Claude Lefort est décédé avant-hier, 3 octobre, à l’âge de 86 ans. Penseur de l’antitotalitarisme, du socialisme et de la démocratie, il avait marqué un moment de la réflexion sur le politique à laquelle il avait donné une profondeur et une gravité sans équivalent. En avril 2008, nous avions publié sur Le Blog des Livres un billet consacré à son ouvrage Le Temps présent. Nous le republions ci-dessous. Pour nous, et plus encore parce qu’il n’est plus, Claude Lefort, c’est toujours « le temps présent ». Il l’est particulièrement pour Marcel Gauchet. Poursuivant son œuvre dans l’inspiration de Lefort, il sort dans quelques semaines, aux éditions Gallimard, le troisième tome de L’avènement de la démocratie, intitulé : A l’épreuve du totalitarisme 1914-1974. Une forme d'hommage, jusque dans les titres, à la pensée de Claude Lefort, lui qui publiait en 1994, aux éditions Calmann-Lévy, Ecrire. A l'épreuve du politique.
Claude Lefort est à mon avis le philosophe du politique le plus important en France, à la fois par sa critique du totalitarisme et par sa réflexion sur la démocratie. Il a repris et dépassé tout le programme d’étude de Raymond Aron et avant lui d’Elie Halévy. Malheureusement, sa notoriété publique n’est pas à la hauteur de sa pensée capitale, en témoigne le faible impact de la publication de ses écrits de 1945 à 2005 coordonné par Claude Mouchard (Le temps présent, 2007, Belin, coll. « Littérature et politique », 1040 p., 42 €). Alors que l’on parle beaucoup en ce moment de Mai 68, on pourrait relire la nouvelle préface qu’il donnait en 1988 à la Brèche paru dès juin 68 (co-écrit avec Edgar Morin et Jean-Marc Coudray alias Cornelius Castoriadis) : « Relisant cet ancien essai, je constate qu’il souffre de n’avoir pas mieux replacé le mouvement de Mai dans le cadre de la société démocratique. S’il n’a pas été à l’origine d’une révolution, ce n’est pas seulement qu’il fut, pour l’essentiel, un mouvement d’étudiants, comme je l’ai noté, c’est, avant tout, parce que la démocratie est ce régime dans lequel le conflit, si intense soit-il, trouve normalement sa place ; ce régime qui consent à se laisser ébranler, ne désarme pas l’espoir du changement ; ce régime qui ne saurait – à moins d’être détruit, non par une révolution, mais par un mouvement totalitaire – se confond ni avec le système capitaliste, ni avec la domination de la bureaucratie, ni avec l’empire de la technique, quoiqu’il leur soit, inextricablement, lié. » (p. 597) Il est donc temps, à notre tour, de lire ou relire Claude Lefort dans le temps présent.
Vincent Duclert