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16/12/2009 | 

L’intelligence en réseau : think local, act local

En principe, il n’y a rien de plus pyramidal qu’un processus soumis à une négociation internationale. Pourtant la négociation sur le climat montre une réalité plus multiforme.Jusqu’à présent, les États disposaient, par les circuits de remontée des statistiques, la production d’expertise et l’évaluation ex post des politiques engagées, d’une vision panoramique des domaines comme l’énergie ou la prévention des risques et par conséquent d’une supériorité de compétence sur les niveaux territoriaux.

Mais le développement et la démocratisation des technologies de communication viennent bouleverser les systèmes hiérarchiques de production de savoir. Avec Internet et le développement de plateformes de partage de données et d’échanges de « bonnes pratiques », les acteurs de terrain, privés ou publics, disposent d’un accès instantané et gratuit à l’expertise.

La supériorité des niveaux d’intervention de l’Etat ou de l’Union Européenne ne réside plus guère que dans la capacité stratégique et les moyens financiers de commanditer rapports et études. Aussitôt les résultats de celles-ci publiés, leur diffusion par internet les rend accessibles à tous.

Par ailleurs, les acteurs de terrain disposent d’atouts majeurs car ils sont directement en prise avec les parties prenantes, peuvent identifier les obstacles rencontrés et articuler les instruments d’action pour les mettre en synergie : réglementation, concertation, formation, financement public, mobilisation des moyens privés.

De plus en plus, l’intelligence se développe au niveau local et en réseau, sur un mode transversal plutôt que hiérarchique. C’est d’ailleurs probablement là l’une des explications du fait que l’État rencontre de plus en plus de difficultés à obtenir l’adhésion à des décisions politiques unilatérales, sans concertation suffisante. La négociation climat est l’illustration parfaite d’un monde qui devient multi-niveaux.

A Copenhague et partout dans le monde, parallèlement à la négociation internationale dans le cadre des Nations-Unies, les villes et les régions sont fortement présentes et actives. Elles tissent entre elles des liens directs qui s’appuient sur des échanges techniques ou des mécanismes comme la coopération décentralisée, qui mobilise de plus en plus de transferts financiers Nord-Sud. Comme la lutte contre le changement climatique passe par une multitude de choix et d’investissements, engagés par les ménages, les entreprises et les collectivités publiques, le rôle du niveau territorial est déterminant.

Or, le risque le plus important dans la lutte contre le changement climatique, n’est pas tant que la négociation internationale n’aboutisse pas à la qualité du traité attendu, mais bien que la mise en œuvre ne suive pas. De ce point de vue, les rencontres d’élus et de collectivités jouent donc dans cette conférence un rôle déterminant.

L’une des questions posées à la recherche est de renouveler les cadres de modélisation prospective pour qu’ils puissent prendre en compte ces multiples niveaux et permettre des exercices de planification capables d’articuler plusieurs « nœuds » de gouvernance, politiques et territoriales.

13/12/2009 | 

La bataille sur les niveaux d’engagement de réduction des émissions fait rage à Copenhague

Quel est le niveau des efforts réalisables par les pays développés ? Les pays émergents ? A la réponse est suspendue la confiance dans la sincérité des pays à réussir la stabilisation du climat dans le cadre d’une répartition équitable des progrès à accomplir. A ce stade la négociation climat bute sur la nature et le niveau des chiffres avancés. Plusieurs logiques se combinent.

D’abord, la transposition des trajectoires d’émissions décrites par le (quasi) consensuel GIEC permettant la stabilisation du climat à un réchauffement contenu à 2°C. Cette approche esquisse une trajectoire globale de réduction des émissions. Pour diviser les émissions mondiales par deux, il est proposé que les émissions des pays industrialisés diminuent de -25 à -40% en 2020 par rapport à 1990 et que celles des pays émergents dévient de leur trajectoire tendancielle de -10 à -30% (hors Pays les moins avancés).

Ensuite, les annonces ou revendications des différentes parties dans la négociation qui poussent correspondant à une stratégie de négociation (proposition conditionnelle de -30% de l’UE, annonces chinoises et brésiliennes pour presser les pays de l’Annexe I dont les USA à s’engager plus loin). Dans cette négociation comme dans beaucoup d’autres, chacun garde des atouts dans sa manche pour obtenir des contreparties ou minimiser son effort.

A cela s’ajoutent des résultats de calculs de modélisation effectués par des universités, des ministères, des ONGs et les lobbys des « clean techs » (comme les énergies renouvelables) sur les potentiels technico-économiques issus d’études plus ou moins approfondies et utilisant des méthodes pour le moins hétérogènes. Enfin, grandes villes et gouvernement locaux démontrent régulièrement leurs capacités à mettre en œuvre des solutions concrètes et parfois exemplaires, ainsi que leur capacité à obtenir des engagements collectifs dans le cadre de concertations multi acteurs (entreprises collectivités ou gouvernements locaux).

Tous ces chiffres s’entrechoquent ainsi, issus de référentiels et de logiques différentes voire concurrentes. Émissions incluant ou non la foresterie et l’usage des terres, année de référence variable, engagements en intensité carbone ou énergétique. La guerre médiatique des « pour cent » fait rage. Comment juger de leur crédibilité ? De leur faisabilité effective ? Comment les comparer ? Les discussions sont de plus en plus fréquemment brouillées par le concert des annonces successives, certains pays (comme le Japon) annonçant être à leur limite maximale pour ensuite présenter de nouveaux chiffres nettement plus élevés, à la faveur d’un changement politique. Il y a là source de confusion et de défiance.

Au-delà du brouillage dus aux stratégies médiatiques et politiques, d’où vient cette faiblesse des engagements quantitatifs ? Deux raisons, parmi d’autres. Il n’y a eu peu voire pas de travail d’objectivation qui ait été entrepris depuis plusieurs années pour faire converger la compréhension des négociateurs sur les marges de manœuvre réelles des pays. Un tel travail aurait dû être engagé plusieurs années à l’avance d’un commun accord entre toutes les parties de la négociation pour cette indispensable objectivation. Il y a évidemment un grand risque que la négociation ne reproduise les injustices de répartition des efforts dans ce domaine, ce qui ne peut que nuire à la crédibilité et à la solidité des accords.

Le délai de 8 ans (2012-2020) fixé par la négociation ne permet que des progrès modestes, car même en comptant à partir d’aujourd’hui, le délai d’ici 2020 donne à peine le temps d’achever des équipements lourds et en aucun cas de reconvertir une filière. La capacité de virage des sociétés est très faible à moins de 5 ans (seulement des changements organisationnels, économiques et comportementaux et la réalisation de petits investissements), encore modeste à 10 ans, mais considérable à 20 ans car à cette portée, peuvent être transformées des filières (secteur électrique) renouvelés les parcs d’équipements (les voitures, les chaudières, l’électroménager) et percolés des débouchés de la recherche. D’où l’intérêt de prise d’engagement à 2030 par les Etats-Unis d’une réduction des leurs émissions de 42%. Plus généralement, on peut déplorer, la modeste culture industrielle moyenne des négociateurs (à la fois sur les plans technique et économique).

Il est donc essentiel que les acteurs académiques se mobilisent pour développer une prospective nouvelle, opérationnelle pour répondre à la crise climatique, à mesure que les enjeux s’aggravent. Sinon le décalage entre les discours et les actes mènera inévitablement à une crise. De confiance celle-là.

P. Radanne

07/12/2009 | 

La conférence sur le climat ou la mise en évidence d’une crise dont la solution exige un gigantesque effort de recherche

L'objet de ce blog est de situer dans l’immense chantier de la négociation climatique le besoin urgent d’apport de la recherche, à travers toutes ses disciplines. Or, le premier constat est la dissymétrie considérable qui existe entre les contributions des différentes disciplines. Certaines sont directement impliquées, la climatologie, les sciences de la terre et de l’écologie, les sciences de l'ingénieur, notamment celles reliées à l'énergie, le spatial, la métrologie et l'économétrie. A l'inverse, certaines disciplines sont quasiment absentes : la psychologie, la pédagogie, la sociologie, l'histoire, la philosophie, le droit, la microéconomie. Il faut également secouer l'ensemble du champ de la connaissance pour aboutir à des approches transdisciplinaires. Trouver une réponse adaptée aux problématiques liées au changement climatique nécessite la mobilisation de l'ensemble des champs de recherche.

Or, les difficultés rencontrées dans la négociation internationale de Copenhague mettent en évidence un enjeu de portée inédite. En effet, le Climat est un objet global et indivisible. Certes, le climat présente de grandes variations géographiques et temporelles mais toutes ses manifestations sont interdépendantes. En outre, les émissions de gaz à effet de serre d’un pays ont des effets sur tous les autres. La question climatique est ainsi la première question à solidarité obligatoire de l’histoire humaine. C’est ce qui fait que c’est au niveau des Nations-Unies que cette question peut seulement être traitée. Réciproquement, la motivation d’un pays pour réduire ses émissions est directement influencée par la confiance qu’il a dans l’action simultanée et d’ampleur comparable des autres pays. C’est ce qui fait la difficulté de l’actuelle négociation, et rend nécessaire un accord international.

La négociation internationale sur le climat va obliger à un immense bond en avant au plan de la gouvernance mondiale. Elle constitue le premier vrai rendez-vous nord-sud depuis la décolonisation. Evidemment, elle va modifier complètement les stratégies techniques et par voie de conséquence celles de l’économie. Avec en sus un compte à rebours pour réussir tout cela dans le demi-siècle qui vient afin de réussir une division par deux des émissions de gaz à effet de serre. En conséquence, la prospective quantitative et la planification vont être complètement refondées au plan des méthodes et des outils. Et si cela ne suffisait pas, elle va demander de rechercher l’adhésion des citoyens pour infléchir leurs comportements. Les défis sont posés.

P. Radanne