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septembre 2012

12 septembre 2012

Françoise Collin

Blog collin
La philosophe Françoise Collin, « figure du féminisme » comme l’écrit Le Monde dans un texte collectif (édition du 12 septembre) est décédée le 1er septembre. Inspirée par son ami Emmanuel Levinas, elle avait réalisé une thèse sur Maurice Blanchot et la question de l’écriture que les éditions Gallimard publièrent d’abord en 1971 dans la collection « Le chemin » puis, en 1986, dans la série des « Tel ». Tout littéraire possède dans sa bibliothèque ce livre orné d’une vue d’Orphée charmant les animaux (n°107, 257 p., 30 francs à l’époque).

Vincent Duclert

Hannah Arendt

Françoise Collin fut aussi, comme l’écrit encore Le Monde, « l’une des passeuses en France de l’œuvre d’Hannah Arendt » à qui elle consacra un autre et splendide essai, Hannah Arendt. L’homme est-il superflu ? (Odile Jacob).

Blog hana
D’Hannah Arendt aujourd’hui, on retiendra la double parution d’œuvres traduites, réunies et raisonnées, d'abord les Ecrits juifs parus initialement aux Etats-Unis en 2007 par les soins de l’ancien et dernier assistant de la philosophe, Jerome Kohn, et de l’universitaire Ron H. Feldman, et dont les éditions Fayard ont assuré la traduction, celle-ci ayant été confiée à la philosophe Sylvie Courtine-Denamy qui signe un avant-propos très éclairant : « Le beau rêve d’Hannah Arendt : une “maison commune” » (coll. « Ouvertures », 747 p., 28 €).

Blog hana 2
Aux éditions Gallimard, la collection « Quarto » propose quant à elle un second volume consacrée à Hannah Arendt (après Eichmann à Jérusalem, 2002) et dénommée L’Humaine condition. Le philosophe Philippe Reynaud est le maître de ce recueil d’œuvres postérieures au premier grand livre d’Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme (1951), dont « ils donnent en quelque sorte le contrepoint » par l’expression des ressources de l’ « humaine condition », « source de résistance contre tous les processus de destruction ». Ces ouvrages établissent aussi le portrai d'une autre Hannah Arendt, moins philosophe, plus « écrivain politique », attachée aux pratiques de l’action et à la critique, précisément, de la philosophie politique.

Vincent Duclert

Le prix des inégalités

Blog stig
Après Paul Krugman, un deuxième Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, co-lauréat en 2001, part en guerre contre les « austériens » (les partisans de l’austérité et de l’orthodoxie financière). Cette politique dominante en Europe (même si la BCE a semblé récemment infléchir ses positions) creuse les inégalités sociales, lesquelles ont un coût comptable exorbitant, au-delà même de leurs conséquences sociales et humaines, selon Joseph Stiglitz qui s’en explique dans son dernier ouvrage traduit en français par le traducteur de Krugman, l’excellent Paul Chemla associé à Françoise Chemla. Le prix des inégalités (éditions Les Liens qui Libèrent, 510 p., 25 €) souligne l’impact négatif, pour l’économie elle-même, de l’absence de régulation publique et d’appauvrissement des classes moyennes et populaires qui s’en suit.

Vincent Duclert
10 septembre 2012

Energies du futur

Blog bacher
Les tensions observées au sein du gouvernement à propos du nucléaire nourrissent les arguments de ceux qui, à l’instar de Pierre Bacher, ancien directeur technique d’EDF, voient dans le développement de cette énergie une solution d’avenir. Elle permettrait de résoudre l’équation rappelée par Edouard Brézin, le préfacier de son essai, Le credo antinucléaire. Pour ou contre ? (Editions Odile Jacob, 167 p., 15,90 €), celle du quasi-doublement des besoins d’énergie en rejetant deux fois moins d’effet de serre. Seule la prise en compte de cette équation conférerait de la crédibilité aux tenants de la sortie du nucléaire. Pour Pierre Bacher, l’émotion née de l’accident des réacteurs de Fukushima a faussé le débat sur le nucléaire. Il tente dans son livre de faire valoir « les avantages du nucléaire tout en en réduisant les risques » et le « mouvement » que la France « se doit d’animer dans ce domaine ». Citant l’Académie des sciences dans son rapport sur l’accident de la centrale japonaise, il consent à reconnaître que l’avenir de l’électricité nucléaire demeure du ressort des mécanismes démocratiques, mais dans le cadre d’un débat où les experts comme lui contribueraient à éclairer l’opinion et « introduire un peu de raison dans le débat ».

Blog enderlin
Pour continuer sur l’électricité, d’origine nucléaire ou non, mentionnons la réflexion décapante de Serge Enderlin, grand reporter et spécialiste de géopolitique, sur l’avenir de l’automobile. Vivant, tonique, emmenant le lecteur au quatre coins du monde pour les besoins de l'enquête, Volt ! La voiture électrique sauvera-t-elle le monde ? (Le Seuil, 139 p., 15 €) mérite un bon détour.

Vincent Duclert 

07 septembre 2012

Obama, vers un deuxième mandat ?

Blog portes
Depuis cette nuit, Barack Obama est investi candidat démocrate aux élections présidentielles américaines qui auront lieu le 6 novembre prochain. Historien des Etats-Unis, Jacques Portes a consacré à cet événement un essai en forme d’interrogation, Obama, vers un deuxième mandat ? (Editions Armand Colin, coll. « Eléments de réponse », 190 p., 17 €). Soulignant les doutes de son propre électorat, il avance que le Président sortant « devra sortir le grand jeu pour effectuer un second mandat ».

Vincent Duclert

05 septembre 2012

Urgences de l'actualité

Trois ouvrages en relation avec l’actualité ce matin sur le Blog des Livres.

Blog noblesse
La rentrée des 12 millions d’élèves en France tout d’abord, commencée hier, avec une étude de sociologie « des enfants surdoués » de Wilfried Lignier, enseignant à l’Ecole normale supérieure. La petite noblesse de l’intelligence (La Découverte, coll. « Sciences humaines », 360 p., 25 €) est fondée sur une large enquête impliquant parents, psychologues et militants associatifs.

Blog enfant
La psychologie et la psychothérapie se saisissent quant à elles du « désir d’apprendre »,avec Martine Menès qui défend, dans L’Enfant et le Savoir (le Seuil, 174 p., 17,50 €) une vision compréhensive des difficultés scolaires et des manières d’aider l’enfant à les surmonter.  

Le chômage aussi, au moment où la barre des 3 millions de sans-emplois a été atteinte en France. Malgré les systèmes de protection sociale, la perte de son emploi ou l’impossible accès au marché du travail créent des formes multiples de précarité et de fragilité, lesquelles engendrent des situations d’urgence sociale que des organismes tel le Samusocial de Paris tentent de guérir.

Blog samusocial
Daniel Cefaï et Edouard Gardella ont suivi le travail des équipes mobiles (les « maraudes ») dans la capitale. De cette enquête de terrain, ils livrent une grande étude d’ethnologie du problème public de la « grande exclusion » et des outils pour l’affronter (La Découverte, coll. « Sciences humaines/Bibliothèque du MAUSS, 576 p., 35 €).

 

Vincent Duclert

03 septembre 2012

Peut-on encore former des enseignants ?

Blog prof
850 000 enseignants font leur rentrée aujourd’hui, précédant d’une journée celle des élèves. « Eléments de réponse », la collection d’intervention des éditions Armand Colin publie un essai qui n’est pas seulement d’actualité, Peut-on encore former des enseignants ?, écrit par deux maîtres de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Nantes, Pascal Guibert et Vincent Trager (151 p., 16,80 €). Les auteurs y pèsent notamment les vertus respectives des modèles de formation, le « consécutif » (d’abord une formation exclusivement disciplinaire jusqu’au concours de recrutement, puis une formation mixte, associant des compléments disciplinaires et des éléments de formation professionnelle), caractéristique du système français, et le « simultané » ou « intégratif », comme en Finlande, où la formation professionnelle commence très tôt dans le cursus du futur enseignant. Pour former encore des enseignants, il faut donc repenser leur formation.

Aux éditions Armand Colin également, un collectif de la collection « Recherches », Polémiques à l’école, sous-titré : « Perspectives internationales sur le lien social », et dirigé par Geoffrey Grandjean et Grégory Piet, de l’université de Liège (198 p.).

 

Vincent Duclert

Combattre la crise, par Paul Krugman

Le Blog des Livres est de retour, et avec lui son invitation à la lecture, à la réflexion, à l’engagement parfois. Sa matière est le livre et l’édition. Si celle-ci considère avec une certaine inquiétude l’aggravation de la récession et la réduction du pouvoir d’achat de nombreux potentiels lecteurs, elle n’abandonne pas pour autant ses missions d’éducation populaire et de transmission du savoir savant.

Puisque la crise mobilise les politiques comme les experts, l’opinion publique comme les intellectuels, intéressons-nous à la parution de la traduction en français de l’essai du Prix Nobel d’économie Paul Krugman, Sortez-nous de cette crise maintenant ! (traduit de l’anglais - Etats-Unis par Anatole Muchnik, avec la collaboration scientifique d’Eloi Laurent, Paris, Flammarion, 272 p., 19 €). Ce livre, la rédaction de la Recherche a choisi dans son immense sagesse d’en faire le « Livre du mois » du numéro de rentrée, actuellement dans les kiosques et déjà chez les abonnés.

Blog krugman
Le choix du titre, pour la traduction en français de End this Depression Now! indique bien la mission du livre. Il s’agit pour l’auteur de forcer les responsables économico-politiques, tant américains qu’européens, à prendre toute la mesure de la crise. Cela passe par l’inventaire d’une faillite intellectuelle qui n'a pas permis de comprendre les priorités présentes et qui conduit à s’accrocher à des mythes d’autant plus puissants qu’ils se drapent de morale. Puisque ces dogmes interdisent d’envisager d’autre politique que celle actuellement suivie, Paul Krugman compte sur la puissance de l’opinion publique. Son livre doit lui apporter les éléments de sa réflexion et de sa mobilisation.

Il n’en est pas à son coup d’essai puisqu’en 2007 il avait, avec The Conscience of a Liberal [1] choisi de placer les Américains en face de la situation créée par la politique de George W. Bush. Il s’était appliqué à démontrer la fabrique des dogmes utilisés pour justifier une politique ultra-conservatrice. Si la contribution à la victoire de Barak Obama de ce Prix Nobel d’économie (2008) fut réelle, il ne devint pas pour autant un partisan inconditionnel du nouveau président. Il développa même, dans ses éditoriaux du New York Times et sur son blog [2], des critiques appuyées sur sa politique économique.

C’est à partir de cette connaissance très poussée de la situation américaine qu’il s’emploie dans son nouvel essai à définir les conditions d’une lutte authentique contre la crise, conforme à ce qu’elle est et à ce qu’enseigne le savoir des économistes lorsqu’il est bien compris. Paul Krugman attaque sévèrement la démission de beaucoup de ses confrères qui ont substitué à la connaissance critique la croyance dans l’austérité financière et qui ont entretenu des liens problématiques avec les décideurs économiques. Jetant « aux oubliettes les leçons de l’histoire », ils ont « totalement évacué le grand principe énoncé par Keynes : “C’est en phase d’expansion, pas de ralentissement, qu’il faut appliquer l’austérité” ».

Il concède à l’administration Obama de s’être essayé à une politique « expansionniste, créatrice d’emplois ». Mais les mesures de relance publique ont été trop faibles et trop tardives pour produire un effet. Cet échec s’explique pour Paul Krugman par le souci d’Obama d’éviter tout risque d’échec et de plaire aux partisans de l’austérité. Ces derniers, les « austériens », ont conquis une autorité sans commune mesure avec leurs compétences réelles. Au nom de la « confiance » (« la fée confiance »), ils ont élevé la réduction drastique des déficits, la lutte absolue contre l’endettement public et privé, et le rejet viscéral de toute inflation en morale définitive. Or, non seulement cette politique est inadéquate en période de récession puisqu’elle enclenche la déflation et interdit tout possibilité d’investissement, mais elle dédaigne de surcroît le problème numéro un du chômage.

Contre les critiques, les « austériens » sortent « le jeu de la peur », comme la menace de l’inflation vertigineuse qui précipiterait l’Europe dans ses situations rappelant la montée du nazisme, alors même que la déflation dans la Grande Dépression fut l’élément accélérateur de la crise. Les politiques européennes sont passées à la loupe du Prix Nobel qui souligne combien les décisions des Etats de la zone euro sont hantés par l’exemple grec qu’ils ont largement contribué à fabriquer en ne le comprenant pas : la Grèce était engagée avant la crise dans un processus de désendettement par la croissance qu’il fallait accompagner. A cela s’ajoute le tabou moral pesant sur l’euro, symbole d’une unité politique tant recherchée par le continent, mais au nom duquel sont maintenant décidées des mesures anti-économiques comme la purge des dépenses publiques condamnant toute relance.

Cet essai est magistral. S’appuyant sur de nombreux exemples et références exposées avec une grande clarté, attentive à expliquer autant qu’à démontrer, ouvrant largement les horizons de la réflexion tout en revenant à son objet, la lutte contre la crise, la pensée de Paul Krugman traduit les vertus de la connaissance critique. Pour combattre une impressionnante récession, il convient pour la connaître d’interroger en pleine indépendance intellectuelle les outils avec lesquels, aujourd’hui, on la définit et on pense les politiques.

Vincent Duclert

[1] L’Amérique que nous voulons, traduit par Paul Chemla, Paris, Flammarion, 2008, 353 p., 22 €

[2] http://krugman.blogs.nytimes.com