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28 juillet 2012 |

Syrie, suite. Michel Seurat, toujours

C’est en 1947, à Bizerte, qu’est né dans une famille française de Tunisie le futur chercheur sur le Moyen Orient arabe Michel Seurat. Sociologue et politiste spécialiste de la Syrie, recruté en 1981 par le CNRS, en poste à Beyrouth au Centre d’études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain, chercheur intrépide qui déménagea la bibliothèque du CERMOC en pleine invasion de Beyrouth par l’armée israélienne durant l’été 1982 ou choisit les terrains d’étude les plus périlleux et les plus nécessaires, il avait publié en 1983 un ouvrage sur Les Frères musulmans (Gallimard) en collaboration avec Olivier Carré. Cet ouvrage a été réédité en 2002 chez L’Harmattan. Michel Seurat avait rédigé, sous le pseudonyme de Gérard Michaud, les chapitres consacrés à la Syrie et soulignant particulièrement la répression implacable de la révolte islamiste de la ville d’Hama, répression conduite à l’automne 1981 par le frère d’Hafez el-Assad, Rifaat. L’identité de l’auteur de l’article originellement paru dans la revue Esprit avait été rapidement dévoilée, attirant l’attention sur lui des services secrets syriens et des alliés au Liban du Hezbollah.

Ceux-ci décidèrent alors de son enlèvement, le 22 mai 1985 sur la route de l’aéroport de Beyrouth. L’opération fut réalisée par le Jihad islamique, une organisation téléguidée par le Hezbollah lui-même contrôlé par le pouvoir syrien. Le 5 mars 1986, ses ravisseurs annoncèrent « l’exécution du chercheur espion spécialisé Michel Seurat ». Gilles Kepel et Olivier Mongin, qui éditèrent au seuil en mai 1989 le recueil de ses principaux articles de recherche, sous le titre L’Etat de barbarie rappelèrent la vérité : « Il avait en réalité succombé plusieurs mois auparavant, après une longue agonie consécutive aux mauvais traitements et au manque de soins, otage au fond d’une geôle libanaise. Mais la guerre du mensonge – ce ressort du terrorisme moyen-oriental – demandait que la mort de Seurat fût mise en scène. » La dictature d’Hafez el-Assad avait été mise à nue par ce jeune chercheur français qui apprit tout autant de ses études en France à Lyon que du terrain du sociologue à partir de son installation à Beyrouth en 1971. Dans L’Etat de barbarie, il s’attache à comprendre la tyrannie moyen-orientale à travers l’exemple syrien des années 1979-1982. Il développe aussi des axes de recherche essentiels sur la relation entre la ville fragmentée et la violence politique. Ses travaux demeurent des références vivantes comme en témoigne l’étude de Hamit Bozarslan, Une histoire de la violence au Moyen-Orient. De l’empire ottoman à Al-Qaida parue en 2008 aux éditions La Découverte (324 p., 24 €) : le nom de Michel Seurat n’y est pas seulement présent en tant que victime de la violence politique mais surtout et d’abord comme sociologue engagé, dont les travaux permettent, plus de vingt ans après leur conception, de comprendre ce phénomène général.

La mémoire de Michel Seurat comme chercheur n’a donc pas totalement disparu. On la trouve aussi dans le livre émouvant que sa femme Marie lui a consacré en 1988, Les Corbeaux d’Alep (éditions Lieu Commun, rééd. Gallimard, coll. « Folio », 1989, 253 p., 5,10 €), dans l’amitié d’un autre et brillant orientaliste, Jean-Pierre Thieck, qui devint par la suite correspondant du Monde à Istanbul (une amitié rappelée à la fois par Marie Seurat et par Gilles Kepel dans la préface à Jean-Pierre Thieck, Passion d’Orient, Karthala, 1992, p. 7-9). Le CNRS n’oublia pas non plus son agent et créa en juin 1988 les Bouses Michel Seurat « honorer la mémoire de ce chercheur, du spécialiste des questions islamiques, disparu dans des conditions tragiques. Ce programme vise à aider financièrement chaque année un jeune chercheur, français ou ressortissant d'un pays du Proche-Orient, contribuant ainsi à promouvoir connaissance réciproque et compréhension entre la société française et le monde arabe ». Le nom et l’exemple de Michel Seurat ont contribué à faire des études moyen-orientales contemporaines un objet à part entière et profondément scientifique malgré ses implications politiques immédiates.

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En 2006, le Hezbollah révéla le lien où Michel Seurat avait été hâtivement enterré. Le 7 mars 2006, sa dépouille rentrait en France. Le premier ministre Dominique de Villepin présida une cérémonie en présence de la famille de Michel Seurat, de sa femme et de ses deux filles Alexandra et Laetitia que leur père avait à peine connues, surtout la dernière. Le 12 février 2008, Imad Moughnieh, un des chefs militaires du Hezbollah, responsable présumé de la vague d’attentats et d’enlèvement d’occidentaux au Liban durant les années 1980 était assassiné dans l’explosion de sa voiture, à Damas où il était réfugié. Les services secrets israéliens ont démenti avoir été à l’origine de sa mort qui le soustrait définitivement à un jugement devant un tribunal. Selon des renseignements dignes de foi, l’assassinat de l’ambassadeur de France Louis Delamarre* n’est pas resté non plus impuni.

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En 2009, le Cinéma du réel (www.cinereel.org)  a présenté le film du cinéaste Omar Amiralay, Par un jour de violence ordinaire, mon ami Michel Seurat. On se souviendra qu’en juillet 2008, Bachar el-Assad, invité à assister au défilé du 14 juillet à Paris par l’ancien Président français, avait déclaré dans Le Figaro (qui l’interrogeait le 8 juillet) que le chemin de la démocratie « est un long chemin qui peut durer une ou plusieurs années. Il dépend de la culture, des traditions, des conjonctures politiques et économiques, et d’autres conditions régionales et internationales. Nous avons effectué plusieurs pas dans ce sens. » On ne cesse de mesurer ces pas depuis que le pouvoir syrien a rendu à ses parents, avec obligation de l’enterrer sur le champ, le corps atrocement torturé d’un enfant disparu le 29 avril dernier en marge des manifestations de Deraa, Hamza al-Khatib, épicentre de la contestation syrienne depuis que d’autres enfants avaient été arrêtés pour avoir taggé, des slogans de la révolution égyptienne de 2011 (une vidéo postée sur YouTube a montré toutes les blessures infligées, le visage de l’enfant est tuméfié. Son corps est couvert de brûlures de cigarettes et d’impacts de balles).

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Epuisé, L’Etat de barbarie a été opportunément réédité aux Presses universitaires de France en mai dernier, avec une préface inédite de Gilles Kepel (coll. « Proche Orient », 304 p., 27 €).

 Vincent Duclert

 

 

* Le pouvoir syrien, du temps du père de l’actuel dictateur Hafez el-Assad avait couvert sinon commandité l’assassinat de l’ambassadeur de France au Liban Louis Delamarre, abattu le 4 septembre 1981 à Beyrouth près d’un barrage syrien à l’époque où la France s’opposait durement au « protecteur » du Liban. Idem pour l’attentat contre l’immeuble « Drakkar » des casques bleus français du 23 octobre 1983.

 

Commentaire de la photographie de la dépouille de Michel Seurat à Beyrouth (site : http://www.google.fr/imgres?imgurl=http://img.photobucket.com/albums/v101/He219/Todays%2520Pix/more/e3e6d3df.jpg&imgrefurl=http://www.militaryphotos.net/forums/showthread.php%3F75097-Today-s-Pix-Friday-March-10th-2006&usg=__gaM4p9OAwrHogzLMxF3rhu3XOqg=&h=351&w=512&sz=34&hl=fr&start=20&zoom=1&tbnid=tc_8PjzBSqU-lM:&tbnh=90&tbnw=131&ei=-r4TUJyQKofA0QWg0IDIAg&prev=/search%3Fq%3Dmichel%2Bseurat%2Bvillepin%26hl%3Dfr%26sa%3DX%26rls%3Dcom.microsoft:*:IE-SearchBox%26rlz%3D1I7RNWN_fr%26tbm%3Disch%26prmd%3Divnso&itbs=1 )

Honor guards of the Lebanese Internal Security forces, right, carry the coffin, draped with the French flag, of the remains of Michel Seurat, a French history researcher kidnapped by Islamic militants in Beirut in 1985, in Beirut, Lebanon, Tuesday, March 7, 2006. A military band played somber music Tuesday as the remains of Seurat were handed over to the French ambassador. Seurat's bones were found during excavation at a rest stop on the road to Beirut airport in the capital's Muslim Shiite dominated southern suburbs, and recent DNA tests confirmed that the bones belonged to him. Seurat was kidnapped May 22, 1985. (AP Photo/Hussein Malla). Photographie précédente (Worldnews).

 

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