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août 2011

30 août 2011

La fabrique filmique

Blog filmique 
Dirigée depuis 1988 par l’universitaire et homme de cinéma Michel Marie, la collection « Cinéma/Arts visuels » des éditions Armand Colin se distingue par sa grande vitalité. Elle vient de bénéficier d'une nouvelle ligne graphique qui renforce son identité visuelle autant qu'intellectuelle. Les rééditions se succèdent dont celles des « classiques » du spécialiste d’esthétique Jacques Aumont (ainsi L’image, pour sa 3e édition, cette année) tandis que les publications inédites demeurent nombreuses, de L’adaptation littéraire au cinéma de Francis Vanove à La fabrique filmique de Kristian Feigelson (253 p., 25 €). Ce sociologue de l’université Sorbonne Nouvelle s’intéresse à toutes les conditions matérielles, professionnelles, financières, et à tout le tissu des relations qui rendent possible le tournage d’un film. Le « Silence, on tourne… ! » est peut-être le début effectif d’un film, il est aussi l’aboutissement de tout un processus pour construire un tel moment inaugural. Cette enquête serrée et méditée, très référencée, revisite de l’intérieur le monde du cinéma et de ceux qui font profession autant que vocation.

Vincent Duclert

29 août 2011

L’innovation biomédicale au XXIe siècle

Blog bioméd 
Les éditions Fayard poursuivent, depuis 2005, leur précieuse entreprise de co-publication des « Leçons inaugurales du Collège de France », avec la parution récente des Grandes tendances de l’innovation biomédicale au XXIe siècle d’Elias Zerhouni, titulaire de la Chaire d’innovation technologique Liliane Bettencourt (créée avec le soutien de la Fondation Bettencourt-Schueller, du nom de la famille fondatrice de la firme L’Oréal). Il s’agit de la 217e leçon ; les 164 dernières se retrouvent dans cette petite collection à couverture bleue, élégante et bon marché (10 euros, et 82 pages). Elias Zerhouni est un médecin radiologue de formation, spécialiste d’imagerie médicale, professeur à l’université John Hopkins, ancien directeur des National Institutes of Health entre 2002 et 2008, « l’un des acteurs les plus influents de la politique de recherche médicale aux Etats-Unis », explique l’éditeur ; il vient d’être nommé également président du pôle « Monde Recherche et Développement » de Sanofi Aventis chargé des médicaments et des vaccins, une responsabilité qui souligne l’actuelle porosité entre le monde scientifique et universitaire et les sources de financements privé de la recherche.

Est-ce dans ce contexte qu’il faut entendre l’appel du professeur Elias Zerhouni en faveur d’une transformation de « l’environnement que nous devons mettre à disposition des innovateurs » afin que ceux-ci puissent « produire des innovations tangibles » ? (p. 81). Ces « innovations sociales et politiques » du milieu de la recherche « devront entrer en synergie avec l’innovation biomédicale ». Cette dynamique, ajoute-t-il, « se situera, non seulement dans le creuset des laboratoires, mais aussi directement au niveau des populations humaines au moyen des tous les outils modernes de la recherche biologique » (p. 82). Une telle mobilisation des moyens qu’Elias Zerhouni appelle de ses vœux explique-t-elle ainsi la pluralité des responsabilités et des actions dont ce chercheur et universitaire se voit investi ?

Vincent Duclert

25 août 2011

Le livre et l'expression politique

Blog hollande 
Aujourd’hui, François Hollande fait paraître aux éditions Privat son livre intitulé Le Rêve français (207 p., 9,80 €), recueil de ses discours depuis celui de Lorient de juin 2009 qui lança son parcours en vue de la présidentielle. Le Point en a déjà publié les bonnes feuilles dans son édition du 11 août dernier. Le Livre n’est pas absent du livre, à la fois parce que celui-ci est offert en téléchargement gratuit pour cette seule journée du 25 août sur le site de campagne de François Hollande *, et parce que le long entretien qui précède les discours contient un vibrant hommage au monde de l’édition. Extrait (pp. 16 et 17) :

« - Vous avez choisi la forme du livre pour rassembler vos discours et pour répondre aux questions de ce long entretien. Accordez-vous une importance au livre ?

 

La République a toujours tenu en haute estime les livres car ils sont, avec le journal et l’école, l’instrument de la connaissance et de l’émancipation. De Georges Clemenceau à François Mitterrand, de Léon Blum à Charles de Gaulle, tous nos grands dirigeants ont aimé les livres, ont voulu qu’ils viennent dire ce qu’ils ont de plus précieux. Le livre, c’est le temps de la réflexion, l’expression du combat qui rassemble. Quand Léon Blum rentra de déportation, il publia A l’échelle humaine. Quand Pierre Mendès France voulut laisser un testament politique de son action, il réunit dans La vérité guidait leurs pas ses textes les plus précieux. Quand Jaurès voulut défendre Dreyfus, il le fit dans Les Preuves que publia son journal La Petite République. Quand François Mitterrand entreprit cette longue marche vers l’alternance, il balisa sa route avec les ouvrages La paille et le grain jusqu’à Ici et maintenant.

Cette tradition culturelle et intellectuelle est celle de ma famille politique. C’est la culture populaire, la civilisation du journal. Cet attachement est ancien. J’ai écrit plusieurs livres qui ont compté pour moi, qui ont été l’occasion d’un vrai dialogue avec les lecteurs, avec ceux-là même qui m’interrogeaient, comme Edwy Plenel en 2007 (pour Devoirs de vérité) et Pierre Favier en 2009 (pour Droits d’inventaires).

Je n’oublie pas dans le livre tous celles et ceux qui permettent qu’il existe, des éditeurs aux lecteurs. J’ai aussi une pensée particulière pour les libraires, les bibliothécaires. Quand j’arpente les allées de la foire du livre de Brive avec mon ami Philippe Nauche, député-maire, je me sens en pays familier. »

L’élection présidentielle est parfois, dans notre pays, l’occasion de grands débats. Pourquoi pas un débat sur la place du livre dans notre société et l’avenir du livre ? On attend des autres candidats socialistes, du centre et de la droite des déclarations sur le sujet.

Vincent Duclert

 

* sur inscription : http://francoishollande.fr/ 

24 août 2011

Le Moyen-Orient par les textes

Blog chantal 
Alors que le Moyen-Orient vit de grands bouleversements politiques et sociaux qui touchent l’ensemble des pays arabes - en attendant peut-être l’Iran qui subit une dictature aussi féroce que la Syrie réputée « laïque », la connaissance de cette région du monde est plus que jamais nécessaire. Voici que paraît justement une très précieuse anthologie de 136 textes documentaires puisés aux meilleures sources, due à trois chercheuses et universitaires, Anne-Laure Dupont, Catherine Mayeur-Jaouen et Chantal Verdeil. C’est précisément le croisement de leurs recherches et de l’enseignement qui a rendu possible un tel ouvrage : destiné aux étudiants, il a été élaboré dans la pratique pédagogique des auteures ; mais il n’aurait pu voir le jour sans une grande maîtrise de la masse documentaire qui s’attache au Moyen-Orient et sans une connaissance très sûre de cet objet historique et sociologique. On mesure l'ampleur du travail réalisé, la collecte des documents, le choix des textes, leur présentation argumentée, l’organisation de l’ensemble.

Après une première partie ordonnée chronologiquement viennent les aspects plus structurels, « l’apport le plus original de ce recueil, disent les auteures, qui porte sur les transformations économiques, sociales, religieuses et culturelles, et tente de donner la parole aux intéressés eux-mêmes : Arabes, Iraniens, Turcs », mais aussi, pourrait-on ajouter, les femmes, les enfants, les minorités religieuses et ethniques, … Un livre de référence en résumé, aussi utile aux étudiants et aux professeurs qu’aux chercheurs confrontés à l’exigence permanente de s’approcher toujours plus du terrain pour mieux le comprendre.

Vincent Duclert

Le Moyen-Orient par les textes, XIXe-XXIe siècle, édité par Anne-Laure Dupont, Catherine Mayeur-Jaouen et Chantal Verdeil, Armand Colin, coll. « U », 2011, 444 p., 35,80 €

 

23 août 2011

Séquence Polar. L'idéaliste

 

Blog grish 
Pour connaître la procédure pénale américaine, ses arguties et ses rebondissements, rien ne vaut la lecture des polars de John Grisham, lui-même ancien avocat spécialisé dans les causes criminelles. Traduits en français, ses romans policiers viennent d’être republiés, dans leur version poche, par les éditions Pocket/Robert Laffont. Celles-ci ont opté pour une unité de style qui se répète d’ouvrage en ouvrage. Arrêtons-nous sur L’idéaliste, paru aux Etats-Unis en 1999, en langue française deux ans plus tard (traduit de l’américain par Eric Wessberge, 7,90 €, 551 p.). C’est l’histoire d’un très jeune avocat de Memphis, à peine diplômé de la faculté de droit, qui intente un retentissant procès à une grande compagnie d’assurances accusée d’avoir refusé la prise en charge d’un assuré atteint d’une leucémie, et qui finit par mourir faute de soin. Le récit est très bien mené, et la précision, tant juridique que médicale, est rarement prise en défaut. En dernière page du livre viennent les remerciements : Grisham reconnaît avoir bénéficié du « soutien sans faille » d’un « plaideur pugnace » du barreau de Gulfport-Mississipi qui « défend avec constance les droits des consommateurs et des petites gens », et d’un ami médecin qui l’a guidé « dans le labyrinthe impénétrable des procédures médicales ». Après ce combat judiciaire sans équivalent, le jeune Rudy Baylor ne sera plus jamais le même. Mais sa méthode a payé. La compagnie sera condamnée.

Vincent Duclert

 

16 août 2011

Des villes sans librairies ? (II)

Blog del 
J’ai acheté dans la bonne librairie de Perros-Guirec, mais cela aurait pu être Lannion et sa vénérable librairie qui fête ses quarante ans, le petit opuscule d’Emmanuel Delhomme, Un libraire en colère, publié aux éditions L’Editeur, 94 pages, 11 euros et le portrait de l’auteur en couverture. Le libraire en question fait commerce des livres à Paris, dans le 8e arrondissement, vers le rond-point des Champs-Elysées. Sa librairie s’appelle Livre Sterling. Naguère fréquentée voire florissante, la librairie périclite maintenant alors que le quartier est l’un des plus animés de Paris. Mais la foule qui passe devant les vitrines ou devant les livres présentés sur des tables en extérieur les ignore ou les feuillette distraitement un sandwich à la main ou pire le portable collé à l’oreille. Plus personne ou presque n’achète de livres ou même ne pousse la porte de la librairie. Celle-ci semble avoir disparu de l’horizon visuel ou intellectuel des citadins, en tout cas ceux du quartier dominés par les bureaux chics des compagnies financières.

Outre l’impact économique – les fins de mois sont de plus en plus difficiles pour Emmanuel Delhomme -, cette désertion des livres (comme on parle de la désertion des urnes pour le phénomène de l’abstention) scelle pour le libraire une véritable crise de société à travers la disparition de l’échange, du dialogue et de l’enrichissement personnel que permettaient le livre et la lecture. Dans cette économie rêvée autant que passée, le libraire était au centre de cette configuration. Aujourd’hui, regrette-t-il, l’ère numérique a tout dématérialisé, y compris le livre mais aussi les échanges, les sentiments, le quotidien. Et pour ne pas parler des critiques de livre puisque celles-ci se font sur tel « blog des livres » comme le seul et l’unique du nom, enfin presque, Le Blog des Livres de La Recherche ! Passe encore que le libraire sombre avec le naufrage du livre, comme naguère le disquaire avec celui du disque. Le plus grave dit Delhomme est la fin d’une société de valeurs où la parole, l’instant partagé, l’amour du langage, la plaisir du toucher, avaient du sens. Des « instants inoubliables ». C’est alors l’occasion de la plus belle page du livre du « libraire en colère » ».

« Tous les livres sont les maillons d’une chaîne sans fin, on attache, on s’attache à un livre, et il fait partie intégrante de votre vie. C’est ce qui vous constitue en partie, vous avez vécu une expérience unique dans la peau d’un autre, vous en gardez éternellement la trace dans votre esprit. Il existe peu de livres qui peuvent fédérer autant de personnes, c’est-à-dire à mon échelle, vendre de deux à cinq mille exemplaires d’un même titre, mais ceux-là ont toujours une forte dose d’humanité, une construction implacable, des personnages à peine déglingués, et surtout une petite musique qui vous bouleverse. Bien difficile de décrire précisément ce qui fera le succès d’un livre, un bouche-à-oreille incroyable (pas forcément remarqué par la critique), un accueil enthousiaste de mes clients, la curiosité d’une nouvelle aventure, tout ce qui permet de m’approprier l’exclusivité ou presque d’un roman. Le vendre pendant des années, l’exposer aux meilleures places du magasin, voir parfois des clients vanter et vendre à leurs amis les livres de ma vie. Des instants inoubliables ? » (pp. 59 et 60).

Le drame que vit le libraire tient dans le sentiment d’une mort lente en compagnie de ceux qui fidèlement l’ont accompagné et qui disparaissent désormais. Il n’y a pas de relève de génération, les 25-40 ans désertent les librairies, faute d’inspiration, d’argent à dépenser. Ils se sont éloignés des livres à mesure qu’ils se précipitaient dans l’ère numérique. Le libraire est très en colère contre les nouvelles technologies, il ne croit pas qu’Internet peut aider le livre, et si oui, de toute manière, ce sera sans le libraire qui aura disparu. Il note aussi que le comportement des clients a fini par banaliser l’objet livre, qui n’est qu’un produit comme un autre dont on critique jusqu’au prix. Renvoyé à sa solitude qui nourrit sa tristesse et son amertume, le libraire en colère s’emporte. On peut le comprendre. Voir mourir quelque chose un métier, une passion, une conviction, que l’on aime si fortement, c’est une épreuve. Il en rend responsable aussi les éditeurs et leurs représentants, les maisons publient toujours plus et écrasent les libraires de nouveautés que ceux-ci paient avant de renvoyer les innombrables invendus (les fameux « retours ») et d’être alors recrédités. Le livre est devenu trop cher, et c’est vrai, même le prix de celui d’Emmanuel Delhomme est élevé, le « juste prix » aurait été moins de 10 euros.

Il n’y a pas beaucoup de propositions pour le livre, dans ce livre. Sinon, et c’est courageux, la volonté de « croire encore à une société juste et humaine. Me dire que les livres nous sauveront de notre médiocrité, nous aideront à passer ce cap, nous guideront. Ne pas se décourager, se redresser, avancer avec vous. » (p. 94). Le livre dispose de vrais soldats acquis à sa cause, en particulier à l’école. Mais Delhomme voit aussi les effets pervers des lectures imposées aux élèves, le risque même de ne juger un livre qu’à son nombre de pages. Un bon livre est un livre de moins de 100 pages !

C’est un grand pari intellectuel de savoir si le livre papier, raison d’être des libraires, survivra. Au moins peut-on raisonner sur certaines de ses qualités, sa pérennité matérielle, le confort et l’immédiateté de lecture qu’il autorise, son élégante et sa beauté parfois. Le livre est un objet en soi en même temps qu’un contenu culturel – de surcroît immédiatement accessible, ce que n’était pas le disque. Beaucoup d’éditeurs l’ont compris. Ils publient des livres beaux, ils font des efforts sur les prix, ils innovent sur les couvertures (ce n’est pas vraiment le cas avec le Delhomme), les formats, les polices.

Une librairie est, pour cela, un lieu de découverte, de promenade, de séduction. Les femmes l’ont bien compris. Elles forment 80 % de la clientèle de Livre Sterling. « Les femmes sont plus courageuses, explique Delhomme ; elles vous tendent l’Eloge de la fessée de Jacques Serguine sans sourciller et sans rien ajouter… La classe. Tous les jours un petit compliment. – Continuez, votre librairie est tellement belle, on voit bien que vous êtes passionné, on se sent tellement bien chez vous… »

Pourquoi une telle et si belle librairie ne fait-elle plus sens ? Il me semble que la mutation sociologique du quartier explique beaucoup de la désertion de Livres Sterling. Des librairies ferment. Mais d’autres ouvrent. Faire voyager sa librairie vers des sites urbains plus culturels, ou même sur des lieux de villégiature fréquentés par des clientèles à livres, ne doit pas être un tabou. Fermer pour recommencer. Je me souviens d’une librairie qui a ouvert en Bretagne sud, entre océan et Vilaine. Au départ, ces parisiens avaient repris le café du coin. Mais ils avaient transformé l’une des salles en librairie avec un coin enfant bien sûr. Le commerce marche bien, les jours de pluie et les autres. C’est vrai, les librairies sont uniques, inoubliables. Elles doivent venir à leurs lecteurs. Et Un libraire en colère mérite une suite, si l’on veut que le livre exauce tous les vœux dont les pare Delhomme.

Vincent Duclert

« Des villes sans librairies ? » (I) a été publié ici le 1er août.

 

14 août 2011

Séquence Science-fiction. Planète sans partage

Blog eons 2 
Il faut bien le dire, j'ai du retard dans mes lectures. Beaucoup de retard même. Mais j'ai une excuse : je n'étais pas né en 1962, quand est paru Ce monde est nôtre, de Francis Carsac. C'est un peu court : j'aurais bien pu le lire à la sortie de l'édition de poche (en « volume triple ») chez Presses Pocket, en 1977 (c'est largement accessible à un pré-adolescent). Pour 2€ chez un bouquiniste, j'ai réparé mon oubli. On trouve aussi le livre sur des sites de vente en ligne, mais l'éditeur ne connaît plus l'auteur. Et Eons productions, qui l'a réédité à son tour en 2006, a modifié la couverture. S'il avait conservé l'accorte demoiselle torse nu, pourvue d'une longue chevelure et équipée d'un arc, du plus bel effet « Avatar » qui orne celle que j'ai entre les mains, il en aurait peut-être vendu quelques milliers de plus! Certes, les Na'vis sont bleus et bruns, tandis que celle-ci est verte et blonde. Mais la thématique non plus n'est pas très éloignée de celle choisie par James Cameron : l'éternelle histoire de luttes entre espèces humanoïdes différentes pour la suprématie sur une planète.

La ressemblance s'arrête toutefois là. Trois populations, deux groupes humains arrivés à quelques centaines d'années d'écart et pour des raisons différentes (les premiers voulaient échapper à la civilisation technique, les autres s'étaient égarés dans l'espace), et un groupe plus étrange, de couleur verte, pourvus de six doigts, les Brinns, qui semblent autochtones, partagent tant bien que mal une planète. La Ligue des Terres Humaines, organisation supra galactique qui regroupe plus de 50 000 planètes ne peut tolérer la situation : plusieurs humanités sur une planète, c'est à plus ou moins long terme, l'assurance de conflits dévastateurs. A moins qu'il n'y ait des possibilités de métissage, il lui faut donc déterminer qui a le plus de légitimité à rester, et qui doit partir (très généreusement, ceux qui partiront auront le choix d'une planète hospitalière mais sans forme de vie intelligente, et l'aide technique et scientifique de la Ligue).

Deux « coordinateurs » sont donc envoyés sur cette planète pour enquêter et rendre leur jugement. Bien qu'ils soient très entraînés, intelligents et vigoureux, et équipés d'une technologie dernier cri, ils auront bien du mal à parvenir à leurs fins. Il est vrai que l'un des groupes a résolu d'exterminer les deux autres. Et que la faune de cette planète n'est pas toujours très accueillante.

Pourquoi donc ce livre a-t-il retenu mon attention? Parce que Francis Carsac n'était autre que le pseudonyme du grand préhistorien François Bordes (1919 - 1981), professeur à l'université de Bordeaux pendant 25 ans. Parallèlement à ses succès académiques, il rencontra aussi un succès littéraire dans la science-fiction. Je devais combler cette lacune de n'avoir jamais lu aucun de ses romans.

C'est vrai, depuis, on a eu la « Guerre des étoiles », « E.T. » et, je l'ai déjà mentionné, « Avatar », pour ne citer que les titres les plus connus. La rencontre entre plusieurs humanités est un thème rebattu de la science-fiction. Il l'était déjà dans les années 1960. Et, pour rester du côté préhistorique de l'auteur, dès 1911 la « Guerre du feu » de Rosny-Aîné mettait en scène pas moins de cinq types humains différents. Mais c'est quand même la première fois que je vois le dernier mot (ou presque) donné à l'archéologie et à la stratigraphie. On ne se refait pas!

Luc Allemand

11 août 2011

Les dettes illégitimes

Blog ches 
Ce n’est pas vraiment un hasard du calendrier puisque les éditions Raisons d’agir, fondées par Pierre Bourdieu avec un collectif de chercheurs engagés, mènent depuis 1995 une critique radicale argumentée des phénomènes dominés par les lois du libéralisme économique, afin de se réapproprier les sociétés et les processus sociaux.

Il n’empêche : sorti en juillet 2011, Les dettes illégitimes. Quand les banques font main basse sur les politiques publiques (158 p., 8 €), un court essai de François Chesnais, économiste de l'université de Paris 13, tombe à pic au milieu de la crise financière venue de l’endettement des Etats mais aussi, très largement, des endettements privés et de la spéculation sur cet endettement général. L’ouvrage, comme son titre l’indique, vise les banques coupables selon l’auteur de s’être « détournées de leur fonction indispensable de crédit aux particuliers et aux entreprises pour s’engager dans des activités de spéculation financières nocives et dépourvues d’utilité sociale. Il est temps, insiste-t-il, non pas de détruire les banques, mais de les saisir afin qu’elles puissent remplir les fonctions essentielles qui sont en principe les leurs. » Parmi les grandes destinations des crédits qu’elles pourraient mettre utilement à disposition de la collectivité, il y a les « grands projets d’investissement menés ensemble pas plusieurs pays ». Pour atteindre cet objectif vertueux, il conviendrait de procéder à l’annulation des dettes publiques européennes, mais aussi de celle des pays du Sud détenues par les banques et les fonds de placement européens. François Chesnais voit dans l’action commune des mouvements sociaux européens un instrument décisif pour parvenir à cette transformation complète des banques et de leur mission. Force est de constater que cette échelle européenne de la mobilisation sociale ne fonctionne pas. Que l’auteur ait raison ou pas, l’important est surtout de se saisir des mécanismes de la crise pour la comprendre.  

Vincent Duclert

09 août 2011

1895. Massacres d’Arméniens

Blog arméniens 
Les congés sont l’occasion de moments de lecture et de réflexion sur les livres peut-être plus libres que de coutume parce que le temps sort de l’ordinaire, parce que des paysages nouveaux prêtent au dépaysement. Dans le train et sur la côte de Bretagne nord, nous nous sommes plongés dans le récit du massacre de près de 2000 Arméniens à Trébizonde, un port de la Mer noire, le 8 octobre 1895. Cet événement tragique appartient à la série des Grands massacres commis dans l’empire ottoman par le « sultan rouge » (parce que sanguinaire) Abdülhamid II. Ce récit émane d’un témoin oculaire, le consul de France à Trébizonde, le jeune Alphonse Cillière qui occupait là un de ses premiers postes. Sa narration et l’enquête qui la suit, seulement achevées en 1929, ont été publiées l’année dernière par les éditions Privat, sous le titre 1895. Massacres d’Arméniens (coll. « Témoignages pour l’histoire », 2010, 281 p., 19,50 €). Le texte est présenté, annoté et édité par un groupe de trois historiens spécialistes des Grands massacres qui ensanglantèrent l’Empire entre 1894 et 1896, Gérard Dedéyan, Claire Mouradian et Yves Ternon.

Après une description de la ville, du port et de la population de Trébizonde, l’auteur entreprend de faire le récit du massacre effroyable du 8 octobre et de ses tentatives pour sauver de la mort plusieurs dizaines d’Arméniens réfugiés dans les établissements sur lequel flottait le drapeau tricolore – qu’il demanda d’arborer bien haut. Puis il se replonge dans les faits en tentant de les analyser, de les contextualiser, et de dégager au final les responsabilités, les culpabilités même. Pour cela, il mena une véritable « contre-enquête » selon l’expression d’Yves Ternon (p. 229), rendue d’autant plus nécessaire que la version officielle des autorités ottomanes nie l’ampleur des massacres aussi bien que la participation musulmane, et qu’elle fait retomber la responsabilité des violences sur les agents révolutionnaires arméniens.

Le premier souci du consul honoraire (il coule une paisible retraite depuis 1925 à Aix-en-Provence mais il est taraudé par le souvenir des événements de Trébizonde) est de « revenir aux faits » et d’en donner les interprétations qu’ils méritent. Cillière démontre ainsi successivement l’origine de la décision remontant au sultan lui-même, la responsabilité directe du vali Kadri-Bey (gouverneur de la province en résidence à Trébizonde) obéissant aux ordres d’Abdülhamid, la distribution d’armes aux civils musulmans, le marquage des maisons arméniennes la veille en prévision du carnage du lendemain, la fin rapide des violences dans la ville sur ordre à nouveau du vali, l’extension des massacres aux villages environnants, la misère des survivants, la décision d’émigrer vers la Russie pour nombre d’entre eux. D’autres analyses ou observations fondées méritent d’être rapportées ici, comme celles relatives à l’efficacité des interventions consulaires lorsqu’elles sont fermes et décidées, ou à la présence au large de bâtiments de la marine russe qui dissuadent la population et les autorités locales de reprendre les violences anti-arméniennes, dans Trébizonde du moins. Ou encore celles qui évoquent la résistance d’élites administratives refusant l’engrenage de la terreur. Non pas le vali en l’occurrence bien qu’il sembla aux yeux de Cillière plutôt indépendant à l’égard du Palais (il n’avait cure des espions qu’Abdülhamid II pouvait envoyer à Trébizonde) ; en réalité, ce gouverneur savait quand il fallait obéir au Sultan et il le fit sans zèle mais avec efficacité le jour des massacres dans la ville. Peut-être en conçut-il un certain remord puisqu’il confia, un an plus tard, à son ami le consul de France, sa conviction que le mouvement des Jeunes-Turcs allait sauver l’Empire de la ruine et du despotisme.

Cillière n’est cependant pas enclin à l’exonérer de toute responsabilité. « Ce crime, en effet, celui-ci pouvait et devait l’empêcher. D’autres l’ont fait d’ailleurs, dans des conditions, il est vrai, sans doute moins difficiles. Cadri-Bey avait vu clairement son devoir. Il l’avait fait, au début, avec fermeté. Il n’a pas eu l’âme assez haute pour l’accomplir jusqu’au bout, comme l’aurait fait, à sa place, un Essad-Bey, par exemple. » (p. 223). Cillière fait ici référence au courage et à la résistance du président de la Cour criminelle de Trébizonde, attaché au droit et à l’égalité devant la justice. Parmi « quelques musulmans, trop rares, mais d’autant plus dignes d’éloges, qui ont témoigné, en ces douloureuses circonstances, de leur humanité et de leur courage […], c’est le président de la Cour criminelle, Essad-Bey, qui remplit le plus noblement le devoir d’humanité. Il le fit simplement, comme il faisait toute chose. Agé et alors souffrant, il alla, dans la rue, arracher de pauvres Arméniens qu’il recueillit chez lui. Il en conduisit d’autres chez les Frères, qu’il alla visiter à plusieurs reprises, prodiguant aux réfugiés les consolations et les encouragements.  » (p. 140). Ces « Justes », comme il en exista aussi en 1915 en face du génocide, au sein même de l’appareil d’Etat unioniste, furent l’honneur de la Turquie. Reconnus par l’historiographie européenne et la recherche indépendante (en Turquie), ils demeurent toujours inconnus dans un pays qui professe le déni de l’histoire.

On doit regretter qu’Alphonse Cillière n’ait pas rédigé et publié plus tôt ses « Vêpres arméniennes » (le titre original du document), de manière à avertir l’opinion publique et les dirigeants européens de l’ampleur réelle des Grands massacres et de ses caractères originaux - annonciateurs d’un possible futur génocide. Le lien entre la barbarie hamidienne et celle des Jeunes-Turcs de la Première Guerre mondiale est du reste attesté par l’acte de destruction de la communauté arménienne d’Adana et de Cilicie en 1909 perpétré par le nouveau gouvernement unioniste de Constantinople. Mais une telle publication, dès 1896, d’un document accablant pour le pouvoir impérial en place aurait certainement bousculé le bon déroulement de la carrière de Cillière. Et elle n’aurait probablement rien changé sur le fond à l’attitude conciliante du gouvernement républicain pour le « sultan rouge ».

Il n’en reste pas moins que la connaissance des génocides – et donc de leur prévention – dépend beaucoup de l’étude des prémisses, des signes avant-coureurs. Celle-ci est capitale, de même que la transmission publique d’un tel savoir. Le document d’Alphonse Cillière publié aujourd’hui nous donne l’occasion de mesurer cette double importance.

Vincent Duclert

 

06 août 2011

2CV pour une égérie

Blog margot 
Nous avions déjà rendu compte en octobre dernier du bel album rétro intitulé Le Mystère de la Traction d’Olivier Martin, avec son dessin très « ligne claire » et son scénario un rien désuet et charmant. La jeune Margot, « une sorte de Tintin reporter, en plus sexy » y menait l’enquête sur une mystérieuse Traction « 22 », dotée d’un moteur V8 et de phares encastrés dans les ailes (à la différence des Tractions 7 et 11 chevaux), et disparue à peine née. Les éditions Paquet qui avaient publié cette BD rafraichissante très sixties ont réédité l’opération avec deux nouveaux albums, Les Déesses de la Route en hommage à la DS bien entendu, et 2CV pour une égérie (48 p., 13 €) qui s’inspire de la série limitée « Spot » (une 2CV bicolore de 1976, tirée à 1800 exemplaires, pour fêter la cinq millionième « Petite Citroën » depuis son lancement en 1949). Devenue l'égérie de la marque aux chevrons après sa victoire dans la Coupe des demoiselles, Margot est chargée de présenter les 22 créations d’un modèle spécial de 2CV aux couleurs du célèbre couturier Théophile Saint Cardon. Le défilé de mode a lieu en juin 1961 au Grand Palais, là où se tient – encore pour un an – le Salon de l’automobile. Mais voici qu’une série d’attentats survient contre les précieuses voitures. Intrépide, Margot se lance aux trousses des redoutables commanditaires…..

Vincent Duclert