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09 janvier 2012 |

La misère du monde, suite

Blog bourd
« Nous livrons ici les témoignages que des hommes et des femmes nous ont confiés à propos de leur existence et de leur difficulté d’exister ». Ainsi débutait la Misère du monde. Elle m’est venue à l’esprit en écoutant, hier dimanche 8 janvier, la remarquable émission du magazine Interception de France Inter consacrée aux « fins de mois difficiles » (http://www.franceinter.fr/emission-interception-des-fins-de-mois-difficiles). On y entendait des témoignages de personnes en situation matérielle très précaire dont la volonté de continuer à maîtriser leur destin et inventer les petits et les grands bonheurs de l'existence était exceptionnelle. Mais un rien aussi peut détruire cette force intérieure toujours plus fragile à mesure qu'augmentent indéfiniment les contraintes et les humiliations.

Cela nous ramène à cette grande enquête collective conduite par Pierre Bourdieu et publiée en 1993 aux éditions du Seuil (et en « Points » en 1998, 1464 p., 14 €). Les conclusions sont très actuelles, cruciales. Le sociologue souligne le devoir et la méthode des sciences sociales de voir la réalité sociale devenue invisible à un « monde politique [qui] s’est peu à peu fermé sur soi, sur ses rivalités internes, ses problèmes et ses enjeux propres ». Les sciences sociales peuvent agir comme la médecine qui doit, pour guérir, aller au-delà des manifestations apparentes, domaine des experts, des « savants apparents de l’apparence », ceux que Platon a appelés des doxosophes, « techniciens-de-l’opinion-qui-se-croient-savants ». Certes, voir n’est pas guérir. Mais connaître et comprendre est déjà un pas en direction de la lutte contre la maladie. Les sciences sociales répondent aux mêmes incertitudes et certitudes : « Porter à la conscience des mécanismes qui rendent la vie douloureuse, voire invivable, ce n’est pas les résoudre. Mais, pour si sceptique que l’on puisse être sur l’efficacité sociale du message sociologique, on ne peut tenir pour nul l’effet qu’il peut exercer en permettant à ceux qui souffrent de découvrir la possibilité d’imputer leur souffrance à des causes sociales et de se sentir ainsi disculpés ; et en faisant connaître largement l’origine sociale, collectivement occultée, du malheur sous toutes ses formes, y compris les plus intimes et les plus secrètes. Constat qui, malgré les apparences, n’a rien de désespérant : ce que le monde social a fait, le monde social peut, armé de ce savoir, le défaire ». Ce dimanche d’hiver sur les ondes, ce qu’on observait à l’écoute des témoignages recueillis par Lionel Thompson, c’est que le savoir appartenait au monde social lui-même soudain transformé en acteur de sa propre résistance à la misère. Ce n’était pas grand-chose mais c’était tout.

Vincent Duclert

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