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août 2008

18 août 2008

Des microbes ou des hommes

Blog_microbes Voilà près d’un quart de siècle, Bruno Latour se livrait à un réexamen de l’histoire du pastorisme dans un livre d’anthropologie des sciences qui fit date, Les Microbes: guerre et paix (A.-M. Métaillé, 1984). En mettant les microbes en exergue plutôt que le nom de Louis Pasteur, il s’attachait à de nouveaux acteurs, les agents « non-humains », au cœur de la définition des rapports de force entre nature et société. Depuis Pasteur, comme l’analysait Latour, le succès de la métaphore guerrière pour caractériser ces rapports ne se dément pas. Le livre récent de Maxime Schwartz, biologiste moléculaire, et François Rhodain, entomologiste, en témoigne une nouvelle fois. Sous le titre évocateur : Des microbes ou des hommes, qui va l’emporter ? (Odile Jacob, 2008, 26 €), ces deux personnalités de l’Institut Pasteur présentent un récit documenté de batailles passées, présentes et même à venir, où des ennemis irréductibles – hygiénistes contre vecteurs pathogènes – s’affrontent et mettent aux prises armes offensives et cuirasses protectrices, menaces bioterroristes et stratégies de résistance, vengeances de la nature et parades thérapeutiques. On voit que la métaphore combattante reste la plus … opérationnelle en notre temps que les auteurs décrivent comme celui des illusions perdues quant au rêve du microbe terrassé. Ils offrent en tout cas une utile synthèse des connaissances actuelles sur les vecteurs, les pathologies et les risques infectieux, très accessible à tout public. Mentionnons un intéressant « glossaire des maladies » précieux pour les non-spécialistes.

Anne Rasmussen, Université Louis Pasteur, Strasbourg

16 août 2008

Tabarly

Blog_tabarly En attirant notre attention sur la Bretagne, le responsable du Blog des Livres nous incite à regarder vers le large et les nombreux livres parus cette année autour de la personnalité d’Eric Tabarly. Dix ans après la disparition du marin breton, le Tabarly de Yann Queffélec (Fayard-Editions de l'Archipel, 239 p., 18,5 €) n’est pas une simple biographie, c’est aussi le livre d’un écrivain navigateur. Queffélec met en parallèle, avec une grande modestie, deux vies de navigations. Il relate l’épopée des Pen Duick, les victoires et les drames des courses transatlantiques, mais il nous parle aussi de ses propres bateaux et de ses propres rêves. C’est ainsi que Queffélec révèle la véritable teneur de cette fameuse influence que Tabarly aurait eu sur le développement de la voile en France à partir des années 1960. Cette influence se traduit sans doute par la diffusion des innovations techniques qu’on lui doit, mais aussi et surtout par la passion d’aller sur l’eau qu’il communiquait sans en avoir l’air. Queffélec n’érige surtout pas Tabarly en navigateur modèle. Entremêlant leurs deux histoires de marins et leurs bateaux successifs, les plus prestigieux et les plus modestes, il joue sur les contrastes pour révéler ce qu’il y a de commun entre ces deux façons d’aller en mer et comment une telle personnalité maritime s’est imposée, très simplement, comme une référence.

Stéphane Tirard, Université de Nantes

15 août 2008

La science des causes passées

Blog_cahier_fv_2 A l’heure où le directeur du Centre François Viète (Epistémologie, histoire des sciences et des techniques) de l’université de Nantes prend, pour le plus grand bonheur de sa famille, trois jours de vacances (il est vrai qu’il est mobilisé par le rédacteur en chef adjoint de La Recherche pour le prochain Dossier consacré à Darwin…) *, penchons-nous sur la dernière livraison de la revue du Centre, audacieusement intitulée Cahiers François Viète (9-10, daté 2005 mais achevé d’imprimer avril 2008, 195 p., prix non communiqué). Issu de deux rencontres scientifiques, l’une à Nantes sur la constitution des archives des sciences palétiologiques, l’autre à Paris sur l’état actuel de ces mêmes sciences, cet ouvrage collectif, car telle est sa dimension, explore la complexité de ces sciences ainsi dénommées, c’est-à-dire en suivant William Whewell cité par les maîtres d’œuvre du dossier, « qui s’intéresse [nt] non au passé possible mais au passé réel (actual past) ». Et cela ne concerne pas seulement les sciences naturelles, poursuivent Gabriel Gohau et Stéphane Tirard, « car il semble que la physique contemporaine, elle-même, soit moins certaine, sinon du déterminisme des phénomènes, du moins de la possibilité de parvenir à l’établir. »

Blog_cahier_fv Intitulé La science des causes passées, cet ensemble de très grande qualité mobilisant de nombreux épistémologues dont les physiciens Etienne Klein et Marc Lachièze-Rey, s’achève sur une postface de Claire Salomon-Bayet qui relit tout le corpus d’études proposées par Gabriel Gohau et Stéphane Tirard et en saisit les inflexions majeures. « Le temps est-il inscrit dans l’objet du savoir – le sédiment, le fossile, l’entropie ? Le temps est-il constitutif du savoir lui-même – du mythe à la science, de l’hypothèse à la preuve, de la permanence à l’évolution ? Cette double interrogation est un marqueur chronologique implacable. »

Vincent Duclert

Blog_cahier_voulzy *Aux dernières nouvelles, le directeur du Centre François Viète a retrouvé le temps perdu et une grande cause passée en faisant l’acquisition du remix 2008 de Rockcollection, un tube fameux des années 70. « Et Saint-Malo dormait » …

14 août 2008

Main basse sur l’école publique

Blog_fitoussi Même si la rentrée n’est pas pour toute suite, un constat s’impose d’ores et déjà au vu des programmes des éditeurs. Elle sera placée sous le signe de la rentrée….. , puisqu’une bonne vingtaine d’ouvrages aborderont la question de l’école, de sa crise, de ses valeurs, de sa réforme, de son avenir. Le débat récurrent sur le système scolaire à la française croise désormais les chantiers présidentiels et gouvernementaux, lesquels sont précédés d’offensives intellectuello-médiatiques comme la tribune de l’actuel ministre de l’Education nationale Xavier Darcos, « le sarkozysme est l’allié de l’école » paru dans Le Monde le 18 juillet dernier *. L’un des essais à thèse les plus dérangeants est proposé par les éditions Démopolis. Il vient d’être envoyé à la presse et sera en librairie dès le 25 août. Un enseignant, Eddy Khaldi, par ailleurs militant à la Ligue de l'enseignement et conseiller fédéral de l'UNSA Education **, et une journaliste, Muriel Fitoussi, ont analysé l’ensemble des décisions et des réformes réalisées depuis 2002 – quand Xavier Darcos était ministre délégué ou même 1996 quand celui-ci était conseiller pour l’éducation auprès du premier ministre Alain Juppé. Ainsi le remplacement de 14 recteurs sur 30 depuis 2002 traduit pour les auteurs une insidieuse prise de contrôle de l’école publique par une tendance ultra-conservatrice, certains des nouveaux titulaires ayant même appartenu au Club de l’Horloge. Main basse sur l’école publique (224 p., 20 €) décrypte ainsi la logique de multiples mesures apparemment anodines et qui témoignent d’un pouvoir croissant d’une idéologie très hostile à un grand secteur public de l’école et de l’éducation. La méthode est stimulante et l’argumentation serrée. L’ouvrage souligne également l’impasse d’une résistance fondée seulement sur la défense du statu-quo. A sa lecture, on comprend combien les tenants de cette privatisation de l’école ont bénéficié d’un appel du vide, lequel renvoie plus profondément à la grande difficulté de la pensée républicaine à se retrouver une forme de modernité. L’urgence d’une vraie réflexion sur l’école n’en devient que plus cruciale. Nous en reparlerons notamment avec l’essai du sociologue François Dubet, Faits d’école (Editions de l’EHESS, 280 p., 14 €).

Vincent Duclert

* On lira avec intérêt la réponse d’un agrégé de lettres classiques et inspecteur pédagogique régional retraité, Raymond Mallerin : « Le darcosarkozysme est l’ennemi de l’école » (Le Monde, 10-11 août 2008).

** Il est précisé que "l'auteur n'est pas mandaté par ces organisations pour la publication de ce livre". 

13 août 2008

Comment chatouiller un chimpanzé

Blog_chimpan Un journaliste de la revue anglaise New Scientist, des plus réputées en vulgarisation scientifique, Matt Walker, nous raconte la nature par l’énumération de multiples « curiosités » observées in situ ou révélées lors d’expériences de terrain ou de laboratoire (Comment chatouiller un chimpanzé et autres curiosités zoologiques, titre original : Moths that Drink Elephants’tears and Other Zoological [2006], traduit de l’anglais, Le Seuil, coll. « Sciences ouverte », Seuil, 2008, 169 p., 14 €). On y lit, entre autres, dans ce livre, que la langue du caméléon est dotée de cartilage, que l’espadon a des yeux chauffants qui lui confèrent une acuité visuelle remarquable, que certains oiseaux bégaient, que les hippopotames transpirent un liquide protecteur des rayons UV, que certaines méduses ont quatre cerveaux et soixante-quatre anus, ou que les femelles chimpanzés et gorilles préfèrent tenir leurs petits avec le bras gauche. Toutes ces curiosités sont décrites en quelques lignes chacune et en vrac (même si l’auteur a eu le soin de les classer en chapitres thématiques), ce qui donne à l’ouvrage une allure de « livre des records », qui nous étonne autant qu’il nous amuse. On peut néanmoins regretter une certaine absence de regard critique vis-à-vis de la littérature scientifique: les résultats décrits, du fait sans doute qu’ils proviennent de publications pointues dans des revues très spécialisées, sont présentés comme des faits non discutables, y compris certaines interprétations clairement finalistes (si des mammifères mangent leur placenta, c’est parce qu’ils contiennent des substances antidouleur qui aident la mère à retrouver le moral et accroissent l’instinct maternel..). La raison en est peut-être que, contrairement au délicieux ouvrage Le sexe et l’innovation (Langaney, Seuil 1987) qui raconte d’innombrables curiosités de la nature dans le domaine du sexe, Comment chatouiller un chimpanzé n’est pas l’œuvre d’un chercheur aguerri, mais d’un journaliste qui semble manquer de recul. Au lecteur donc de rester vigilant sur l’information rapportée. Ce livre a, quoi qu’il en soit, un grand intérêt, celui de regorger de résultats soigneusement référencés dans la bibliographie, ce qui permet de retrouver immédiatement les sources de chaque curiosité afin d’en savoir plus, et d’en vérifier la véracité. Une lecture somme toute plaisante si l’on reste critique, et, surtout, utile pour l’enseignement de la diversité du monde vivant. Et l’on peut, bien sûr, en tirer un message fondamental: on dénombre tant de curiosités que ce ne sont plus des curiosités, mais de simples illustrations d’une évolution qui n’est clairement pas finaliste.

Alicia Sanchez-Mazas, université de Genève

12 août 2008

Une question géopolitique, en France aussi

Blog_hro_110_2 Pour prolonger une nouvelle fois le dossier de l’été de La Recherche (juillet-août 2008) consacré à l’eau, et alors qu’il ne pleut pas en Bretagne, intéressons-nous à une ancienne livraison de la revue Hérodote. Cette « revue de géographie et de géopolitique » dirigée par Yves Lacoste a croisé en 2003 deux thématiques, l’eau et ses enjeux d’une part, les territoires et les pouvoirs de l’autre (n°110, 3 e trimestre 2003, 18,30 €). Plusieurs contributions démontrent ainsi que l’eau est « une question géopolitique, en France aussi » (Béatrice Giblin) et qu’elle exprime, à travers les catastrophes naturelles notamment, des représentations collectives profondes comme le démontre Damien Framery dans une étude des inondations de la Somme en 2001. Rappelons que ces inondations ont été perçues par les habitants du département, relayés par des médias et des élus locaux, comme le résultat d’un complot fomenté à Paris qui aurait détourné les eaux de l’Oise dans la Somme afin d’éviter d’être elle-même inondée. Cette rumeur dite « d’Abbeville » traduit le rapport de la périphérie à son centre : « l’inondation fluviale n’est plus que l’avatar d’un département déversoir dans lequel Paris se déverse de tous les méfaits. » Une troisième étude, d’Eric Grujard, fait le point sur le modèle français de l’eau, fondé sur la gestion dite durable des ressources, et désormais en crise par suite de leur dégradation et de la multiplication des conflits d’usage de l’eau. Le dossier est très intéressant, ce qui accroît d’autant la frustration du lecteur devant sa maigreur. Trois articles en tout et pour tout, c’est bien court !

Vincent Duclert

11 août 2008

En vol

Blog_tennant Vous confondez à l'envi le pinson et la grive. Vous n'êtes point expert en l'art de la chasse avec oiseaux de proie. Vous percevez mal le lien étroit entre la littérature et la chasse aristocratique à partir du XIIe siècle ? Qu'à cela ne tienne, En vol est fait pour vous ! Un vieux pilote sur le retour, vétéran de la seconde Guerre Mondiale, et un jeune naturaliste un rien fanatique ont en effet décidé, à bord de leur Cessna brinquebalant, de poursuivre seuls les recherches qu'ils menaient pour le compte de l'armée.

(Alan Tennant, En vol, traduit par Jacques Mailhos, Gallmeister, 2008, 406 p., 25 €)

Leur objet d'expérience : le calcul des flux migratoires des faucons pèlerins d'Amérique. Et nos deux ornithologues aussi ailés que zélés de traquer, du Golfe du Mexique jusqu'à l'Alaska, les signaux de l'émetteur-radio du faucon Amélia. Une quête qui est aussi une enquête écologique, l’auteur Alain Tennant dénonçant les méfaits des produits chimiques dans l'agriculture intensive comme les dangers que font courir à la planète certains narcotraficants. La véritable petitesse est alors moins celle des faucons planant haut dans les cieux que celle des fourmis humaines appliquées à détruire l'environnement. Mais En vol rappelle le rôle du faucon dans la constitution de la chasse et de la littérature des aristocrates en Europe, l'art du roman devant beaucoup à un manuel de fauconnerie, De arte venandi cum avibus (De l'art de chasser avec des faucons), dû à l'empereur allemand Frédéric II, achevé en 1250 par son fils le prince Manfred et alors traduit en plus de 10 langues. Notes scientifiques, traité d'éthologie aviaire anarchiste et carnet de voyage épique alternent ainsi sur fond de paysages extraordinaires pour former une ode au rapprochement entre l'homme et l'animal et militer pour la préservation des espèces. En vol a été classé par le New York Times comme l'un des cent meilleurs livres de l'année 2004 et devrait être bientôt adapté au cinéma par Robert Redford, qui en a acquis les droits.

Frédéric Grolleau, Le Littéraire

08 août 2008

De près et de loin

Blog_levi_str S’inscrivant dans l’actualité créée par le centenaire de Claude Lévi-Strauss, et par l’entrée de son œuvre dans la Pléiade *, déjà évoquée dans ce blog, Odile Jacob réédite les entretiens que la figure tutélaire de l’anthropologie a accordés à Didier Eribon il y a vingt ans (Claude Lévi-Strauss, Didier Eribon, De près et de loin, Odile Jacob, 2008, 21 €, première édition en 1988).

* voir l'article à ce sujet de Philippe Descola dans le mensuel daté juillet-août 2008

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07 août 2008

Dictionnaire de la pluie

Blog_boman Il pleut cet après-midi du jeudi 7 août sur le rivage de la Bretagne nord où le Blog des Livres/La Recherche a pris ses quartiers d’été. Alors j’ai lu pour ses lecteurs le Dictionnaire de la pluie de Patrick Boman (illustrations de Romain Slocombe, Le Seuil, 2008, 411 p., 22 €). Le long article consacré, bien sûr, à la Bretagne, est très juste. Bien que réputée pluvieuse, cette région qui abrite de splendides paysages (généralement marins) et réunit des âmes fortes, intrépides lorsqu’il s’agit d’affronter les puissants et les vaniteux, reçoit à peine plus de pluie que le reste de la France : les chiffres de pluviométrie sont clairs à ce sujet.

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06 août 2008

Tel-Aviv, récits d'une ville centenaire

Blog_tel_aviv Catherine Weill-Rochant, architecte et urbaniste, a mené pendant plusieurs années au Centre de recherche français de Jérusalem une étude doctorale sur Tel-Aviv qui a débouché sur l’élaboration, comme l’écrit le directeur du CRFJ Pierre de Miroschedji, « le premier atlas architectural et urbanistique qui illustre la naissance de la ville, les modalités de son expansion et de son organisation urbaine jusqu’en 1948, telles qu’elles se sont imprimées sur une multitude de plans – ceux de la ville rêvée par ses fondateurs, ceux de la ville projetée par ses concepteurs, ceux enfin de la ville réalisée par des édiles qui firent appel aux meilleurs urbanistes de leur temps. » L’ouvrage qui en découle, publié pour le centenaire de la cité, est une vraie réussite (L’Atlas de Tel-Aviv 1908-2008, CNRS Editions, coll. « CFRJ », série « Hommes et Sociétés », 2008, 39 €). Pas seulement pour son sujet passionnant, abordant ce défi de toutes les sociétés et les Etats modernes de créer une ville qui les représenterait, ici, comme le dit encore Pierre de Miroschedji, « l’édification de la première ville juive, peuplée de citoyens juifs parlant l’hébreu, pour la première fois depuis 2 000 ans ». Mais aussi pour la double trame qui s'y conjugue, celle de l’écriture, structurée et précise, et celle de l’image, exceptionnelle de diversité et de preuve. Il en résulte un livre lumineux, telle la « ville blanche » restituée par les clichés remarquables du photographe Isaac Kalter dans les années 1930. On rêverait d’une série d’atlas équivalents, dans la même collection de CNRS éditions, pour toutes ces villes où la France dispose un centre ou d’une école ou d’un institut de recherche, de Rome à Madrid, d’Athènes à Istanbul, et d’autant que des études comparables sont généralement menées par les urbanistes, architectes et historiens tout à la fois.

Vincent Duclert