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avril 2008

30 avril 2008

Alliances Animales

Blog_gants Rémi Gantès et Jean-Pierre Quignard ont choisi de démontrer qu’on peut appartenir à des espèces très différentes et a priori n’avoir pas grand chose en commun mais gagner considérablement à une entente intelligente. Ces histoires d’Alliances Animales (Belin, 2008, 144 p., 17€) sont d’abord des histoires de confiance et de mutualisme : le premier partenaire approche l’autre, le séduit, à l’image du bernard-l’hermite qui « caresse » son anémone de mer pour l’apprivoiser jusqu’à ce que celle-ci vienne se fixer sur sa coquille et le protège de ses prédateurs en échange d’une partie de son repas. Ce sont aussi des rapports complexes, comme ceux qui relient les fourmis rouges à certains coléoptères qu’elles élèvent au cœur de leur fourmilière pour s’enivrer de leurs éthers, au détriment de la survie de leur colonie. Quant aux moules d’eau douce et aux bouvières (de petits poissons), elles ne pourraient tout simplement pas se reproduire l’une sans l’autre : les larves des mollusques grandissent dans les branchies des poissons qui ne peuvent frayer que grâce à l’intermédiaire des moules, réceptacles des œufs et du sperme des bouvières mâle et femelle. On se prête à regretter que la plupart des alliances décrites dans cet ouvrage n’impliquent pratiquement que des insectes, oiseaux, poissons, cnidaires et crustacés… n’y aurait-il aucun espoir d’échanges réciproques dès que l’on se penche sur les mammifères supérieurs ? D’après les deux courants actuels en éthologie, les « alliances » inter-espèces relèvent soit du mutualisme, soit du parasitisme… À bon entendeur…

Delphine Berdah, CNRS

29 avril 2008

La géologie est loin d’être un archaïsme scientifique

Blog_lacombe On entend souvent dire que la géologie est une science dépassée, qu’observer les roches et leurs fossiles est archaïque et vain, etc. Posture fréquente chez les spécialistes de géochimie ou de thermodynamique des minéraux, par exemple, et posture d’autant plus dangereuse qu’ils sont parmi les décideurs (cf. un ex-ministre bien connu). L’analyse d’un corpus de contributions de rang international ciblant la recherche pétrolière montre à l’inverse que la géologie fondamentale garde toute sa place, tout en se combinant à des approches nouvelles de plus en plus sophistiquées. Ce corpus exemplaire est un ouvrage de la série « Frontiers in Earth Sciences » de chez Springer, intitulé Thrust Belts and Foreland Basins (O. Lacombe et al., Eds., 2007, 516 p., 140 €). Sur 25 contributions, seules deux s’affranchissent des données de terrain pour donner une place essentielle à la modélisation. Les autres associent étroitement la géologie de base à d’admirables méthodes modernes, sismique haute résolution, restauration de l’évolution structurale des bassins et des pièges pétroliers par modélisation numérique 3D, imagerie satellitaire, thermochronologie par trace de fission, etc. Non seulement ce livre offre des analyses magnifiques de divers bassins à hydrocarbures au front des Pyrénées, des Carpathes, du Zagros, mais il permet de comprendre quel profil doit avoir le géologue du futur : instruit en mécanique des roches, en traitement du signal, en modélisation numérique etc., mais d’abord en géologie, avec sa dimension historique fondamentale.  Ajoutons-y aussi : à l’aise en anglais! 

André Michard, UP-Sud, ENS

28 avril 2008

Analyse du discours et sciences humaines et sociales

Blog_simone_b Quelles sont les relations qu’entretient l’analyse du discours (désormais AD) avec les sciences humaines et sociales ? Les commémorations en cours de Mai 68 rendaient indispensable de faire le point sur les développements interdisciplinaires de l’AD, discipline née de la rencontre entre des linguistes et des historiens, philosophes, psychologues, sociologues, psychanalystes ou encore politologues, à la recherche d’outils d’analyse de productions langagières inscrites dans un extérieur social, mais s’inspirant aussi du bouillonnement idéologique, intellectuel et culturel qui a marqué la fin des années 1960. C’est ce que se donne comme objectif un ouvrage collectif qui vient de paraître sous la direction de Simone Bonnafous et de Malika Temmar (Analyse du discours et sciences humaines et sociales, Ophrys, 165 p. 2007, 18 €). Reprenant les conférences organisées dans le cadre du Séminaire du Céditec (Centre d'Etude des Discours, Images, Textes, Ecrits et Communications), équipe d’accueil de l’Université de Paris 12, l’ouvrage interroge les interactions de l’AD avec les disciplines partenaires du champ (l’histoire, les études littéraires, la psychanalyse et la philosophie, la sociologie, la science politique et les sciences de l’information et de la communication). Les réflexions interdisciplinaires et les avancées théoriques et méthodologiques montrent comment l’AD est devenue un véritable carrefour des sciences humaines et sociales. Si elle offre des outils et des méthodes linguistiques pour éclairer l’opacité du discours, on constate qu’elle s’enrichit aussi des approches complémentaires et des apports mutuels de ces sciences connexes.

Salih Hakin, université de Rouen

25 avril 2008

Au centre de la controverse

Blog_weber_3 Max Weber se retrouve involontairement au centre d'une sérieuse controverse lancée par notre collègue et ami Pascal Acot. En guise de "post" pour ce jour, nous vous proposons de lire les commentaires adressés à "L'honneur perdu de la section 35", voire de réagir à votre tour. Ce blog se veut un espace de débat. Question subsidiaire ? Qu'en aurait pensé le maître de la sociologie allemande et l'auteur des essais sur la théorie des sciences (traduit de l'allemand et introduit par Julien Freud, Plon, 1965, 539 p.) ? 

Vincent Duclert

24 avril 2008

CNRS : L'honneur perdu de la section 35

Blog_cnrs Le lieu n'est pas ici d'entrer dans les conflits institutionnels ou les rivalités disciplinaires, mais la section 35 du Comité National du CNRS (« Philosophie, histoire de la pensée, sciences des textes, théorie et histoire des littératures et des arts ») vient de donner une image particulièrement dégradante de la recherche en France. Un poste en philosophie de l'environnement (35/0) est à pourvoir « Dans le but de développer les recherches épistémologiques et philosophiques liées aux questions posées dans les domaines de l'environnement et du développement durable, ce poste est ouvert pour le recrutement d'un chercheur en épistémologie et philosophie des sciences, spécialisé dans l'un ou plusieurs des domaines suivants : les enjeux philosophiques de l'écologie ; la biodiversité ; le principe de précaution et l'incertitude scientifique, les normes et les risques ; sciences du paysage. »

La commission a classé n°1, un spécialiste de la psychologie et de la sociologie allemande du 19e siècle (Christian Wolff, métaphysicien du XVIIIe, Max Weber), qui n'a donc strictement rien à voir avec la philosophie des sciences de l'environnement, l'intitulé du poste. Ainsi, son sujet de thèse est le suivant : « Une science des qualités humaines. Maw Weber et les débats sur la fonction de la psychologie pour les sciences de l'homme ». La commission a donc détourné ce poste vers un autre domaine de recherche, dans lequel sont engagés, évidemment, plusieurs membres de la commission. Parmi les candidats non-classés, un ingénieur de l'Agro Paris-Grignon, DEA d'histoire des sciences, DEA d'écologie, docteur en philosophie, actuellement ATER (attaché temporaire d’enseignement et de recherche) dans le département des sciences de l'environnement de l'ENS-Ulm ! On sait combien le CNRS, et notamment son Département SHS, traversent actuellement une phase délicate. Le comportement indigne de la Section 35 du Comité National ne peut que donner des arguments à ceux qui en proposent le démantèlement.

Pascal Acot IHPST (CNRS, ENS, Paris 1).

23 avril 2008

Ressusciter ou gommer Port-Royal

Blog_michard Historiens et romanciers sont aptes à ressusciter le passé. D’autres, notamment les doctrinaires et les propagandistes, à le gommer. Un exemple inattendu, avec le mouvement de Port-Royal aussi appelé jansénisme. D’un côté, voici Le désert de la grâce (Actes Sud, 2007, 280 p., 19,80 €), où Claude Pujade-Renaud nous permet d’approcher, comme de l’intérieur, ce que fut ce mouvement doctrinal, cette dissidence réprimée par le pouvoir royal avec un acharnement croissant jusqu’à son éradication en 1709. L’auteure fait revivre avec autant de sensibilité psychologique que de probité documentaire le déroulement de ce drame et surtout son écho chez les portroyalistes contraints à la clandestinité ou à l’abjuration feinte. Passionnant éclairage sur des phares de notre culture, comme Pascal ou Racine. Et de l’autre, voici le Dictionnaire des Religions, publié sous la direction du cardinal Poupard (PUF, édition 2007, 2 volumes, 2248 p., 67 €). Dans cet ouvrage considérable, de 2000 pages environ, aux innombrables entrées récemment augmentées, il n’y a ni entrée « Jansénisme », ni entrée « Port-Royal » ! Juste de vagues allusions à l’entrée « Augustin » (dont on tait qu’il a répudié sa première femme), et à peine davantage à l’entrée « Pascal ». Aucune allusion à l’entrée « Grâce »… Voilà qui est digne des disparitions, sur les photos du Présidium du Soviet suprême, des membres tombés en disgrâce. On peut soupçonner qu’il ne s’agit là que d’une séquelle de l’ancienne condamnation du jansénisme, mais elle est choquante, dans un ouvrage très riche et marqué, par ailleurs, au sceau de l’œcuménisme !

André Michard, UP-Sud, ENS

Mai 68 La philosophie est dans la rue !

Blog_cespedes Parmi tous les pavés à s’ingurgiter sur Mai 68, celui de Vincent Cespedes (Mai 68 La philosophie est dans la rue !, Larousse, collection « Philosopher », 2008, 288 p., 17 €) retiendra notre attention pour l’originalité de son point de vue privilégiant (enfin) l’essence philosophique de cette révolution qui a gagné le monde entier. Ce jeune auteur, fils de soixante-huitards, s’interroge sur « l’héritage » de Mai 68 dans un style vivifiant et un rythme enjoué offrant au lecteur un livre qui se laisse lire comme un roman. Reste la question cruciale de « l’échec » de Mai à laquelle V. Cespedes répond avec optimisme en replaçant l’ordre philosophique à sa vraie place devant la déchéance du politique. Mai 68 transcende en effet les disparités sociales, culturelles ou morales, pour accomplir une révolution s’inscrivant dans une temporalité historique plus proche de la fluidité héraclitéenne que de l’immobilisme parménidien, et il détermine une ontologie originale inaugurant une définition nouvelle de la liberté humaine. À l’image de la révolution copernicienne qui fit passer le monde du géocentrisme à l’héliocentrisme, d’une valeur absolue des Idées à leur relativité et imposa la nécessité de sortir d’un dogmatisme étriqué et stérile, Mai 68 a donc transformé, par sa « fonction clashante » appliqué à tous les niveaux de la vie humaine, la perception entière de l’univers, fait advenir un être nouveau et donné en retour une vocation autre à la philosophie elle-même. Bref, sous les pavés la Pensée !

Vanessa Legrand, philosophe

La Méthode

Puisque l’on évoque Edgar Morin (« post » prédédent), mentionnons la parution chez « Opus » au Seuil de La Méthode dans son intégralité, soit les six volumes dont la parution s’était échelonnée de 1977 à 2006 (2 vol., 59 €). Après Vernant et Germaine Tillion, cette nouvelle collection s’offre un nouveau massif des sciences sociales dont nous reparlerons dans le mensuel. L’édition remplit ici pleinement son rôle de mise à disposition publique des grands textes.

Vincent Duclert, EHESS

20 avril 2008

Le temps présent

Blog_lefort Claude Lefort est à mon avis le philosophe du politique le plus important en France, à la fois par sa critique du totalitarisme et par sa réflexion sur la démocratie. Il a repris et dépassé tout le programme d’étude de Raymond Aron et avant lui d’Elie Halévy. Malheureusement, sa notoriété publique n’est pas à la hauteur de sa pensée capitale, en témoigne le faible impact de la publication de ses écrits de 1945 à 2005 coordonné par Claude Mouchard (Le temps présent, 2007, Belin, coll. « Littérature et politique », 1040 p., 42 €). Alors que l’on parle beaucoup en ce moment de Mai 68, on pourrait relire la nouvelle préface qu’il donnait en 1988 à la Brèche paru dès juin 68 (co-écrit avec Edgar Morin et Jean-Marc Coudray alias Cornelius Castoriadis) : "Relisant cet ancien essai, je constate qu’il souffre de n’avoir pas mieux replacé le mouvement de Mai dans le cadre de la société démocratique. S’il n’a pas été à l’origine d’une révolution, ce n’est pas seulement qu’il fut, pour l’essentiel, un mouvement d’étudiants, comme je l’ai noté, c’est, avant tout, parce que la démocratie est ce régime dans lequel le conflit, si intense soit-il, trouve normalement sa place ; ce régime qui consent à se laisser ébranler, ne désarme pas l’espoir du changement ; ce régime qui consent à se laisser ébranler, ne désarme pas l’espoir du changement ; ce régime qui ne saurait – à moins d’être détruit, non par une révolution, mais par un mouvement totalitaire – se confond ni avec le système capitaliste, ni avec la domination de la bureaucratie, ni avec l’empire de la technique, quoiqu’il leur soit, inextricablement, lié." (p. 597) Il est donc temps, à notre tour, de lire ou relire Claude Lefort dans le temps présent.

V.D.

Blake et Mortimer

Blog_blake_2_2 On le sait, la série imaginée par Edgar P. Jacobs est aujourd’hui prolongée par des scénaristes et dessinateurs de talent. Avec Le sanctuaire de Gondwana (Editions Blake et Mortimer, 54 p., 9,80 €), Yves Sente pour les premiers et André Juillard pour les seconds écrivent un nouveau chapitre des aventures du professeur Philip Mortimer et du colonel Francis Blake (dit "capitaine Blake"). Cette histoire africaine qui se déroule en large partie autour du lac Ngorongoro en Tanzanie reprend les fils des deux précédents albums, Les sarcophages du 6e continent (I & II). Le site officiel de l’éditeur n’hésite pas à parler pour ce nouvel album d’ « une superbe aventure africaine, digne des décors dignes d’Out of Africa ». Il faut quand même se pousser pour se convaincre d’une telle affirmation. Peut-être qu’effectivement il y a plus de personnages féminins et de beaux paysages, mais l’ensemble respire une certaine froideur voire l’ennui. C’est d’autant plus regrettable que l’album commençait bien, avec un retour inédit du professeur Mortimer vers son enfance et son passé.

Vincent Duclert, EHESS