Vous êtes sur BLOGS > le blog des livres

 

14 février 2012 |

Les oubliés. Hommage à Tomkiewicz

Blog turz
Pédiatre, épidémiologiste, directeur de recherche à l’Inserm, chercheuse associée au Cermes, Anna Tursz est l’auteur d’une somme sur la maltraitance des enfants. Elle estime que ce problème de société, de morale et de santé publique, qui enferme enfants (et adultes) dans une logique insoutenable de violence, affecte entre 5 et 10% des enfants, dans toutes les classes sociales. Tout commence avec la mort suspecte des nourrissons de moins d’un an, dont elle propose une étude serrée. Puis elle établit l’état des connaissances sur la maltraitance, pour étudier ensuite le rôle et les priorités du système de santé. Enfin, elle s’interroge à juste titre sur les raisons de la persistance de la maltraitance et de sa méconnaissance en France. Une telle méconnaissance, que ce livre combat, justifie son titre, Les oubliés. Enfants maltraités en France et par la France (Seuil, 426 p., 20 €).

Anna Tursz a dédié cet ouvrage important et nécessaire à la mémoire de Stanislas Tomkiewicz, pédopsychiatre d’une générosité exceptionnelle qui n’a, écrit-elle, jamais abordé un enfant ou un adolescent, même délinquant, sans autre arme thérapeutique que le respect ». On regrette du reste, à lire cette forte dédicace, que l’histoire de la pédopsychiatrie soit finalement peu présente dans le livre. Elle permet souvent d’expliquer des phénomènes présents qui échappent. Pour autant l’hommage à ce médecin français, au destin exceptionnel, est une dette payée à un savant et combattant lui aussi méconnus. Qui connaît en effet Stanislas Tomkiewicz ? On se propose dans les lignes qui suivent de retracer le parcours d’un des nombreux étrangers « qui ont fait la France » et lui ont donné le meilleur d’eux-mêmes.

Blog tom 4
Né à Varsovie en 1925 dans une famille polonaise de la grande bourgeoisie juive, Stanislas Tomkiewicz survit adolescent à l’enfermement dans le ghetto de Varsovie. Il y passe même son baccalauréat en juin 1941. Déporté avec ses parents, il parvient à s’évader du train. Mais il est repris et déporté au camp de Bergen-Belsen. Libéré par les Anglais, il est rapatrié à l’hôtel Lutétia à Paris, « juste le temps d’un examen clinique qui le conduit au sanatorium pour deux ans », précise sa fille, la néphrologue Elisabeth Tostivint- Tomkiewicz (Internat de Paris, n°44). A cette époque il a vingt ans ; à l’exception de sa sœur et du fils de celle-ci, âgé de six ans, il est le seul survivant de sa famille. C’est alors que s’exprime cette personnalité qui fait toute la complexité de mon père : un mélange de force incomparable, nourrie de haine et d’orgueil, mais aussi d’humanité. Cette humanité, il la puise en partie dans le souvenir de Janusz Korczak, pédiatre avant-gardiste du ghetto de Varsovie, pionnier des droits de l’enfant, et dont il s’efforcera par la suite de faire connaître le travail. » De cette expérience, Stanislas Tomkiewicz tire le premier tome de ses mémoires, L’enfance volée (Calmann-Lévy, 1999), où il établit ce lien direct avec sa profession de psychiatre infanto-juvénile, « une vérité que j’ai mis des années à oser regarder en face : je travaille avec les adolescents parce qu’on m’a volé mon adolescence… L’expression peut paraître abusive. On a toujours une adolescence, bien sûr : disons que la mienne, entre les murs rouges du ghetto de Varsovie et les barbelés de Bergen-Belsen, n’a pas été tout à fait normale ».

Le choix de la médecine et de la France accomplit la promesse qu’il a faite à ses parents, soucieux qu’il devienne « ein guiter Doktor » et qu’il vive dans la patrie des droits de l’homme. Dans l’incapacité de prouver qu’il est déjà titulaire du baccalauréat (tous ses papiers ayant disparu), il repasse son baccalauréat en 1947. Puis, vivant dans un foyer d’étudiant, il débute à Paris des études de médecine. Il réussit l’internat en 1956. Dès 1948, Madeleine Zay, la veuve de Jean Zay, soutient auprès du préfet de police sa demande de naturalisation. Mais le Conseil de l’ordre oppose son veto en raison de la judéité de Stanislas Tomkiewicz. Il ne sera finalement naturalisé que le 3 mai 1953. Il commence une carrière hospitalière bien qu’étant attiré par la recherche. Mais celle-ci est rejetée et méprisée par le milieu médical et les grands patrons. La clinique s’affirme à cette époque comme toute puissante. Soutenue en 1960, sa thèse de doctorat d’Etat en médecine porte sur troubles caractériels de l’enfant. D’abord chef de clinique en neuropsychiatrie à l’hôpital de la Salpêtrière, il rompt avec ce monde hospitalier archaïque dans sa prise en charge des malades, particulièrement les malades mentaux, de surcroit très anticommuniste alors que lui-même militait au PCF, et encore traversé de vives pulsions antisémites. Stanislas Tomkiewicz se rapproche alors des pédiatres travaillant avec les enfants en difficulté et les enfants dits « poly-handicapés ». En 1960, il obtient sa qualification en pédiatrie, puis en 1961 celle de neuropsychiatre. Il travaille pour l’hôpital spécialisé de La Roche-Guyon et devient psychiatre attaché au Centre familial de jeunes de Vitry, un foyer de semi-liberté pour adolescents. Menant de nombreuses recherches, il rejoint l’INSERM en 1965 et prend en 1975 la direction de l’unité 69 « Santé mentale et déviance de l’enfant et de l’adolescent » à Montrouge. Il devient aussi enseignant à l’université de Paris VIII-Vincennes. Il publie en 1987 L’Enfant et sa santé, premier ouvrage issu d’une collaboration entre des psychiatres et des médecins de santé publique. Son action déterminée contribue à la reconnaissance du droit des enfants et au vote de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 qui donne à l’enfant et à l’adulte handicapés un statut de citoyen. Rejetant le « biologisme » dans l’approche psychiatrique, soucieux de donner aux psychiatres des moyens et une reconnaissance, refusant la violence des institutions, Stanislas Tomkiewicz a introduit la notion de résilience dans le monde médical. Sur le plan politique, son adhésion au parti communiste s’achève en 1972. Ses combats humanistes le mènent à l’engagement contre la guerre d’Algérie et à la défense des persécutés. C’est la lutte finale etc., le second tome de ses mémoires paru en 2003 (La Martinière) évoque ces nombreuses luttes civiques.

Blog tom 2
Mobilisé pour une réforme radicale du système médical français et de santé publique, notamment après mai 68, Stanislas Tomkiewicz s’est battu pour le rapprochement de la recherche et de la clinique, la fin du mandarinat, et la reconnaissance du patient et de sa souffrance. Il a acquis avec ses travaux sur les enfants poly-handicapés et autistes et sur la délinquance juvéline une renommée mondiale. « Il demeure un exemple exceptionnel de psychiatrie définitivement atypique, un combattant d’une psychiatrie humaniste, à cœur ouvert, engagé à chaque instant dans le soin et dans la cité » (site de l’INSERM/Histoire). Dans un entretien accordé en mars 2001 à Suzy Mouchet et Jean-François Picard, il est revenu sur son choix de la France et de la médecine en 1945 : « un acte de volonté pure. A cette époque, le monde entier m’était ouvert, mais j’aimais la France et je voulais y rester, alors que je n’y connaissais personne. J’avais 19 ans et demi et il était évident pour moi que je deviendrai médecin. [...] Je suis médecin par la volonté de mon père, qui m’avait conditionné pour cela depuis ma naissance. Dès l’âge de six ans, mes parents m’ont donné des livres de médecine. Puis, vers neuf ans, j’ai lu "La vie de Pasteur" et "Les chasseurs de microbes". Or ces deux livres qui constituaient "ma bible" ne parlaient pas de médecins mais de chercheurs et, dans mon esprit d’enfant, j’ai fait la confusion ».

Ses amis l’ont surnommé TOM. C’est sous ce nom qu’a été créée une association, dans le but « d’assurer la continuité et la transmission des idées, des combats, de l’œuvre Stanislas Tomkiewicz ». Il est mort le 5 janvier 2003 à Paris.

Blog tom livre
« À l’époque où je dirigeais un service pour enfants arriérés profonds – « le rebut de l’humanité », comme disaient encore certains –, un étudiant en médecine est venu me trouver pour me demander une place d’interne. […] Il a vu tous ces enfants cassés, et, sur le chemin du retour, il m’a dit : « Tu sais, Tom, franchement, pas une seconde je n’imagine être psychiatre dans un endroit pareil. Pourquoi un homme comme toi travaille-t-il avec ces enfants-là ? » Je l’ai envoyé promener très méchamment. […] J’aurais pu répondre de meilleur cœur et plus simplement : « C’est parce que je les aime. » Mais il n’était pas question de dire aux autres, ni à moi-même une vérité que j’ai mis des années à oser regarder en face : je travaille avec les adolescents parce qu’on m’a volé ma propre adolescence. » Incipit.

Vincent Duclert

voir le site Les amis de Tom : http://www.amisdetom.org/

Réagir / Réactions

Commentaires

Flux You can follow this conversation by subscribing to the comment feed for this post.

 

il y a des diamants comme ça au sein de la noirceur humaine...

L'utilisation des commentaires est désactivée pour cette note.