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05 septembre 2011 |

La société des égaux

Blog rosan 
« La démocratie affirme sa vitalité comme régime au moment où elle dépérit comme forme de société. En tant que souverains, les citoyens n'ont cessé d'accroître leur capacité d'intervention et de démultiplier leur présence. Ils ne se contentent dorénavant plus de faire entendre de façon intermittente leur voix dans les urnes. Ils exercent, toujours plus activement, un pouvoir de surveillance et de contrôle. Ils empruntent les formes successives de minorités actives ou de communautés d'épreuve, autant que celle d'une opinion diffuse pour faire pression sur ceux qui les gouvernent et exprimer leurs attentes et leurs exaspérations. La vivacité même des critiques qu'ils adressent au système représentatif donne la mesure de leur détermination à faire vivre l'idéal démocratique. C'est un trait d'époque. L'aspiration à l'élargissement des libertés et à l'instauration de pouvoirs serviteurs de la volonté générale a partout fait vaciller les despotes et modifié la face du globe. Mais ce peuple politique qui impose toujours plus fortement sa marque fait de moins en moins socialement corps. La citoyenneté politique progresse en même temps que régresse la citoyenneté sociale. Ce déchirement de la démocratie est le fait majeur de notre temps, porteur des plus terribles menaces. S'il devait se poursuivre, c'est en effet le régime démocratique lui-même qui pourrait à terme vaciller. »

Les premières phrases du nouveau livre de Pierre Rosanvallon disent le projet et l’importance de La société des égaux (Seuil, coll. « Les livres du nouveau monde », 431 p., 22,50 €). Alors que le modèle démocratique est classiquement analysé du point de vue politique, le professeur au Collège de France d’histoire moderne et contemporaine du politique et fondateur de La République des Idées décentre cette interprétation en ramenant la question de la démocratie vers ce qui a été historiquement l’un de ses berceaux aujourd’hui ignoré, la question sociale. On mesure avec lui l’urgence d’une telle approche en considérant combien le développement actuel des inégalités sociales, entrainant la « décomposition du lien social et, simultanément, de la solidarité », affecte le principe même de la démocratie et son avenir. Il convient alors d’interroger la construction de l’idée d’égalité, comment celle-ci a travaillé le projet démocratique, et comment sa disparition à l’horizon des sociétés déchire désormais la démocratie. Il s’agit donc d’un livre capital, par son pessimisme, en même temps que par la voie qu’il trace pour relever ce nouveau défi historique. Le combat contre les inégalités – lesquelles sont à la fois « l’indice et le moteur de ce déchirement » - conduit à inventer une nouvelle société seule capable de restaurer le lien social, donc le lien politique. Pierre Rosanvallon démontre ici, une nouvelle fois, sa capacité de savant à forcer les réalités actuelles et aller jusqu'aux origines qui les expliquent. Là commence alors le temps de la reconstruction.  

Vincent Duclert

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