette séquence exceptionnelle des larmes de Wiles alors qu'il se remémore le moment où il pense avoir trouvé LA démonstration du grand théorème de Fermat), expliquant comment et pourquoi il a truqué une interview de Conway, racontant comment il a convaincu Katie Melua, une chanteuse pop à succès de modifier les paroles scientifiquement ineptes d'un de ses tubes... Frais et enthousiasmant !
La conférence de médaillé de Smirnov
Stanislav Smirnov (Université de Genève, Suisse) était le premier Médaillé Fields à donner sa conférence à l'ICM 2010, le vendredi 21 août. Clair, dynamique, illustré, son exposé est l'occasion de découvrir les fonctions préholomorphes, qui sont des fonctions harmoniques holomorphes définies sur des sous domaines du plan complexe et des surfaces de Riemann.
L'approche suivie par Smirnov est historique et recense les apparitions de ces fonctions. Ainsi, on les retrouve aussi bien dans les travaux du physicien Kirchhoff à la fin du XIXe siècle, que dans des questions de pavages de rectangles par des carrées dans les années 1940. Aujourd'hui, ces fonctions jouent en particulier un rôle important dans la physique statistique.
La conférence de médaillé de Villani
Le conférencier nous fait rêver dès le début de l'exposé en nous emmenant voir un "gaz d'étoiles" grâce à un film de Dubinski, avant de convoquer Boltzman, Vaslov et Landau, pour nous parler de la cinétique des plasmas. On retiendra en particulier l'étonnante théorie du "damping" de Landau, ce phénomène de retour à l'équilibre qui a lieu lorsque l'on perturbe les particules d'un plasma, et qui en garantit par conséquent la stabilité.