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24 avril 2013 |

Sur les traces du génocide

Ce 24 avril désigne chaque année le jour anniversaire du déclenchement du génocide des Arméniens. Il sera particulièrement commémoré en France, mais aussi, depuis peu, en Turquie où de courageux démocrates défient le négationnisme d’Etat et les lois officielles pour se souvenir qu’il y a presque un siècle, le 24 avril 1915, débutait, par l’arrestation et la mise à mort de plusieurs centaines d’intellectuels, l’irréparable, l’extermination de la minorité arménienne par les dirigeants unionistes de l’Empire ottoman.

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Pour se souvenir, pour comprendre, pour apprendre aussi l’évolution de la société turque qui commence de regarder lucidement le passé, on dispose désormais d’une enquête de toute première main, d’une haute qualité intellectuelle et journalistique, due à deux correspondants de presse française à Istanbul, Laure Marchand (Le Figaro, Le Nouvel Observateur) et Guillaume Perrier (Le Monde et le Blog Au fil du Bosphore). Fondé sur un travail préparatoire de grands reportages mais les dépassant dans une synthèse achevée, La Turquie et le fantôme arménien (Actes Sud-Solin, 219 p., 23 €) démontre combien la démocratisation de la Turquie dépend du travail que sa société mènera sur son propre passé et sur celle d’une nation née dans sa forme actuelle le 29 octobre 1923. L’arménité de la Turquie, qui a beaucoup apporté à la civilisation turco-ottomane, ne peut plus exister seulement comme un fantôme que l’on cache, parce qu’avec cette dissimulation, la Turquie se mutile elle-même. Le travail de Laure Marchand et Guillaume Perrier est une contribution majeure dans le processus de vérité-réconciliation qui adviendra un jour. Le livre porte bien son sous-titre, il emmène le lecteur « sur les traces du génocide », présentes au plus profond des familles, à travers les destins d’orphelines ou d’orphelins arméniens, et occultées au point de devenir un véritable traumatisme de la conscience collective. L’intellectuel turc d’origine arménienne Hrant Dink, avait expliqué cela avant de finir assassiné le 19 janvier 2007 par le bras armé de l’ultra-nationalisme, au pied de l’immeuble de son journal bilingue Agos. Il est très présent dans le livre, de même que les justes de Turquie qui, au péril de leur vie, sauvèrent des Arméniens de l’extermination programmée.  

Dans un article Revue arménienne des questions contemporaines (décembre 2012, pp. 75-85), le grand spécialiste du génocide des Arméniens Raymond Kévorkian constate que l’historien, lorsqu’il aborde un dossier sur les violences de masse, « ne peut échapper à une réflexion sur sa dimension politique, sur son actualité contemporaine, sur les représentations de l’événement portées par les descendants des victimes et des bourreaux ». Il encourage en conséquence à étudier en profondeur l’ « arrière-plan politique et géopolitique qui est consubstantiel de la nature même des crimes d’Etat » (p. 85). Cette étude, l’historien turc Taner Akçam, précurseur des meilleures recherches actuellement menées sur le génocide, l’esquisse brillamment pour la Turquie dans sa préface à l’enquête de Laure Marchand et de Guillaume Perrier.

Vincent Duclert

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