Nommer la « guerre sans nom »
La recherche consiste à nommer les choses, même les plus impénétrables, à en élaborer des figures permettant de les comprendre. De ce point de vue, on peut légitimement parler ici de l’effort entrepris par le scénariste Giroud et le dessinateur Lax pour raconter la « guerre sans nom » qui eut lieu en Algérie entre 1954 et 1962.
Dupuis, pour les vingt ans de la splendide collection « Aire Libre », publie l’intégrale d’Azrayen’ (26 €). Préfacé par l’historien de l’Algérie contemporaine et de la mémoire française Benjamin Stora, l’album spécial, en version reliée et fort de 160 pages de planches et d’annexes passionnantes, contient un texte personnel de Frank Giroud qui raconte comment ce livre fut d’abord une dette à « l’épopée algérienne » de son père. Puis comment il puisa son inspiration dans l’odyssée d’un repérage en Kabylie, en 1993, quand l’Algérie venait de basculer dans la guerre civile. Alors Giroud raconta l’histoire de son père, le caporal-chef Michel Giroud devenu Paturel dans Azrayen’. 30 000 jeunes Français laissèrent leur vie dans cette « guerre sans nom » et sans issue, sinon la violence partout répandue et dont l’Algérie (comme la France) ne parvient toujours pas à se libérer. Une même vision continuait de hanter l’esprit de ces hommes, celle du déracinement total des Algériens et de l’effondrement de toute certitude pour ceux qui les combattirent. Les derniers mots de l’album, empruntés à Michel Giroud, résonnent de cette détresse. « C’était l’image de ces enfants, naguère si paisibles et si rieurs, qui se découpaient à présent sur fond de brasier et de youyous tragiques. Les mots utilisés pour la décrire disaient à peu près ceci : « En quelques instants, leurs yeux avaient perdu toute innocence. Ils étaient devenus durs, impitoyables, et cruels comme ceux de leurs aînés. C’était fini. … Nous ne pouvions plus gagner cette guerre. » Le dessin de Lax épouse cette tragédie et en renforce la blessure ouverte.
Vincent Duclert, EHESS
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