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octobre 2010

11 octobre 2010

Humeur badine

Blog pin 
Le mercure monte chez Armand Colin. Michel Marie, professeur à Paris III-Sorbonne Nouvelle, spécialiste du huitième art, n’est pas seulement le directeur de la plus prestigieuse collection d’histoire et d’esthétique du cinéma dans cette vénérable maison universitaire. Il anime aussi une autre et surprenante collection avec l’équipe de Monsieur Cinéma : dans des formats de demi-« beaux livres » à la maquette et au prix très attractifs (moins de 20 euros), sont déclinés les meilleurs clichés attachés à l’univers du film, mais traités bien sûr au second et même troisième degrés avec une batterie de photographies aux effets plus dévastateurs que ceux de la petite pilule bleue. Après les hommes-objets au cinéma (Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, 128 p., 18,50 €), ou L’amour fou (Giusy Pisano, id.), et avant Les plus grande scènes de nu (je plaisante à peine), voici Les pin-up de Laurent Jullier (encore lui !) et Mélanie Boissonneau, avec un prix d’appel ( !) de 15,50 €. Parce que, si « la pin-up est là pour être regardée, [...] être regardée ne fait pas d’elle une potiche » *. De l’audace, toujours de l’audace !

Vincent Duclert

* Les écrits de Marilyn publiés récemment au Seuil et dans le monde entier tendent à le démontrer.

07 octobre 2010

La démocratie internet

Blog cardon 
La démocratie Internet
, sous-titré « Promesses et limites » (109 p., 11,50 €) est la dernière parution dans la collection « La République des idées » dirigée conjointement par Ivan Jablonka et Pierre Rosanvallon. On pourrait résumer le propos de l’auteur, Dominique Cardon, sociologue, spécialiste des nouvelles technologies et des transformations de l’espace publics, en disant que la démocratie n’est pas dans Internet, mais dans les usages que nous en faisons. Pour les comprendre, il s’empare des problématiques de l’espace public et en analyse les mutations sous l’effet de la « Révolution Internet ». Double révolution même : « d’une part, le droit de prendre la parole en public s’élargit à la société entière ; d’autre part, une partie des conversations privées s’incorpore dans l’espace public. [...] Internet rend ainsi visible un ensemble d’attentes qu’il est crucial de décrypter ». Cet ouvrage montre comment « celles-ci dessinent une forme démocratique propre dont on peut trouver les principes dans l’histoire, les valeurs et les usages d’Internet ».

Vincent Duclert

06 octobre 2010

Psychopathologie des profondeurs

Blog star 
Dans Vision Aveugle, roman qui l’avait révélé au public francophone, le Canadien Peter Watts avait déjà confiné dans l’espace exigu d’une capsule spatiale un beau panel de désaxés : un vampire, survivant d’une sous-espèce prédatrice que l’on croyait éteinte ; une femme aux personnalités multiples ; un homme rendu incapable d’empathie après l’ablation d’un de ses hémisphères cérébraux, etc. Avec Starfish (traduit de l’anglais par Gilles Goullet, Fleuve Noir, 2010, 360 p., 21 €) , il réitère cette angoissante combinaison de claustro-phobie, de psychopathologie et d’ivresse des espaces aussi infinis qu’inconnus, mais en ramenant l’étrangeté à une échelle terrestre. Biologiste marin de formation, l’auteur s’est employé à imaginer dans les failles abyssales une post humanité composée d’inadaptés et de traumatisés, cobayes modifiés par la bio ingénierie pour respirer au fond des océans et résister aux pressions intenables qui y règnent, afin d’assurer la maintenance de stations géothermiques sous-marines. Après une douloureuse phase d’adaptation à cette immensité ténébreuse et hosti-le, ces « rifteurs », improbable échantillon de déviants, d’écorchés vifs, de sado-masochistes et d’asociaux, semblent offerts à une forme de rédemption amphibie. Mais les nouvelles de la surface, qui nous parviennent par bribes comme à ces travailleurs du fond de la mer, ne sont guère rassurantes et menacent ce nouvel équilibre précaire.

L’écriture de Peter Watts est aussi dérangeante et nerveuse que dans Vision Aveugle, où il mettait déjà un humour glacé au service de son étrange paranoïa désabusée. Premier volet d’une trilogie qui s’annonce sous les meilleurs auspices, Starfish est cependant long à en mettre en place les éléments, et on peut lui reprocher le défaut de beaucoup d’œuvres de « hard SF », qui noient trop sou-vent le lecteur sous un flot d’informations et de jargon. On se régale pourtant des notes rassemblées à la fin de l’ouvrage, où Watts prend un malin plaisir à se jouer de la frontière entre possible et probable. Car il pratique en virtuose l’art clé de tout auteur de hard SF qui se respecte, celui de singer le discours scientifi-que pour rendre plausibles les pires extravagances*. Un auteur à suivre de très près et qui promet de marquer le genre de son empreinte.

Ivan Kiriow

* Il faut voir par exemple sur son site internet la parodie savoureuse et effrayante d’une communication savante sur l’Homo Sapiens Vampiris imaginé pour Vision Aveugle, qui n’épargne pas les dérives de l’industrie pharmaceutique et les dangers d’une « science sans conscience » :

http://www.rifters.com/blindsight/vampires.htm

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

05 octobre 2010

Claude Lefort, 1924-2010

Blog Lefort 
Claude Lefort est décédé avant-hier, 3 octobre, à l’âge de 86 ans. Penseur de l’antitotalitarisme, du socialisme et de la démocratie, il avait marqué un moment de la réflexion sur le politique à laquelle il avait donné une profondeur et une gravité sans équivalent. En avril 2008, nous avions publié sur Le Blog des Livres un billet consacré à son ouvrage Le Temps présent. Nous le republions ci-dessous. Pour nous, et plus encore parce qu’il n’est plus, Claude Lefort, c’est toujours « le temps présent ». Il l’est particulièrement pour Marcel Gauchet. Poursuivant son œuvre dans l’inspiration de Lefort, il sort dans quelques semaines, aux éditions Gallimard, le troisième tome de L’avènement de la démocratie, intitulé : A l’épreuve du totalitarisme 1914-1974. Une forme d'hommage, jusque dans les titres, à la pensée de Claude Lefort, lui qui publiait en 1994, aux éditions Calmann-Lévy, Ecrire. A l'épreuve du politique.

Blog lefort 2 
Claude Lefort est à mon avis le philosophe du politique le plus important en France, à la fois par sa critique du totalitarisme et par sa réflexion sur la démocratie. Il a repris et dépassé tout le programme d’étude de Raymond Aron et avant lui d’Elie Halévy. Malheureusement, sa notoriété publique n’est pas à la hauteur de sa pensée capitale, en témoigne le faible impact de la publication de ses écrits de 1945 à 2005 coordonné par Claude Mouchard (Le temps présent, 2007, Belin, coll. « Littérature et politique », 1040 p., 42 €). Alors que l’on parle beaucoup en ce moment de Mai 68, on pourrait relire la nouvelle préface qu’il donnait en 1988 à la Brèche paru dès juin 68 (co-écrit avec Edgar Morin et Jean-Marc Coudray alias Cornelius Castoriadis) : « Relisant cet ancien essai, je constate qu’il souffre de n’avoir pas mieux replacé le mouvement de Mai dans le cadre de la société démocratique. S’il n’a pas été à l’origine d’une révolution, ce n’est pas seulement qu’il fut, pour l’essentiel, un mouvement d’étudiants, comme je l’ai noté, c’est, avant tout, parce que la démocratie est ce régime dans lequel le conflit, si intense soit-il, trouve normalement sa place ; ce régime qui consent à se laisser ébranler, ne désarme pas l’espoir du changement ; ce régime qui ne saurait – à moins d’être détruit, non par une révolution, mais par un mouvement totalitaire – se confond ni avec le système capitaliste, ni avec la domination de la bureaucratie, ni avec l’empire de la technique, quoiqu’il leur soit, inextricablement, lié. » (p. 597) Il est donc temps, à notre tour, de lire ou relire Claude Lefort dans le temps présent.

Vincent Duclert

04 octobre 2010

Le Premier Charpak

Blog chap 
Georges Charpak n’est plus, mais ses mémoires, publiés en juin 2008, demeurent. Ils ont été écrits avec les contributions de ses amis et collègues François Vannucci, Roland Omnès et Richard L. Garwin.

Ces Mémoires d’un déraciné, physicien et citoyen du monde (Odile Jacob, 311 p., 23 €) s’ouvrent sur « les tribulations d’un immigré d’Europe centrale » et sa rencontre avec la France, « patrie d’accueil ». Il avait seize ans en 1940, il entrait l’année suivante en première année de mathématiques spéciales au lycée Saint-Louis à Paris. « La catastrophe nazie bouleversa [sa] vie ». Militant trotskiste dès son plus jeune âge, en 36, Georges Charpak, avec sa famille, décide de braver les mesures antisémites de Vichy en refusant de porter l’étoile jaune. En juillet 1942, un camarade de lycée dont le père état policier vint le prévenir qu’ils seraient arrêtés le lendemain, dans les rafles qui prirent le nom de Vel’d’Hiv. La famille traversa la ligne de démarcation et se réfugia en zone sud. Le jeune Charpak venait d’être reçu aux épreuves écrites de l’Ecole de physique et de chimie de Paris. Inscrit sous un faux nom au lycée de Montpellier, il passa une « magnifique année d’études » et se fit des « amis très chers ». Il menait en parallèle une activité de résistance (qui lui valut plus tard le grade de lieutenant dans les FFI). Arrêté, incarcéré à la prison centrale d’Eysses, il participa à une tentative d’évasion générale qui échoua. La répression fut sanglante. Les gardiens furent remplacés par des miliciens qui livrèrent les résistants rescapés à la division Das Reich (responsable, par la suite, du massacre d’Oradour-su-Glane). Après un passage au camp de concentration de Compiègne, il fut déporté avec ses camarades à Dachau, le 18 juin 1944. Il devint un esclave pour les besoins d’infrastructure de l’armée de l’air allemande. Il fut affecté au chantier de construction d’une piste d’atterrissage pour avions de chasse. Ses mémoires décrivent précisément tous les dispositifs imaginés pour survivre et élaborer un pouvoir de résistance, même minime soit-il. Avec l’un de ses aînés rencontré à la centrale d’Eysses, un étudiant en mathématiques (et trotskistes), Georges Charpak put continuer d’étudier. Il lui apprit « les mathématiques modernes ». Enfin, l’armée américaine du général Patton libéra les déportés. Après d’ultimes péripéties en Allemagne, l’auteur fut rapatrié en France, à l’hôtel Lutetia. Toute cette histoire individuelle, croisant de multiples destins collectifs, fut très bien racontée dans un livre précédent écrit avec Dominique Saudinos, La Vie à fil tendu, paru en 1993 chez le même éditeur, un an après l’obtention du Prix Nobel de Physique.

Encore polonais mais ancien combattant, Georges Charpak entra à l’Ecole des Mines. Il fut naturalisé français en 1946 et il fit son entrée dans la physique comme jeune stagiaire de recherche au CNRS, au laboratoire de Frédéric Joliot-Curie au Collège de France. « Mes titres de résistant n’y furent sans doute pas étrangers », confie-t-il ici. Une autre histoire, plus connue peut-être, commençait pour Georges Charpak.

Vincent Duclert