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10 juin 2013 |

La République de Taksim

La « République libre de Taksim » à Istanbul est l’objet de toute l’attention des médias européens, et ils ont raison. Elle conteste l’autoritarisme du parti au pouvoir AKP et plus particulièrement celui du Premier ministre Erdoğan, et le type de société réservée aux Turcs au sein de laquelle liberté individuelle et laïcité seraient sévèrement encadrées sinon supprimées. Devant cet agenda se dresse une alternative aussi radicale, celle de la version ulusalcı du kémalisme, combinaison d’ultranationalisme et d’ultralaïcisme, comme le souligne le chercheur Hamit Bozarslan en conclusion de sa magistrale étude sur l’Histoire de la Turquie, de l’Empire à nos jours, parue cette année aux éditions Tallandier (590 p., 26,90 €).

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Si la « République libre de Taksim » semble à l’abri pour le moment des récupérations de ce radicalisme pas plus démocratique que l’autoritarisme islamique du pouvoir, certaines des manifestations de province n’échappent à cette tentation ulusalcı. Hamit Bozarslan se doit d’avertir ses lecteurs, en une dernière phrase lourde de sens : « L’historien sait en effet que toute hégémonie politique est inscrite dans un cadre temporel donné et non pour l’éternité ; elle nourrit souvent, à son corps défendant, d’autres projets concurrentiels, qui partagent avec elle la même matrice axiologique pour mieux la mettre à terre ».

Cette matrice axiologique unique et disputée repose sur le dogme de la nation unique, qu’elle soit kémalisme ou islamiste, laïque ou religieuse, et n’autorisant ni la reconnaissance ni l’expression des pluralités qui font aujourd'hui société. Or, c’est dans cette direction que la Turquie réussira sa démocratisation. « “Faire société” en Turquie, écrit Hamit Bozarslan, exigerait, plus que jamais, qu’on prenne acte de l’échec des tentatives unanimistes du passé pour enfin reconnaître la légitimité des pluralismes ethniques, confessionnels, politiques et “civilisationnels”, avec les déchirures qu’ils expriment dans l’arène publique actuelle. Au-delà des cadres institutionnels formels, seule une démocratie radicalement redéfinie permettrait à la Turquie d’enrayer les nouvelles vagues de contestations radicales dont elle fut si souvent et si violemment le terreau tout au long des XIXe et XXe siècles ».

Cette démocratie est en marche sur la place de Taksim et dans le jardin Gezi promis il y a peu encore à la destruction. Elle oppose ses savoirs et ses expériences à tous les autoritarismes et permet que la politique s’élargisse à toute la société.

Vincent Duclert  

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