Un géographe, professeur émérite à l’université de
Reims, Marcel Bazin, et un démographe spécialiste de l’immigration turque, Stéphane de Tapia, se
sont associés pour élaborer une géographie de la Turquie approchée comme « une
puissante émergente » (Armand Colin, coll. « U », 335 p., 30,50 €). Les
questions urbaines y sont très présentes, à travers le face-à-face des « deux
capitales » et la structuration des quartiers entre « Turcs blancs »
au mode de vie européen, aux aspirations de plus en plus démocratiques, et les « Turcs
noirs », cœur de l’électorat du parti majoritaire islamo-conservateur de l’AKP,
regroupés autour du très autoritaire Premier ministre.
Les événements d’Istanbul ont confirmé l’importance politique
de la question urbaine.
Menacé de destruction par la volonté du parti AKP et
de la municipalité d’Istanbul, le parc Gezi d’Istanbul avait été occupé pendant plus de quinze jours par des manifestants de la société civile dénonçant
l’autoritarisme du Premier ministre, le recul des libertés individuelles et
publiques, l’usage constante de la violence – laquelle fut effectivement
employée contre eux durant la nuit de terreur du 15 juin. La réaction du
pouvoir n’avait pas attendu la décision des tribunaux sur la légalité de la
décision de destruction.
La veille de la répression implacable des manifestants,
le Premier ministre Erdogan avait déclaré devant ses partisans que son
gouvernement islamo-conservateur respecterait la décision finale de la justice
dans ce dossier. A l’époque, il connaissait cette dernière, rendue dès le 6
juin par la 1ère Cour administrative : elle avait justifié son annulation,
susceptible d'appel selon certains observateurs, par le fait que la « population
locale » n'avait pas été consultée sur ce projet. Ce qui était bien le
problème et avait justifié l’occupation pacifique du jardin mitoyen de la
grande place de Taksim.
Plusieurs journaux turcs ont rapporté hier mercredi l’information.
La Cour a
argumenté son jugement par le fait que « le plan directeur du projet viole
les règles de préservation en vigueur et l'identité de la place et du Parc Gezi »,
qui la borde, selon le jugement cité par les quotidiens Zaman et Hürriyet.
Le collectif « Solidarité Taksim » qui
représente les manifestants et est composé notamment des chambres d'urbanistes
et d'architectes, a vivement salué le jugement de la Cour, affirmant que
celle-ci a conclu que le « projet de caractère illégal n'est pas d'intérêt
public ».
« Cette décision a prouvé la légitimé de la lutte
menée par notre peuple », indique un communiqué du collectif. « La
légitimité du combat le plus massif de l'histoire de notre peuple pour la
démocratie, la cité et les droits de l'homme a été confirmé une nouvelle fois
par une décision de justice », souligne le texte.
Selon des estimations de la police, quelque 2,5
millions de personnes sont descendues dans la rue de près de 80 villes pendant
trois semaines pour exiger la démission du Premier ministre Erdogan, accusé de
dérive autoritaire et de vouloir « islamiser » la société turque.
Ces manifestations sans précédent ont fait quatre
morts et près de 8.000 blessés, selon l'Association des médecins.
Vincent Duclert (avec l’AFP).