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02 juin 2011 |

Les batailles de l'impôt

Blog delalande 
Comme il fait gris et pluvieux, aujourd’hui, sur les régions méridionales de la France, nombreux seront les Français et les Françaises à consacrer une partie de leur jeudi d’Ascension (pour ceux qui ne travaillent pas) à « faire les impôts » - du moins si l’on a opté pour la déclaration en ligne de l'impôt sur le revenu. C’est l’occasion de revenir à l’idée même de l’impôt dans les sociétés modernes, et que résumait en 1937 le secrétaire d’Etat au Trésor américain Henry Morgenthau Jr. dans une communication au président Franklin Delano Roosevelt relative aux problèmes soulevés par la fraude et l’évasion fiscales : « Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée. Trop de citoyens veulent la civilisation au rabais ». Il ajoutait qu’il était nécessaire d’atteindre un « niveau plus élevé de moralité dans les rapports du citoyen avec son gouvernement ». Cette évocation des hautes vertus sociales, morales et politique de l’impôt ouvre l’étude de Nicolas Delalande sur Les Batailles de l’impôt *, à savoir le consentement et les résistances à l’impôt de 1789 à nos jours, en France essentiellement mais sans méconnaître la dimension internationale du sujet et même « l’internationalisation de la question fiscale » depuis les années 1900. Cet ouvrage issu d’une thèse remarquée (soutenue à l'université de Paris-1) reconnaît tous les liens entre la dimension fiscale et le processus de construction de l’Etat moderne dès la fin du Moyen Âge. La Révolution française investit l’impôt et le politise en définissant le principe d’un consentement à l’impôt qui serait le ciment du pacte civique et rejetterait solennellement l’arbitraire et l’injustice de la taxation d’Ancien Régime. Les colonies anglaises d’Amérique font de même quelques années plus tôt, si bien qu’il est possible avec Nicolas Delalande d’affirmer que « la revendication du droit de la Nation à consentir à l’impôt, tout comme la recherche d’une véritable égalité devant la loi, est au fondement de la modernité politique ». On comprend alors combien la question fiscale est une question politique au plus au point, comment elle plonge dans les représentations les plus décisives de la citoyenneté démocratique, et pourquoi elle sera au cœur des débats d’une campagne présidentielle qui interrogera sans nul doute l’actualité des principes fondateurs de la « modernité politique » - y compris l'actualité sociale, à savoir leur adoption par la société. C’est par l’étude des conflits, des controverses, que se mesurent particulièrement de telles convictions, représentations et renoncements de l’idéal fiscal ! C’est le pari de ce livre réussi, exemple d’une histoire politique élargie à la question de la politisation des individus, de leur rapport avec l’Etat et de leur conception de la civilisation.

Vincent Duclert

* Le Seuil, coll. « L’univers historique », 456 p., 24 €.

 

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