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16/08/2010 |

Etre conférenciers pléniers à l'ICM : Claire Voisin et Jean-Michel Coron

Claire_jm Claire Voisin (spécialiste de Géométrie algébrique, CNRS) et Jean-Michel Coron  (spécialiste de la Théorie du contrôle, Université Pierre et Marie Curie), tous deux conférenciers pléniers à l'ICM 2010, ont accepté de livrer leurs impressions avant le Congrès.

Question : Le Congrès Mondial des Mathématiciens existe depuis les années 30...
Claire Voisin : En fait c’est beaucoup plus ancien que cela.
Jean-Michel Coron : Le premier date de 1897, je crois. Il a eu lieu en Suisse.

Question : Pourquoi a-t-on éprouvé le besoin de créer un tel Congrès ? Est-ce que c’était important pour que les mathématiciens du monde entier se rencontrent ?
Jean-Michel Coron : Oui, je le crois. D’autant qu’à cette époque, les gens voyageaient moins.
Claire Voisin : Vous dites « Congrès Mondial », mais l’appellation exacte est plutôt « Congrès international » et je pense qu’à cette époque c’était beaucoup moins mondial que maintenant. Au début, ce Congrès avait plutôt une dimension européenne. La dimension mondiale actuelle est l’expression d’une volonté politique  et on fait très attention à l’équilibre de représentation des nations.

Question : Pourquoi l’ICM revêt-il une importance particulière ?
Claire Voisin : Nous en discutions il y a quelques jours. C’est quand même le seul Congrès qui soit pluridisciplinaire, avec peut-être le Congrès Européen – qui est une sorte d’étape intermédiaire puisqu’une année sur deux a lieu soit le Congrès International, soit le Congrès Européen –, et les manifestations de la SMF. On y trouve toutes les mathématiques, toutes disciplines confondues.
Il me semble que c’est très important, au moins dans le principe, même si dans la réalité on n’apprend pas toujours autant que l’on devrait en écoutant un exposé dans un domaine complètement différent du sien. Quand on est absorbé par sa propre recherche, même un exposé de colloquium très bien fait, dès que l’on sort de la salle, on est à peine capable de dire de quoi il parlait. Ce n’est pas évident d’avoir la disponibilité intellectuelle qu’il faut pour écouter parler d’autres mathématiques.
Mais le fait que ce Congrès existe, que sa structure ait été maintenue contre vents et marées, témoigne d’une volonté qui a mon sens est bonne et importante pour notre discipline. Ces frontières [entre les différents domaines des mathématiques] n’existent que par nos limitations personnelles à les franchir, à passer d’un domaine à l’autre. Nous avons tendance à travailler entre spécialistes, à nous créer nos alvéoles, mais il faut bien se rendre compte que ces frontières ont un caractère artificiel et que tôt ou tard l’histoire des mathématiques fait que certaines cloisons disparaissent. Par exemple, la géométrie symplectique et la géométrie algébrique se sont mises tout d’un coup à se tenir la main. La topologie symplectique et la géométrie énumérative, pareil, sous l’influence des invariants de Gromov-Witten. Il y a aussi l’exemple de la théorie analytique des nombres... On peut très facilement exhiber des exemples où la nécessité de mettre en contact des domaines s’est imposée par le mouvement de la science. Et je pense qu’il est du devoir des mathématiciens de maintenir, au moins pour le principe, des structures qui défendent ce non-cloisonnement, même si cela ne correspond pas à notre réalité quotidienne. C’est vrai que nos séminaires sont spécialisés, c’est vrai qu’il ne me viendrait pas à l’idée d’aller à un séminaire d’analyse complexe alors que je devrais. Mais cet effort que l’on ne fait pas individuellement parce que l’on est débordé, je pense qu’il est très important qu’il soit fait à une échelle plus vaste, pour défendre les mathématiques dans leur unité. Cette unité politique, cette unité de fond, sera confirmée par l’évolution scientifique des choses. Je crois que c’est la principale justification de ce Congrès, outre, maintenant, la dimension mondiale.

Question : Pensez-vous qu’il soit important pour un mathématicien de conserver une certaine culture générale des mathématiques ?
Jean-Michel Coron : Oui, bien sûr.
Claire Voisin : Même si, encore une fois, cela relève plus du principe que de la réalité puisque nous sommes débordés, nous avons notre propre recherche, nos propres étudiants, nos propres journaux...

Question : Avez-vous déjà repéré les conférences auxquelles vous assisterez durant ce Congrès ?
Claire Voisin : Pas vraiment. Nous sommes tellement paniqués par nos propres exposés que nous n’avons pas vraiment épluché le programme. J’avoue que j’appréhende plus d’aller voir des conférences de mon domaine, puisque je sais à peu près ce qui va s’y raconter. J’ai plutôt envie d’aller voir des conférences de géométrie différentielle, de géométrie symplectique, des choses vraiment différentes de ce que je fais, où j’apprends beaucoup, mais qui ne sont pas trop difficiles pour moi au niveau de la problématique. En algèbre également. En théorie des catégories, par exemple, qui est un domaine qui s’est pas mal développé.
Jean-Michel Coron : Je vais probablement suivre les exposés en systèmes dynamiques. C’est un domaine important pour moi puisque l’aspect « évolution » est présent dans mon travail, la théorie du contrôle. Au cours de l’année, je n’ai pas tellement l’occasion de suivre des exposés dans ce domaine donc cela m’intéresse vraiment. Je vais également assister aux exposés en équations aux dérivées partielles, qui est aussi un domaine important pour moi. Bien sûr, en théorie du contrôle aussi mais, comme Claire, j’ai d’autres occasions de découvrir les travaux des collègues de mon domaine, je les rencontre dans d’autres situations donc je sais ce qu’ils font. Cette partie est donc moins intéressante pour moi. Je vais privilégier des domaines proches du mien mais dont je n’ai pas l’occasion d’écouter les exposés durant l’année.

Question : Qu’est-ce que ça veut dire être conférencier plénier et quel effet cela vous fait ?
Jean-Michel Coron : D’abord on est très heureux. C’est une reconnaissance.
Claire Voisin : On a aussi une peur atroce. Enfin, moi j’ai un trac épouvantable. Ceci dit, être invité est plus important – malheureusement – que l’exposé lui-même. J’aimerais faire un bel exposé et me dire que j’ai réussi à faire passer quelque chose, mais si c’est raté ce n’est pas non plus tragique.
C’est une très très belle reconnaissance. Comme je suis très attachée à l’unité des mathématiques, je pense qu’être conférencier plénier, ça nous permet de restaurer une sorte de grandeur de vue sur notre situation en mathématiques. Peut-être que ça nous incite aussi à nous montrer plus ambitieux pour notre programme de recherche. C’est très stimulant pour ça. C’est l’occasion de sortir de notre « chemin de taupe ». Cela nous fait remonter à la surface par rapport au côté obscur de la spécialisation.
Et puis il y a une certaine fierté à être une sorte d’émissaire, de représenter son domaine.
Jean-Michel Coron : Oui, d’autant qu’en théorie du contrôle [le domaine de Jean-Michel Coron] c’est assez rare d’avoir un exposé plénier. Le dernier remonte peut-être à Jacques-Louis Lions dans les années 70. C’est une grande responsabilité.

Question : Avez-vous déjà les titres de vos conférences ?
Claire Voisin : Oui, pour moi ça sera Cohomology of algebraic varieties.
Jean-Michel Coron : Et moi : Controlability of non-linear partial differential equations.

Propos recueillis par Gaël Ocatvia le 5 juillet 2010.


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