Septembre 1938. Hitler revendique le rattachement au Reich du territoire des Sudètes, région tchécoslovaque où vit une minorité germanophone. Après avoir remilitarisé son pays et réalisé l’Anschluss, il sait que sa menace d’utiliser la force pour parvenir à ses fins est suffisamment crédible pour faire plier les Démocraties européennes. Pour « préserver la paix », le premier ministre britannique, Chamberlain, d’accord avec la France, contraint la Tchécoslovaquie à céder aux exigences nazies, le 21 septembre. Aux « Lendemains d’une trahison », Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit, rédige l’éditorial du numéro d’octobre en rompant avec la tradition « pacifiste » et « apolitique » de la revue, dénonçant « le déshonneur » d’une France sans parole, sacrifiant son alliée au chantage du fascisme. Publié aux lendemains des accords de Munich entérinant la cession sans concession des Sudètes à l’Allemagne, l’article de Mounier résonne dans les débats intellectuels, entre ceux prônant la sauvegarde de la paix par tous les moyens, et ceux voulant opposer la force aux exigences des fascistes, bien vite dénoncés comme « bellicistes » par les « pacifistes ». Les abonnés d’Esprit – appartenant aux deux bords – réagissent à cet éditorial dans des lettres adressées à Mounier, confiées sous l’occupation à son collaborateur Edmond Humeau, dont l’un des descendants a rendu possible la publication de cet échange épistolaire (La Trahison de Munich, Emmanuel Mounier et la grande débâcle des intellectuels, présenté par Michel Winock, CNRS Editions, 2008, 184 p., 20 €). A la lecture de l’éditorial, on voit bien que Mounier n’est pas « belliciste ». S’il méprise les hommes « résolus à ne pas se battre », il défend la force de résistance de ceux « résolus à ne pas tuer » en prônant le désarmement. Certains auteurs des lettres rejoignent l’engagement de Mounier ; d’autres au contraire manquent sa position subtile et perçoivent sa résistance comme une agression à laquelle ils opposent en vrac les horreurs d’une guerre, la « dictature militaire », l’injustice du Traité de Versailles… L’ensemble du recueil constitue ainsi un précieux témoignage de cette époque et de ses enjeux critiques, passionnant mais décevant tout à la fois, car il gagnerait à être mis en lumière par une véritable analyse historique, succinctement évoquée dans les quelques pages de préface de Michel Winock.
Delphine Berdah, CERMES