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octobre 2009

28/10/2009

Internet en liberté conditionnelle

A partir de mi-2010, les adresses web pourront contenir des caractères chinois, japonais, coréens, arabes... Pour le président de l'Icann, l'organisme en charge de la gestion des noms de domaine, Rod Beckstrom, ce changement était vraiment nécessaire car « sur les 1,6 milliard d'utilisateurs dans le monde aujourd'hui, plus de la moitié utilisent des langues dont l'écriture n'est pas en caractères romains ». Il y a déjà en effet 338 millions d'internautes chinois.

Faite hier, cette annonce est le premier changement consécutif à une nouvelle dont on a sous estimé l'importance pour le monde de l'internet : le 1er octobre dernier, l'Icann (Internet corporation for assigned names and numbers) gagnait son indépendance et se dégageait (un peu) de l'emprise du gouvernement américain.

Petit rappel historique. Internet est né dans le service des recherches avancées du département de la défense américain (Darpa) au début des années 1960. En 1977, alors qu'un nombre croissant d'universités s'étaient jointes à ce projet militaire, le contrôle est passé en partie sous la coupe de la NSF, la National Science Foundation, une agence gouvernementale dédiée à la recherche. En partie seulement, car un service de la Darpa a conservé l'attribution des noms de domaine. Ce service, l'Iana (Internet Assigned Numbers Authority) est finalement passé dans le civil en 1983, dépendant dès lors du ministère du commerce. Quinze ans plus tard, en 1998, Bill Clinton céda aux pressions des acteurs d'internet qui jugeaient le gouvernement américain trop présent et l'Iana passa aux mains du privé. C'est là que naquit l'Icann, une société privée de droit californien liée par contrat au ministère du commerce, et responsable de l'Iana. Société privée donc, mais avec une dépendance forte du gouvernement américain. Par exemple, en 2005, sous la pression d'organisations conservatrices, le ministère du commerce avait bloqué le processus d'attribution des extensions ".xxx" pour les sites pornographiques. Plus largement, contrôler les extensions, c'est contrôler l'existence sur la Toile de tous les pays du Globe.

Le contrat liant l'Icann au ministère du commerce arrivant à échéance le 30 septembre, les appels à plus d'indépendance se sont multipliés ces derniers mois, notamment de la part de la commissaire européenne Viviane Reding. Mais, comme nous nous en étions fait l'écho dans La Recherche (octobre 2009, p.35), les espoirs de changements s'étaient considérablement réduits en juin dernier lorsque le gouvernement américain a nommé à la tête de l'Icann rien de moins que l'ancien directeur du Centre de la cybersécurité (NCSC) lié au département de la défense, Rod Beckstrom.

Pourtant l'inattendu s'est produit et le gouvernement a accordé à l'Icann le statut d'organisme international et indépendant. La porte était donc ouverte au chantier de l'internationalisation des adresses web, bloqué jusque là. L'issue était pourtant inévitable car la Chine avait mis sur les rails un projet concurrent de gestion des noms de domaines.

La gouvernance d'internet est-elle devenue libre ? Hélas, ce n'est pas si simple. Certes, l'organisme à but non lucratif publiera des rapports réguliers qui seront maintenant accessibles à tout un chacun, et son activité sera contrôlée par des comités représentant les différents Etats du Monde. Mais l'Icann n'en reste pas moins une société privée, soumise au droit californien. Par ailleurs, le secrétariat d'Etat au commerce conservera une part de son influence : il s'est octroyé un siège — et donc un droit de veto — dans le comité chargé de la responsabilité de l'Icann et pèsera dans la nomination du bureau directeur de l'Icann.

Surtout, l'accord ne concerne pas l'Iana, dont le contrat court jusqu'en 2011 ! Or, en 2005, c'est à l'Iana que le gouvernement a confié la gestion des extensions. Pour deux ans au moins, le gouvernement américain conserve donc tout son contrôle. Un contrôle politiquement important quand on sait que le nombre d'extension est aujourd'hui limité à 250 et que la levée de cette limite en est au stade des discussions. Pour dire les choses de façon plus imagée, il est techniquement plus simple de supprimer d'un coup tous les « .fr » que de rebaptiser les « French fries » en « freedom fries »... Et rayer un pays de la carte d'internet, revient à appuyer sur un bouton.

La liberté d'internet n'est donc pour l'heure qu'une liberté conditionnelle. Mais ce premier pas mérite d'être salué.

Mathieu Nowak

26/10/2009

Quels moyens pour l'Europe de la Recherche ?

« Aujourd’hui, 80 % des chercheurs, 75 % des investissements de recherche et 69 % des brevets se trouvent à l’extérieur de l’Union européenne ». Le constat vient de la Commission européenne (plus précisément, de la DG Recherche). Reprenant ces données dans son premier rapport annuel, publié début octobre, le Conseil de l’espace européen de la recherche, l’ERAB, les commente ainsi : « Il est humiliant de constater combien, aujourd’hui, l’Europe est petite » !

Créé en 2008 en remplacement du Comité consultatif européen pour la recherche, l’ERAB a pour mission de conseiller la Commission sur les orientations à adopter pour créer un véritable Espace européen de la recherche. On le savait déjà, mais son rapport le confirme : la Commission va avoir du pain sur la planche pour inciter les États-membres à faire en sorte que cet Espace européen voit le jour et soit une réussite ! Car selon l'ERAB, cela passe par la réalisation d'objectifs tous plus ambitieux les uns que les autres. Par exemple, à l’horizon 2030, la part du budget européen dévolue à la recherche devra avoir triplé, pour atteindre 12% du budget de l’Union...

Gloups. Aujourd’hui, le budget du 7ème programme-cadre de recherche et développement (2007-2013) est de 50 milliards d’euros. C’est certes le troisième poste de dépenses de l’Union, mais loin derrière les 300 milliards des fonds structuraux, et les 300 autres milliards de la Politique agricole commune (PAC). Étant donné que les États-membres se refusent jusqu’à présent à augmenter le budget de l’UE (environ 1 % du PIB européen), la seule marge de manœuvre pour augmenter le budget de la recherche consiste à puiser dans les fonds structuraux ou ceux de la PAC pour les rediriger vers la R&D.

C’est exactement ce que prône l’ERAB, qui suggère d’utiliser 30% des fonds structuraux pour favoriser le développement de la R&D, et s’interroge à propos des fonds agricoles : « Imaginez l’impact si le soutien financier massif aujourd’hui accordé à l’agriculture était redirigé vers d’autres buts, comme l’éducation et la recherche. Au lieu de refléter le passé agricole de l’Europe, le budget de l’Union ne devrait-il pas être orienté vers son futur, en tant qu’économie basée sur la connaissance, en accord avec sa stratégie de Lisbonne ? ». Alors que l’échéance de la PAC approche (en 2013), les batailles d’influence ne font que commencer...

Cécile Klingler

12/10/2009

Pariscience, pari gagné !

Peut-être certains d’entre vous auront-ils regardé, hier soir sur Arte, le documentaire « L’instinct de la musique » ? Le hasard des programmations fait bien les choses : il s'agit là du film venant de remporter le Grand Prix du festival Pariscience 2009. Ce festival international du film scientifique, créé il y a 5 ans à l’initiative de l’AST (Association Science & Télévision), s'est déroulé du 7 au 11 octobre dans l’auditorium et le grand amphithéâtre du Museum national d’histoire naturelle.

Hier après-midi, c’est à la projection du film « Les guerres du climat : les forces en présence » que je me suis précipitée. Il faut dire qu’il venait de recevoir, la veille au soir, le « Prix de la Terre » du festival, avec ce commentaire d’une des cinq membres du jury « Nous l’avons élu parce qu’il donne chair aux controverses ».

Après visionnage, c’est le moins que l’on puisse dire ! Le réalisateur, Jonathan Renouf, mérite des éloges pour son art de ménager le suspense, sans sacrifier à l'exactitude des faits. Le film débute en 1972, date à laquelle plusieurs scientifiques écrivent au président des États-Unis. Ils y font état de leurs craintes concernant l’entrée de la planète dans... une nouvelle glaciation ! Autant dire que cette entrée en matière s’avère particulièrement efficace sur nos cerveaux habitués à entendre parler de réchauffement. La suite est tout bonnement passionnante : Jonathan Renouf explore la façon dont l’idée de réchauffement climatique – et le rôle de l’homme dans cette évolution - s’est peu à peu imposée. Sans passer sous silence (pour mieux la démonter) la rhétorique des climato-sceptiques. Le film se termine à la fin des années 1980, avec en particulier des images d’archive de Margaret Thatcher, soulignant dans un discours énergique les risques que fait courir le réchauffement à la planète, et rappelant : « Cette planète, nous n’en avons que l’usufruit ».

Lors de la remise des prix, samedi soir, il me semble avoir entendu dire que ce film de la BBC serait diffusé fin novembre sur la chaîne Ushuaïa. On appréciera ou pas le sensationnalisme de certaines images d’archive, on sera sensible ou pas à la douce ironie de quelques autres, on regrettera peut-être que les interviewés soient essentiellement américains, cela ne change rien à l’affaire : l’ensemble vaut le coup d’être regardé ! Il paraît qu’une suite est en cours de préparation. J’espère qu’elle sera proposée lors de la prochaine édition de Pariscience.

Du coup, j’en oublierais presque d’évoquer l’une des trois séances spéciales du festival, à laquelle j’ai assisté avec grand intérêt jeudi soir : « Qu’attendons-nous de la vérité scientifique ? » Pas de film, mais un débat animé entre Jean-Claude Ameisen, Bernadette Bensaude-Vincent, et Etienne Klein. Comme il était enregistré, vous pourrez, je l’espère, le retrouver sur le site de Pariscience.

Enfin – désolée pour l’aspect quelque peu décousu de ce « post » - je voudrais tout de même vous faire part du palmarès :

Prix des Lycéens  (parrainé par l’Inserm) : « Se déplacer en 2040 »
Prix des Collégiens (CNES) : « Voyageurs des fleuves »
Prix Buffon (Muséum) : « Malin comme un singe »
Prix de la Terre (Veolia Environnement) : « Les guerres du climat : les forces en présence »
Prix Pierre-Gilles de Gennes (CNRS) : « Fractales, à la recherche de la dimension cachée »
Prix Audace (Région Île de France) : « Les dompteurs de l’invisible »
Prix « Coup de coeur » du jury : « Tours du monde, tours du ciel »
Grand prix Pariscience (AST-Ville de Paris) : « Malin comme un singe »

Cécile Klingler

11/10/2009

Voyager avec Ibn Battuta

Ibn Battuta fut un grand voyageur du XIVe siècle. Né à Tanger, au Maroc, il s'est d'abord, assez jeune, rendu à La Mecque pour le pélerinage rituel des musulmans, le hajj. Puis il a parcouru l'Asie centrale, l'Inde, et est même allé jusqu'en Extrême-Orient. Il ne fut sans doute pas le seul, mais lui a laissé un témoignage écrit de ses voyages. Traces historiques précieuses sur la géographie, la politique, la culture des régions qu'il a traversées.

Je l'avais rencontré il y a quelques années à l'occasion d'un article sur le Phare d'Alexandrie, qu'il a vu partiellement debout encore, puis complètement écroulé. J'étais donc intéressé d'en apprendre plus sur le personnage et son époque, et je me suis rendu à l'une des avant-première du film "Le grand voyage d'Ibn Battuta" qui passera à la Géode, à Paris, à partir du 14 octobre.

Hélas pour moi, ce film ne concerne que son "premier voyage", entre Tanger et la Mecque. Qui plus est, le réalisateur est plus soucieux de nous montrer de beaux paysages de désert actuels que de reconstituer le monde arabe de l'époque. Et le véritable sujet du film, c'est le hajj, dont on ne distingue d'ailleurs pas bien les évolutions depuis 700 ans. Pourquoi convoquer un personnage si intéressant et l'exploiter si peu? Pour se consoler, on peut lire sur le Web  les récits d'Ibn Battuta que l'Université du Québec à Chicoutimi a eu la bonne idée de mettre en ligne en français.

Luc Allemand