Des fantômes tapis dans la roche, de Roger Osborne (Editions de l'évolution, 2013, 382 p., 24€), m'a tout d'abord laissé perplexe. A quoi rimaient donc ces extraits de textes de différentes époques et de différents styles centrés sur la production de l'alun? On me parlait d'histoire de la chimie, alors que le sous-titre de l'ouvrage annonçait "L'irrésistible épopée de la géologie". J'ai toutefois bien fait de persévérer dans ma lecture.
Ce livre ne respecte pas les codes de la plupart des livres de vulgarisation scientifique. En particulier, il n'explique pas grand chose. Il expose des moments d'histoire, tantôt en citant des documents, tantôt en élaborant une fiction à partir de faits réels. Il n'hésite pas à adopter un style littéraire, et risque même un chapitre quasi oulipien, qui ne contient qu'un long catalogue de lacs. A charge pour le lecteur de reconstituer les liens entre ces histoires, et d'en dégager une éventuelle logique.
Roger Osborne nous aide quand même un peu dans ce travail, en faisant intervenir les mêmes personnages dans plusieurs de ses histoires, et en concentrant un grand nombre de celles-ci dans le village de Whitby, sur la côte du Sussex. Car les falaises de ce village, devenues carrières pour la production de l'alun (d'où le sujet du premier chapitre), ont livré de nombreux fossiles à partir de la moitié du XVIIIe siècle. Fossiles qui ont soutenu le développement de l'intérêt pour une histoire de la Terre qui n'était pas écrite dans la Bible. La configuration géologique des environs de Whitby est aussi restée longtemps une énigme pour les géologues, qui n'ont réellement compris sa formation que dans les années 1950.
Après avoir tourné la dernière page, je n'ai qu'un regret : ne pas pouvoir aller randonner autour de Whitby en compagnie de Roger Osborne, pour bénéficier sur le terrain de sa connaissance des minéraux, des roches, et de la façon dont les érudits britanniques ont commencé à les étudier. Ce livre a attendu 15 ans pour être traduit en français, il mérite amplement qu'on le découvre.
Luc Allemand