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01/09/2010 |

Des doigts dissimulés

DSC_6005 L’étude du corps de la vieille dame dont je vous parlais hier débute par des prélèvements biologiques effectués dès l’ouverture. Une attention particulière est portée aux fosses nasales afin d’étudier les germes qui y séjournaient de son vivant. C’est l’histoire des maladies et de leur évolution qui est en jeu. Un examen externe permet de décrire les  vêtements du dessus : manteau en peu de renne, boa en queues d’écureuils, chapka en zibeline, tarbaza –éléments  en cuir fumé de cheval entourant les pieds et serrés sous les genoux et aux chevilles par des liens en cuir-, chapka en zibeline, tout comme le suaire qui lui recouvre la face. Lors de l’examen externe, le réchauffement du corps au contact de l’air décolle un fil qui entoure la main gauche. Christiane et Edouard entament alors une discussion spécialisée sous les yeux ébahis des fouilleurs, épuisés par le démontage de la superstructure et la fouille de la tombe, déçus par l’absence de mobilier et qui du haut de la fosse ne voient qu’une main noirâtre dépassant de vêtements assez classiques pour qui a fouillé en Iakoutie. Si pour Christiane ce fil signerait les restes d’un manchon semblable à ceux qui enserraient les mains des chamans, pour Edouard, il aurait simplement glissé d’un manteau sous-jacent. La partie allait être rude pour l’anthropologue et le médecin légiste d’autant plus que nous avions convenu, au vu de son excellent état de conservation, de ne pas abimer le corps. Le démontage de l’épaule pour une dissection fine au soleil, fut donc rejeté et suivant l’expression de nos collègues légistes, ce fut une autopsie foraine, in situ. Une dissection fine et un passage au plan sous jacent s’imposent toutefois, l’après midi déjà bien entamée sera longue…Vassili repart chercher des tombes, les fouilleurs tirent de l’eau à la rivière pour faire du thé, une après midi à la campagne au soleil débute pour eux, tandis que au fond du trou, à genou sur le permafrost qui commence à fondre, Annie travaille avec comme aide Eric, qui passe échantillons et constatations aux deux compères assis au bord de la fosse, prêts à en découdre. Les photographes attendent les détails qui expliqueront sans nul doute la discussion. Le soleil bas entraine cependant l’équipe à l’ombre, il fait plus de 28°C. Le réchauffement, décolla de l’autre main un fil semblable qui permit de remonter à un second manteau en soukno (laine d’importation) pris sous celui en peau de renne. Le remontage du puzzle en 3D dont nous vous entretenions l’autre jour démontra que ni Christiane ni Edouard n’avaient totalement raison ni totalement tord.  Point de manchon, mais point de glissement depuis le manteau sous jacent.  Les manches du manteau en soukno avaient été tirées sur les mains, le tissu décoloré avait adhéré à celles-ci, s’était en grande partie décomposé mais les fils des coutures étaient restes collés sous l’effet de la lyophilisation. Ces mains cachées renvoient à une pratique antérieure, celle des mains cousues dans les manches chez les sujets redoutés dont les doigts étaient réputés aussi dangereux que ceux des forgerons (proverbe iakoute). L’après midi n’était pas terminée pour autant. La bonne préservation de l’ensemble des vêtements permis une observation fine, et assez rare, des modes d’attache des nogovitzes (jambières) au nataznik (slip). Les représentations de nos prédécesseurs laissaient en effet découvert  l’anneau maintenant la jambière au slip, ce qui semblait assez étrange, le haut de la cuisse ne devant guère apprécier en hiver d’être à - 50°C. Il apparu que l’anneau du nataznik (slip) s’insérait, non pas en haut de la jambière mais plusieurs centimètres sous celle-ci protégeant donc la totalité de la peau. Détail de vêtement, mais détail d’importance pour qui s’intéresse à l’acclimatation au froid…

 

Alors qu’Annie épuisée par le froid de la tombe et le rhabillage du corps remonte en surface, la tombe est rebouchée et reconstituée dans son état initial. La partie de campagne se termine durement, et le camps est bien loin. La tombe de la vieille femme édentée aux doigts pris dans les manches de son manteau domine toujours la Yana.


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EC, PG, AG

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Commentaires

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dommages que les commentaires soient trop synthétiques,et généraux; les photos sont magnifiques
bravo

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