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février 2010

18 février 2010

Les ruses de la démocratie

Blog ruses
En dépit de l’importance des moyens de contrainte et de répression mis en œuvre pour soumettre la société et empêcher la contestation, la dictature chinoise ne réussit pas à faire taire la dissidence. Isabelle Thireau et Hua Linshan démontrent, dans une étude qui s’appuie sur l’analyse de ces espaces sociaux de parole apparus dès 1951, l’historicité de la protestation en Chine. Leur livre, qui paraît au Seuil sous le titre Les ruses de la démocratie (coll. « L’histoire immédiate », 453 p., 22 €), ne s’intéresse pas directement à la contestation politique, à la critique du régime. Il s’agit davantage de revendications découlant d’expériences ordinaires de la vie sociale. Il n’empêche. Comme l’écrivent les deux chercheurs du CNRS, de telles attentes « n’en sont pas moins politiques, et relèvent bien du champ sans cesse retravaillé de la démocratie ». En effet, les plaignants se donnent une conscience politique dans ces actions minuscules et pourtant décisives.

Vincent Duclert

15 février 2010

Alice et Cosinus

Cosinus_couverture
J’avais une dizaine d’années quand mes parents m’ont offert « Alice au pays des merveilles » et « l’Idée fixe du savant Cosinus ». Beaucoup de décennies plus tard, je les relis toujours avec émerveillement, non plus avec les yeux d’un enfant, mais avec ceux du scientifique, chercheur et universitaire que je suis devenu.

C’est d’abord à Cosinus que je me suis attaché ; sa lecture s’est adaptée à l’âge du lecteur. D’abord simple objet d’amusement, bande dessinée parmi tant d’autres, mais avec un fumet particulier, son aspect suranné (on dit maintenant « rétro »), son sujet, introduisant aux subtilités du monde des savants – je ne connaissais pas encore les mots « académique », « universitaire », …

Quelques repères : « Sic itur ad astra »– « Oui, M’sieur », apothéose de l’univers familier du lycée, diverses réflexions sur l’arithmétique et les bains de pieds, un calcul de la probabilité de monter dans l’omnibus, la théorie de la bicyclette et son aboutissement, l’invention méconnue de l'Anémélectroreculpédalicoupeventombrosoparacloucycle , montrant que le savant ne néglige pas le monde de l’innovation, annonciateur du paradigme de l’objet moderne multi usages, tel nos téléphones à tout faire.…, la démarche auprès du ministre pour obtenir une subvention. Sans oublier, dans un récit voisin, la découverte par le Sapeur Camember du transport par trous, prélude à l’invention du transistor et de la révolution technologique qui a suivi. Cosinus, n’ayant en tête que ses travaux en cours, passe pour distrait. Mais c’est bien la condition du chercheur, habité par son problème.

Tous ces épisodes burlesques faisaient rire le jeune lycéen, mais l’étudiant, le candidat au doctorat, le chercheur débutant y retrouvait des situations qui ne lui étaient pas étrangères. Ces aventures petit à petit apparaissaient comme une plongée dans les moeurs d’une tribu singulière, un véritable traité d’ethnologie ou, ce qui revient au même, un manuel de savoir vivre, en creux. Je ne saurais donc qu’en recommander l’étude à qui veut se lancer dans la recherche comme métier, et la lecture à l’honnête homme soucieux de comprendre comment vivent les savants. Alice m’a suivi de façon analogue, d’abord vu comme un simple conte enfantin, sans queue ni tête. Pourtant, l’absurdité, l’irrationnel qui dominent dans les deux romans –« Alice au pays des merveilles » et « De l’autre côté du miroir » - ne sont pas incompatibles avec la démarche scientifique. Le « nonsense » a sa logique propre, le raisonnement par l’absurde est, depuis Euclide, un mode classique de démonstration. Le conte devient un objet subtil de réflexions sur des concepts et leurs applications aux objets physiques. Lu sous cet angle, le texte contient nombre de concepts lisibles par un habitué de la démarche scientifique. La course effrénée dans laquelle la reine rouge entraîne Alice (dans « le miroir ») peut se lire comme un exercice sur la relativité. Et le sourire évanescent du « Chat du Cheshire » évoque les phénomènes de création-annihilation des particules élémentaires ; encore que d’autres y voient un rappel de la discussion platonicienne sur essence et existence, appliquée aussi à cette physique corpusculaire où ces mêmes particules ne prennent leur existence que par la définition de leurs attributs (la masse, la charge, la couleur, l’étrangeté, etc). Le scientifique –particulièrement le physicien- retrouve dans sa lecture de Lewis Carroll, des concepts qui lui sont courants ; des allusions à ce sourire du chat sont fréquentes dans la littérature, d’autres passages peuvent évoquer les géométries non euclidiennes.

En fait chacun y lit ce qu’il peut lui-même y apporter, avec un complet anachronisme. Pour « Cosinus » ,nous n’apportons qu’une simple remise à jour des mœurs et coutumes d’il y a une centaine d’années, dans le milieu académique, et c’est une belle leçon. Son auteur « Christophe » - Georges Colomb(1856-1945) qui était un botaniste respecté - ne serait pas trop dépaysé en assistant à un conseil d’université.

Alice_cover
Pour Lewis Carroll, les questions ne sont pas si simples. Le Révérend Charles Dodgson (1832-1898) était certes mathématicien, enseignant à Oxford, et avait une bonne formation philosophique. Pourtant, il n’est pas certain qu’il ait introduit intentionnellement dans ses œuvres les concepts mathématiques comme nous les voyons. Si les métamorphoses d’Alice (1865) nous font penser aux géométries riemanniennes de 1850  c’est une construction a posteriori de notre part, car Dodgson était resté farouchement « euclidien », ses écrits scientifiques le montrent. Néanmoins, sa culture lui avait fourni les moyens de donner des formes imagées à des concepts abstraits, intemporels, que nos chercheurs ont la joie de retrouver, en même temps que des émotions d’enfants.

Je n’ai cité que mes propres souvenirs. Chacun peut apporter ses expériences de lecture enfantine, des BD aux nouvelles et romans de science fiction. Pour moi, peu ont la subtilité et la profondeur de ces deux auteurs –qu’ils l’aient voulu ou que nous l’introduisions dans notre lecture. J’ai même la conviction que ces lectures n’ont pas été pour rien dans mon orientation et ma formation.

Pierre Baruch

L’idée fixe du savant Cosinus (Armand Colin, 1934 ; première édition 1893 , réédité Livre de Poche 1965). Fac-simile en accès libre à http://aulas.pierre.free.fr/chr_cos_01.html

Alice’s Adventures in Wonderland (MacMillan, 1948. Première édition MacMillan 1866, en accès libre à http://www.gasl.org/refbib/Carroll__Alice_1st.pdf ; trad. en français, La Pléiade 1990).

12 février 2010

Le diable dans un bénitier

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Offensive Darnton chez Gallimard qui ne publie pas moins de trois livres du grand historien américain de la Révolution française et de la France moderne. Le Mercure de France, filiale de l’éditeur de la rue Sébastien-Bottin, publie dans sa collection au nom prédestiné « Le Temps retrouvé » (dirigée par l’historien Antoine de Baecque) une édition longuement introduite et éclairée des Bohémiens, le roman méconnu et pourtant capital du Marquis de Pelleport, polémiste fameux des années précédant la Révolution. L’intérêt de Robert Darnton pour ce texte flamboyant s’explique par la description qu’il donne de milieux pré-libertaires où des hommes de plume croisent de jeunes révolutionnaires. Ce sont souvent les mêmes ! C’est la « bohême littéraire » !

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Bohême littéraire et Révolution

, l’une des études précisément du professeur émérite de Princeton, directeur du programme Harvard University Library, initialement parue dans sa version française en 1983, est rééditée dans la collection « Tel » de Gallimard (299 p., 11 €). Ce recueil d’articles majeurs explore le monde des livres au XVIIIe siècle, essentiellement dans l’espace français et à Paris où se trament de nombreuses histoires racontées avec méthode et talent par l’historien.

Blog darnton
Last but not least

, Robert Darnton publie une nouvelle étude, très substantielle, 680 pages dont 80 de notes, consacrée à L’art de la calomnie en France, 1650-1800, sur-titrée, dans un style très marquis de Pelleport (que l’on retrouve bien sûr parmi les protagonistes de la guerre des mots à l’époque moderne), Le Diable dans un bénitier (coll. « NRF Essais », 695 p., 28 €). Excellemment traduite (par Jean-François Sené), finement illustrée car le libelle se voit et se montre, la recherche de Robert Darnton introduit une nouvelle pierre à l’édifice de son œuvre de la même manière, - mais c’est toujours son œuvre -, qu’il révèle les sources proches et lointaines de l'apparente modernité de notre espace public, entre édition et sédition *.

Vincent Duclert

*Edition et sédition est le titre d'un autre des ouvrages de Robert Darnton (coll. « NRF Essais », 1991).

10 février 2010

Politique de l'association

Blog laville
Affirmée en France par la loi de 1901, la liberté d’association a permis la création de tout un monde dont le volet économique est souvent négligé. Dans Politique de l’association (Seuil, coll. « Economie humaine », 359 p., 20 €), Jean-Louis Laville, professeur au CNAM, revient sur toute une série d’expériences d’économie solidaire et d’économie sociale et les inscrit dans la réflexion théorique sur cette alternative au capitalisme financier. Il s'agit effectivement, ici, de politique.

Vincent Duclert

08 février 2010

Histoire globale, mondialisations et capitalisme

Blog hist
Les difficultés actuelles de la zone euro nous rappellent que la planète financière, dont l’Europe monétaire n’est qu’un élément, se caractérise par un phénomène croissant de mondialisation et de capitalisme mondial. Cette réalité n’est pas récente, elle a sa propre histoire, abordée dans un riche collectif par deux anthropologues, Philippe Beaujard et Laurent Berger, et un économiste, Philippe Norel (Histoire globale, mondialisations et capitalisme, La Découverte, coll. « Recherches », octobre 2009, 416 p., 32 €). Très internationale – et pour cause !-, l’équipe des rédacteurs rend compte des développements de la world history. Elle intègre notamment les travaux du sociologue et historien Immanuel Wallerstein dont les éditions Démopolis avaient publié en 2008 la traduction de The European universalism. The rhetoric of power.

Vincent Duclert

02 février 2010

Avis de décès d'un colloque non identifié

Blog besson
Hier, le ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire a annoncé l’annulation du colloque de clôture du « grand débat sur l’identité nationale » lancé il y a trois mois par Eric Besson. Le 2 novembre 2009, le ministre (et auteur de Pour la nation, Grasset, 2010, 120 p., 9 €) avait en effet invité les Français à venir débattre dans les préfectures et les sous-préfectures des « valeurs de l’identité nationale », avec deux questions à la clef : « Qu’est-ce qu’être français ? Quel est l’apport de l’immigration à l’identité nationale ? ». Aujourd’hui, le constat est fait par les organisateurs de l’impossibilité de la synthèse. C’était attendu, tant il est difficile de trouver des « valeurs » à « l’identité nationale ». Le ministère d’Eric Besson a fait savoir que « l’ampleur » prise par ce « grand débat » obligeait à l’abandon du colloque [prévu le 4 février] qui sera remplacé par un séminaire gouvernemental tenu à une date non précisée (AFP). Beaucoup de chercheurs ne regretteront pas qu'un colloque, cette fois, ne puisse avoir lieu. Son sujet relevait assez largement d'un objet non identifié.

Vincent Duclert

01 février 2010

Face aux incertitudes

Blog bessin
Des sociologues habitués au travail interdisciplinaire, Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti, ont convié des historiens, des économistes, des politistes, des philosophes, afin d’étudier la manière dont ces différentes disciplines ont conceptualisé les ruptures, les crises brutales, les accidents, l’événement ou la bifurcation en d’autres termes. Comment les étudier ? Peut-on déceler dans les questions posées et les idées développées des lignes suffisamment transversales pour faire l’objet d’une mise en commun ? Peut-on conduire une analyse structurelle faisant place à des imprévisibilités, à de la contingence, mais ne renonçant pas à la recherche de régularités, de généralisations ? Un atelier lancé en 2003 puis un colloque tenu en juin 2006, ont tenté, sinon de répondre à ces questions du moins de les nourrir d’études de cas et de réflexions théoriques qui forment un ensemble rayonnant s’achevant sur la proposition de « logiques collectives de l’incertitude » (Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, La Découverte, coll. « Recherches », 400 p., 28 €).

Vincent Duclert