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30 juillet 2012 | 

Un adieu qui dure

Blog alld
Quand j'ai reçu le Journal d'un adieu de Pietro Scarnera (Editions Ca et Là,  80 p., 13€), je l'ai ouvert pour jeter un coup d'oeil. Une bande dessinée, ça se feuillette rapidement pendant une pause. Dans les premières pages, le narrateur, un tout jeune homme, visite son père, dans un grand hôpital. Il doit d'abord attendre, puis s'habiller avec une blouse, une charlotte, des sur-chaussures. Le père est en service de réanimation, dans le coma après une attaque cardiaque.

Décembre 1983 : mon père est hospitalisé en soins intensifs dans un hôpital parisien spécialisé dans les maladies infectieuses. Il est victime d'un staphyllocoque doré multirésistant contracté dans un autre hôpital. Pour le voir, il faut, là aussi, enfiler une tenue spéciale. Plusieurs semaines, et une opération à cœur ouvert plus tard, il s'en sortira. Décembre 1985 : pendant un peu moins d'une semaine, mon père est dans un autre hôpital, dans le coma.

Je n'y pense pas souvent. Mais les premières pages du livre de Pietro Scarnera ont fait brusquement ressurgir ce passé. Ce n'était ni le moment ni le lieu : j'ai mis le livre de côté et j'ai repris mon activité initiale.

J'ai attendu quelques jours pour revenir à cette lecture. J'ai alors suivi d'une traite l'interminable attente de l'auteur du Journal d'un adieu, de l'hôpital à la maison de long séjour, les tentatives pour attirer l'attention de celui qui est allongé et ne bouge pas, les rencontres, les cauchemars du fils. Jusqu'à la fin, après 5 ans de vie végétative.

Les neurologues ont fait d'immenses progrès dans la compréhension des états que l'on regroupait autrefois sous le vocable général de « coma ». Ils parviennent dans certains cas à détecter des traces de conscience chez ces patients, dont l'on peut ainsi prendre soin de façon plus adéquate. Mais leur apport est limité. Comme le rappelait le 28 juin dernier Lionel Naccache, de l'université Pierre-et-Marie-Curie à Paris, lors du Forum Science Recherche et Société, un test de conscience ne peut révéler que ce qui se passe pendant sa réalisation. Si l'on détecte des traces de conscience, c'est qu'il en existe. Si, a contrario, on n'en détecte pas, la seule conclusion est qu'il ne s'en est pas produit à ce moment là.

Bien souvent, les familles restent donc désarmées face à ces situations. Comment ne pas espérer, devant quelqu'un dont on voit bien qu'il respire, qu'il bouge éventuellement les yeux? Et en même temps cette personne dont le visage, comme l'écrit (et le montre) justement Pietro Scarnera, semble celui d'un autre, n'est-elle pas déjà morte ? Ne vaudrait-il mieux pas commencer le travail de deuil ? Chaque cas, sans doute, est particulier.

Ce récit n'a pas de prétention exemplaire. Il est issu de l'expérience personnelle de l'auteur, nous dit la deuxième de couverture. Je peux juste témoigner qu'il sonne juste.

Luc Allemand

 

Robert Dautray, Mémoires

Blog Dautray
Peu connu du grand public, Robert Dautray est pourtant le père de la bombe H française (et, pour l'anecdote, l’un des « majors perpétuels » de l’Ecole polytechnique). Il a publié en 2007 aux éditions Odile Jacob ses mémoires, Du Vél’d’Hiv à la bombe H (350 p., 25 €), ou plutôt, comme il l’écrit en tête du Prologue, des « fragments, parcelles, lambeaux ». S’il n’évoque de sa vie adulte que ses aspects professionnels et publics, en revanche est-il plus disert sur son enfance et son adolescence. Celles-ci sont marquées du sceau du dénuement matériel et de l’affection profonde de ses parents et de sa sœur, au milieu des temps de la persécution et de la clandestinité. Son père est arrivé en 1905 à Paris, fuyant l’antisémitisme de l’empire russe et, comme il l’écrit, « la tyrannie que les rabbins faisaient régner dans son village, le shtetl de Lida, situé entre Grodno, Vilnius et Minsk. A pied, le bagage léger, il vint seul des confins de la Lituanie et de la Biélorussie jusque dans la lointaine France. C’est à Paris qu’il s’arrêta, rejoint peu à peu par ses frères, ses sœurs, puis ses parents ». L’essentiel de cette famille paternelle, et celle de sa mère venue du cœur de l’Ukraine pour échapper aux pogroms « encouragés par le gouvernement de Nicolas II pour faire oublier les défaites de son armée contre l’Empire japonais à Port Arthur en 1905 », disparut dans la Solution finale, arrêtée à Paris sous l’Occupation par la police française. Son père était un passionné de politique et un amoureux de la France, amour qu’il transmit à sa famille. Sa mère déploya une énergie sans pareil pour trouver les moyens de la nourrir, puis de la soustraire à la persécution en traversant clandestinement la ligne de démarcation avec ses deux enfants, son père demeurant dans la capitale, estimant « que son fort accent étranger le perdrait immanquablement ». Robert Dautray ne devait jamais le revoir.

Déporté à Auschwitz, il disparut dans la Pologne qu’il avait traversée quarante ans auparavant pour rejoindre la France. La dernière image que son fils conserva de lui fut celle d’un père « nous faire signe du balcon du cinquième étage ». Il tenta de les rejoindre en zone sud, mais fut arrêté près de Bordeaux, envoyé dans un camp à Mérignac puis déporté. A son retour à Paris après la Libération, le jeune homme reçut la nouvelle officielle de sa mort à Auschwitz. Il ne cessa durant plus de dix ans de faire le même rêve d’un père en réalité vivant, présent. « La perte de mon père m’avait infligé une blessure qui, à mon insu, m’influença une longue partie de ma vie ». Il tenta de compenser l’absence en s’essayant de connaître et de comprendre le système concentrationnaire, la Solution finale, l’industrie de l’extermination voulue par les nazis, l’acceptation du peuple allemand. Des collègues devenus des amis l’aidèrent dans ce cheminement de connaissance, Roger Heim, professeur au Muséum national d’histoire naturel, lui-même survivant de Mathausen, le philosophe Kostas Papaïoannou, ou son camarade de l’Ecole polytechnique Jacques Lesourne, passionné d’histoire *.

L’Occupation allemande et la politique antijuive furent subies de plein fouet par Robert Dautray élève à l’école Colbert qui formait des apprentis (où il spécialisa en menuiserie). Le matin où il dut ainsi porter l’école jaune, il assista à la brutalisation des élèves juifs dans la cour de l’école par leurs camarades (« Aucun professeur, aucun membre de la direction n’étaient visibles »). Le 16 juillet 1942, la famille avait échappé à la rafle du Vél’ d’Hiv, en raison d’une mauvaise adresse utilisée par la police française, celle du magasin-atelier-arrière-boutique des parents et non celle du domicile privée. Les concierges avaient feint d’ignorer où ils vivaient et avaient envoyé leur fille, infirmière à l’Hôtel-Dieu, les prévenir. La décision fut prise de quitter aussitôt Paris, en scindant la famille aux risques de perdre à jamais l’un de des membres. La mère et les deux enfants parvinrent jusqu’aux environs de Nîmes, dans le village de Marguerittes où habitaient des cousins. Le trajet en autocar, depuis la gare de Nîmes, « fut enchanteur : bordée d’immenses platanes, la route passait au milieu des oliveraies, des vignobles et des garrigues. La lumière du sud nous enveloppait de son or liquide et chaud ».

Dans le village, ils purent finalement s’intégrer assez facilement. Proches des « rouges » (les républicains en réalité), ils accédèrent aux émissions de la BBC grâce à l’institutrices qui les accueillit pour écouter la radio de la France Libre. Robert Dautray y apprit le métier de berger et la nature au milieu de la guerre des hommes. Il avait quatorze ans. Ces années de survie furent aussi celle d’un bonheur inattendu, fait de découvertes et d’apprentissages multiples, « une source continuelle d’émerveillement après le cauchemar de la fuite, un âge d’or au milieu des tragédies de la guerre. [...] C’est là que j’ai, pour la première fois de ma vie, pu sortir du cercle familial et m’ouvrir au monde. C’est là que j’ai pu rencontrer la nature et ceux qui la cultivent ou, plutôt, qui la courtisent. » Avant de pouvoir, à la fin de la guerre regagner Paris, Robert Dautray et sa mère (tandis que sa sœur travaillait dans la grande librairie de Nîmes et suivait des études de littérature anglaise) doivent fuir à nouveau pour échapper aux miliciens. Prévenus par des gendarmes, ils se réfugient dans un village des Cévennes, Peyreleau, où Raoul reprend son métier de berger. Il assiste aux reconversions subites des Français pro-allemands et de toutes ces lâchetés et violences que la bonne société française charria à la Libération.

Ces premiers chapitres des Mémoires de Robert Dautray valent pour eux-mêmes tant ils sont profonds et justes, écrits avec une retenue dans le style qui n’en confère que plus de force intellectuelle et morale. Au-delà de la trahison de bien des élites françaises devant l’occupant, l’auteur a vu s’approfondir son amour de la France à travers ces actes anonymes, désintéressés qui lui permirent de survivre, de résister, de se construire. Les messages de la BBC ouverts par le fameux : « Honneur et patrie, voici la France libre ! » symbolisaient pour lui ce pays de la dignité et de l’avenir. Toute la carrière de Robert Dautray, et son exceptionnelle réussite comme scientifique, en témoignent. Homme de grande culture et de sensibilité à la nature, Robert Dautray choisit de clore son livre sur une citation d’Alexis de Tocqueville évoquant le caractère singulier du peuple française qu’il choisit de reconnaître et de servir, une nation paradoxale. « Seule, elle peut vouloir prendre en main un certain jour la cause commune de l’humanité et vouloir combattre pour elle. Et si elle est sujette à des chutes profondes, elle a des élans sublimes qui la portent tout à coup jusqu’à un point qu’un autre peuple n’atteindra jamais ».

Vincent Duclert

 

Robert Dautray - Jacques Lesourne

Jacques Lesourne, qui fut notamment directeur du Monde, est pour Robert Dautray un ami très cher, dont le « soutien intellectuel et moral » ne lui a jamais fait défaut et qui l’encouragea particulièrement pour l’écriture de ses Mémoires. Les deux amis ont publié en 2009, aux éditions Odile Jacob L'Humanité face au changement climatique (319 p., 27,50 €).

Blog Lesourne

 

 

28 juillet 2012 | 

Syrie, suite. Michel Seurat, toujours

C’est en 1947, à Bizerte, qu’est né dans une famille française de Tunisie le futur chercheur sur le Moyen Orient arabe Michel Seurat. Sociologue et politiste spécialiste de la Syrie, recruté en 1981 par le CNRS, en poste à Beyrouth au Centre d’études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain, chercheur intrépide qui déménagea la bibliothèque du CERMOC en pleine invasion de Beyrouth par l’armée israélienne durant l’été 1982 ou choisit les terrains d’étude les plus périlleux et les plus nécessaires, il avait publié en 1983 un ouvrage sur Les Frères musulmans (Gallimard) en collaboration avec Olivier Carré. Cet ouvrage a été réédité en 2002 chez L’Harmattan. Michel Seurat avait rédigé, sous le pseudonyme de Gérard Michaud, les chapitres consacrés à la Syrie et soulignant particulièrement la répression implacable de la révolte islamiste de la ville d’Hama, répression conduite à l’automne 1981 par le frère d’Hafez el-Assad, Rifaat. L’identité de l’auteur de l’article originellement paru dans la revue Esprit avait été rapidement dévoilée, attirant l’attention sur lui des services secrets syriens et des alliés au Liban du Hezbollah.

Ceux-ci décidèrent alors de son enlèvement, le 22 mai 1985 sur la route de l’aéroport de Beyrouth. L’opération fut réalisée par le Jihad islamique, une organisation téléguidée par le Hezbollah lui-même contrôlé par le pouvoir syrien. Le 5 mars 1986, ses ravisseurs annoncèrent « l’exécution du chercheur espion spécialisé Michel Seurat ». Gilles Kepel et Olivier Mongin, qui éditèrent au seuil en mai 1989 le recueil de ses principaux articles de recherche, sous le titre L’Etat de barbarie rappelèrent la vérité : « Il avait en réalité succombé plusieurs mois auparavant, après une longue agonie consécutive aux mauvais traitements et au manque de soins, otage au fond d’une geôle libanaise. Mais la guerre du mensonge – ce ressort du terrorisme moyen-oriental – demandait que la mort de Seurat fût mise en scène. » La dictature d’Hafez el-Assad avait été mise à nue par ce jeune chercheur français qui apprit tout autant de ses études en France à Lyon que du terrain du sociologue à partir de son installation à Beyrouth en 1971. Dans L’Etat de barbarie, il s’attache à comprendre la tyrannie moyen-orientale à travers l’exemple syrien des années 1979-1982. Il développe aussi des axes de recherche essentiels sur la relation entre la ville fragmentée et la violence politique. Ses travaux demeurent des références vivantes comme en témoigne l’étude de Hamit Bozarslan, Une histoire de la violence au Moyen-Orient. De l’empire ottoman à Al-Qaida parue en 2008 aux éditions La Découverte (324 p., 24 €) : le nom de Michel Seurat n’y est pas seulement présent en tant que victime de la violence politique mais surtout et d’abord comme sociologue engagé, dont les travaux permettent, plus de vingt ans après leur conception, de comprendre ce phénomène général.

La mémoire de Michel Seurat comme chercheur n’a donc pas totalement disparu. On la trouve aussi dans le livre émouvant que sa femme Marie lui a consacré en 1988, Les Corbeaux d’Alep (éditions Lieu Commun, rééd. Gallimard, coll. « Folio », 1989, 253 p., 5,10 €), dans l’amitié d’un autre et brillant orientaliste, Jean-Pierre Thieck, qui devint par la suite correspondant du Monde à Istanbul (une amitié rappelée à la fois par Marie Seurat et par Gilles Kepel dans la préface à Jean-Pierre Thieck, Passion d’Orient, Karthala, 1992, p. 7-9). Le CNRS n’oublia pas non plus son agent et créa en juin 1988 les Bouses Michel Seurat « honorer la mémoire de ce chercheur, du spécialiste des questions islamiques, disparu dans des conditions tragiques. Ce programme vise à aider financièrement chaque année un jeune chercheur, français ou ressortissant d'un pays du Proche-Orient, contribuant ainsi à promouvoir connaissance réciproque et compréhension entre la société française et le monde arabe ». Le nom et l’exemple de Michel Seurat ont contribué à faire des études moyen-orientales contemporaines un objet à part entière et profondément scientifique malgré ses implications politiques immédiates.

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En 2006, le Hezbollah révéla le lien où Michel Seurat avait été hâtivement enterré. Le 7 mars 2006, sa dépouille rentrait en France. Le premier ministre Dominique de Villepin présida une cérémonie en présence de la famille de Michel Seurat, de sa femme et de ses deux filles Alexandra et Laetitia que leur père avait à peine connues, surtout la dernière. Le 12 février 2008, Imad Moughnieh, un des chefs militaires du Hezbollah, responsable présumé de la vague d’attentats et d’enlèvement d’occidentaux au Liban durant les années 1980 était assassiné dans l’explosion de sa voiture, à Damas où il était réfugié. Les services secrets israéliens ont démenti avoir été à l’origine de sa mort qui le soustrait définitivement à un jugement devant un tribunal. Selon des renseignements dignes de foi, l’assassinat de l’ambassadeur de France Louis Delamarre* n’est pas resté non plus impuni.

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En 2009, le Cinéma du réel (www.cinereel.org)  a présenté le film du cinéaste Omar Amiralay, Par un jour de violence ordinaire, mon ami Michel Seurat. On se souviendra qu’en juillet 2008, Bachar el-Assad, invité à assister au défilé du 14 juillet à Paris par l’ancien Président français, avait déclaré dans Le Figaro (qui l’interrogeait le 8 juillet) que le chemin de la démocratie « est un long chemin qui peut durer une ou plusieurs années. Il dépend de la culture, des traditions, des conjonctures politiques et économiques, et d’autres conditions régionales et internationales. Nous avons effectué plusieurs pas dans ce sens. » On ne cesse de mesurer ces pas depuis que le pouvoir syrien a rendu à ses parents, avec obligation de l’enterrer sur le champ, le corps atrocement torturé d’un enfant disparu le 29 avril dernier en marge des manifestations de Deraa, Hamza al-Khatib, épicentre de la contestation syrienne depuis que d’autres enfants avaient été arrêtés pour avoir taggé, des slogans de la révolution égyptienne de 2011 (une vidéo postée sur YouTube a montré toutes les blessures infligées, le visage de l’enfant est tuméfié. Son corps est couvert de brûlures de cigarettes et d’impacts de balles).

Blog seurat
Epuisé, L’Etat de barbarie a été opportunément réédité aux Presses universitaires de France en mai dernier, avec une préface inédite de Gilles Kepel (coll. « Proche Orient », 304 p., 27 €).

 Vincent Duclert

 

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27 juillet 2012 | 

Manifeste de solidarité avec le Professeur Kazdaghli et les universitaires tunisiens

Il n’existe pas de synthèse accessible sur l’histoire de la Tunisie contemporaine comme on en dispose pour l’Algérie (Benjamin Stora, dans la collection « Repères » de La Découverte), pour la Turquie (Hamit Bozarslan, dans la même collection), ou pour le Maroc (Pierre Vermeren, idem). Cette lacune, alors même que la Tunisie fut pionnière dans le mouvement du « printemps arabe », ne permet pas d’apprécier à sa juste gravité ce qui se déroule aujourd’hui dans les universités tunisiennes. Une pétition vient d’être diffusée en France et dans le monde afin d’alerter sur les menaces consérables pesant sur les libertés académiques. La voici (dans la version longue de la note).

Vincent Duclert 

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Alep la multiple

Blog alep
La bataille d’Alep, qui apparaît décisive pour la victoire de la rébellion syrienne et le sort du pouvoir baasiste acculé implique une très grande cité du Moyen-Orient, une ville des communautés religieuses mêlées, musulmanes, juives, chrétiennes, des langues qui se répondent, arabe, syriaque, français, anglais, des architectures qui se croisent, des mosquées et des rues pleines d’une activité incessante et fiévreuse, la ville où habita le Prophète qui abreuvait les pauvres avec le lait de ses nombreux troupeaux de brebis (selon Ibn Battuta, 1304) et d’où est venu son nom, du verbe « traire ».

« Alep la multiple », a écrit Marie Seurat, la femme du chercheur assassiné au Liban par des fondamentalistes, dans un splendide ouvrage de textes et de photos, une « promenade à Alep », dans ces quartiers qu’elle a tant connus avant de connaître l’exil (Salons, coton, révolutions…, 1995, Le Seuil, 223 p., 25,90 €). C'est la ville où le romancier juif autrichien Franz Werfel décida d’écrire sa grande fresque romanesque sur le génocide arménien, Les quarante jours du Musa Dagh (1933) après avoir été le témoin, en 1929, du « spectacle désolant d’enfants de réfugiés, […], mutilés et minés par la faim ». Alep mérite de vivre, et libre.

Vincent Duclert

 

L'expérience britannique

Le 25 juillet, à quelques jours de l’ouverture de la grande fête des JO de Londres, Le Monde informait ses lecteurs de la poursuite de la récession au Royaume-Uni. « Le chiffre a surpris les analystes. Le Royaume-Uni s'est en effet enfoncé davantage dans la récession au deuxième trimestre, enregistrant un nouveau recul de son produit intérieur brut (PIB), de -0,7 %, selon une première estimation publiée mercredi par l'Office des statistiques nationales. Les prévisions des analystes compilées par Dow Jones tablaient sur - 0,3 %. »

Blog tombs
Encore une manœuvre des mangeurs de grenouilles pour assombrir la liesse anglaise ? Nullement, même si les relations entre la France et le Royaume-Uni sont historiquement celles d’ « ennemis intimes », pour reprendre l’expression qui sous-titre l’étude de deux historiens britanniques grands connaisseurs de l’histoire française, Robert et Isabelle Tombs (traduit de l’anglais par Christophe Jaquet, coll. « La France et le monde », 503 p., 29,90 €). La réalité économique est hélas plus triviale, et bien décrite dans l’ouvrage déjà mentionné de Paul Krugman, Sortez-nous de cette crise maintenant ! (aux éditions Flammarion), dont La Recherche publiera une analyse dans son numéro de rentrée. Un peu de patience…. Mais on ne peut pas, ici, ignorer les quelques pages que le Prix Nobel d’économie 2008 consacre à « l’expérience britannique ». Celles-ci sont terribles pour le gouvernement actuel. Alors que rien n’obligeait le Royaume-Uni à se lancer dans une politique d’austérité – contrairement aux pays qui le font sous contrainte comme la Grèce, l’Irlande ou l’Espagne -, James Cameron s’est lancé avec détermination dans la réduction de la dépense publique, simplement parce qu’elle accroît la « confiance ». Résultat, cette confiance tant recherchée a fini par fondre, chez les investisseurs comme chez les consommateurs. « Il en résulte que l’économie britannique demeure profondément déprimée à ce jour », écrit encore Krugman qui ajoute : « à l’heure où j’écris ces lignes [début 2012], il semble bien que le pays soit en train d’entrer dans une phase nouvelle de récession ». Economiquement parlant, rien n’obligeait le gouvernement à engager cette politique d’austérité, d’autant plus qu’avec le contrôle national de la monnaie, le Royaume-Uni dispose d’outils dont sont privés actuellement la Grèce ou l’Espagne (ce qui ne veut pas dire que la sortie de l’euro, extrêmement couteuse politiquement et financièrement, serait la bonne solution pour ces pays). Voici l’exemple de dirigeants qui ont plongé une économie qui résistait à la crise dans une forte dépression, au nom de la « fée confiance » brutalement changée en sorcière. Mais c’est un économiste américain qui le dit. Il reconnaît toutefois que la Bank of England « n’a jamais cessé de faire son possible pour atténuer le marasme. Elle mérite pour cela des louanges, parce qu’il n’a pas manqué de voix pour exiger qu’à l’austérité budgétaire s’ajoute la hausse des taux d’intérêt. »

Vincent Duclert

 

Enquêtes sur la consommation

Blog consomm
Réfléchir à la relance implique de connaître consommateurs et consommation. Ici l’économique croise le social, le politique et même le psychologique, entre dimension individuelle et collective, allant du terrain français à l’exemple américain à la fois modèle et repoussoir. C’est l’objet de L’histoire de la consommation que propose, à La Découverte (coll. « Repères », 128 p., 10 €), Marie-Emmanuelle Chessel, directrice de recherche au CNRS. Celle-ci avait auparavant dirigé avec plusieurs de ses collègues une étude collective sur Consommation et politique en Europe et aux Etats-Unis au XXe siècle (coll. « L’espace de l’histoire », 2004, 424 p., 26 €).

Blog consomm 3

 

 

La crise espagnole

Blog espagne
Dans un collectif achevé en 2009 et publié aux éditions Armand Colin, Histoire de l’Espagne contemporaine de 1808 à nos jours (coll. « U », 334 p., 30,50 €), Jordi Canal, qui en assura la direction, soulignait le poids de la crise, dès 2008, sur les évolutions sociales et politiques. L’approfondissement de la dépression, où la crise financière est venue ces dernières semaines aggraver la crise sociale (avec des taux de chômage record), est un véritable défi pour la démocratie espagnole mais aussi pour l’Europe contrainte de s’interroger sur ses capacités de réaction commune à la destruction massive des emplois.

Vincent Duclert

 

26 juillet 2012 | 

Sur les toits de New York

Blog toits
Après un Master d’architecture à Harvard, Alex Maclean a fondé à Boston en 1975 Landslides, une agence spécialisée dans la photographie aérienne. La Découverte a publié en 2008 le résultat de l’une de ses campagnes effectuée au-dessus des Etats-Unis, Way of Life : une absurdité écologique. Le Blog des Livres en avait rendu compte à l’époque. Voici que le même éditeur, associé aux éditions Dominique Carré, sort un deuxième volume des superbes images de Maclean dotées d’un pouvoir de démonstration hors-pair. Cette fois, le photographe se saisit d’un espace ignoré et pourtant considérable et depuis peu stratégique, les toits de New York (Espaces cachés à ciel ouvert, traduit par Bruno Gendre, 240 p., 42 €). De la ville capitale on connaît en effet les façades des immeubles, les rues et avenues, les places et les parcs, les ponts et les rives. On imagine rarement combien les toits de New York, d’une superficie bien supérieure aux espaces perçus par le citadin, recèlent de paysages et de fonctions diverses, terrasses, jardins, potagers, piscines. Et pour les simples toit-terrasses, désormais la couleur est au blanc, manière de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique : New-York transformé en vaste banquise ou forêt amazonienne, au choix ! Ces choix blanc-vert constitue l’une des initiatives du maire actuel, auquel rend hommage le préfacier, spécialiste de l’architecture au Boston Globe. Michael Bloomberg a fait de New York une grande cité écologique (enfin, presque...), promoteur de la fameuse High Line, une ancienne voie ferrée qui élève le piéton vers les espaces miraculeux des toits de la ville, nouvel eldorado pour une nation toujours en quête de nouvelles frontières. Ce livre est une merveille de découvertes, une mine d’informations concentrées sur chaque image. On recommandera la dernière section consacrée à Quelques bizarreries dont une maquette en taille réelle de biplan posé à l'extrémité d'une piste synthétique : le promoteur de l'imeuble souhaitait offrir quelque chose d'original aux spectateurs des grandes tours voisines ! Il pourra exposer maintenant le petit hélicoptère Robinson R22 qu'a utilisé Maclean pour ses prises de vue. 

Vincent Duclert