Histoire de la philosophie
L’histoire de la philosophie que les éditions du Seuil viennent de publier sous la direction de Jean-François Pradeau, professeur à l’université de Lyon III et spécialiste de Platon, est une bonne nouvelle pour les sciences (803 p., 27 €). Cet ouvrage très substantiel qui présente, d’un point de vue chronologique, les genres philosophiques et les grands auteurs, accorde une grande importance à la philosophie des sciences, et cela dès la naissance de la philosophie classique. L’un des premiers articles, du à Mario Vegetti, revient sur la place des savoirs et des sciences dans l’antiquité grecque. Il est précédé d’une synthèse sur Aristote, l’un des pères de la philosophie des sciences, et suivi d’un exposé sur l’atomisme ancien qui est d’abord une « doctrine physique », comme le souligne Pierre-Marie Morel qui ajoute qu’elle développe aussi « des thèses relatives à la théorie de la connaissance et à l’éthique ». La problématique défendue par les différents spécialistes en charge des articles de philosophie des sciences est ainsi tracée. Les contenus et les questions scientifiques ont conduit les philosophes à spécialiser les études dans ce domaine au point de constituer une sous-discipline qu’est la philosophie des sciences. Simultanément, les philosophes ont abordé les savoirs scientifiques comme une interrogation permanente sur eux-mêmes et sur la philosophie, sur la métaphysique et sur la morale. La conséquence en a été à la fois que la philosophie a été contrainte en permanence de se penser comme un système de pensée et de savoir et que la philosophie des sciences n'a cessé d'être une voie de renouvellement considérable de la connaissance philosophique classique. La possibilité de maintenir ce double régime de la philosophie des sciences est un enjeu majeur pour les philosophes comme pour les scientifiques. Il est assumé dans nombre des contributions de cette nouvelle histoire de la philosophie.
Une fois posés ces fondements antiques, l’ouvrage progresse dans l’établissement du savoir des Lumières et l’émergence en son sein des sciences de la nature humaine (par Frédéric Brahami) et de la philosophie naturelle (Fabien Chareix), pour se projeter ensuite vers les transformations du XIXe siècle et du premier XXe siècle, avec la naissance de la science – ou plutôt des sciences – de la société (Pierre-Yves Quiviger), avec l’affirmation de l’empirisme philosophique français (Arnaud Bouaniche), avec l’avènement de la psychologie et de la psychanalyse (Jean-Marie Vaysse), et pour se saisir des recherches épistémologiques analysées par Denis Vernant – lequel considère à juste titre que la philosophie, « comme pratique discursive et rationnelle, [...] a depuis toujours développé une réflexion sur les modalités et les limites de la connaissance humaine » simultanément « à une analyse proprement épistémologique des objets, méthodes et limites des sciences, tant formelles qu’expérimentales ». Viennent alors les contributions décisives de Thierry Hoquet sur les philosophies du vivant, celle de Pascal Engel sur neurosciences et recherches cognitives, Jean-Marc Lévy Leblond et Elie During sur les découvertes philosophiques négatives de la physique contemporaine, enfin l’introduction aux étapes de la philosophie mathématique contemporaine de Frédéric Patras.
On pourra toujours s’attrister de l’absence de tel article spécifique sur l’astronomie, sur le droit, ou sur le lien de la démocratie grecque et de la naissance de la philosophie (dans la foulée des travaux de Jean-Pierre Vernant), ou regretter qu’un Frédéric Worms, qu’un Olivier Remaud ou qu’une Judith Revel ne comptent pas parmi les auteurs. Mais la participation de Frédéric Gros (traitant de Michel Foucault) ou de Catherine Colliot-Thélène (pour la philosophie politique contemporaine) témoigne du soin apporté à la constitution de l’équipe. En revanche, on s’étonnera (le mot est faible) de l’absence d’une introduction méthodologique et heuristique : tout entreprise de compréhension d’un savoir doit définir en effet le sens d’un tel projet aussi bien qu’elle doit – et pour la philosophie particulièrement – penser les conséquences d’une telle approche par l’histoire, au-delà du rappel convenu que cette dernière est la condition de l’avenir.
Vincent Duclert