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mai 2011

31 mai 2011

Séquence BD. Le Procès

Blog destins 
Franck Giroud est l’inventeur d’une saga assez exceptionnelle intitulée Destins. Il s’agit plus précisément du destin d’Ellen Baker, commencé de manière assez classique par un premier tome qui narre « une histoire d’amour sur fond de polar ». Mais tout change au tome deux, ou plutôt « les » tomes deux. Car, comme le raconte encore Giroud, « à la fin du Hold-up, l’héroïne, se retrouve face à un effroyable dilemme. Quel que soit le choix effectué par Ellen Baker, sa vie s’en trouvera bouleversée à jamais. Bouleversée, mais dans un sens radicalement différent selon qu’elle aura opté pour telle ou telle décision ». La série s’organise autour d’un double ensemble d’albums qui suivent l’une ou l’autre des options. Le Procès, qui est paru cette année, doit son scénario à Denis Lapierre tandis que les dessins et les couleurs émanent d’Oliver Berlion et de Christian Favrelle (Glénat, 48 p., 13,50 €). Dans cette version de l’histoire, Ellen Baker s’est livrée à la police de l’Etat du Texas, afin de disculper une innocente. Elle est accusée de meurtre, de terrorisme. Elle comparaît devant une cour criminelle à Houston. Ses avocats plaident sa manipulation par le véritable meurtrier. L’Etat du Texas et son gouverneur Rick Perry ont transformé l’affaire en une croisade pour la peine de mort. La plongée dans l’univers de la justice américaine est l’un des intérêts de l’album ; on y suit notamment les douze jurés, confinés durant tout le temps du procès dans un hôtel, à l’abri de toutes les pressions. Entre l’accusation et la défense, l’affrontement va se déplacer au sein même de ce troisième groupe, lui-même manipulable et manipulée. La mise en image de cette intrigue renforce son caractère sombre et haletant, au milieu des versions de vérité qui s’affrontent et se déchirent.

Vincent Duclert

 
27 mai 2011

Imaginaire des Balkans

Blog todo 
La nouvelle de l’arrestation du général serbe Ratko Mladic, hier dans le village de Lazarevo, a réveillé les représentations tragiques que l’Europe forme des Balkans depuis la fin du XIXe siècle. En réalité, cette histoire est bien plus ancienne. Le « Balkanisme » est le sujet de l’ouvrage de Maria Todorova, professeur à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign ; Imagining the Balkans, publié en 2009 par Oxford University Press, est aujourd’hui traduit en France par les soins des éditions de l’EHESS sous le titre, Imaginaire des Balkans (351 p., 32 €). Ce livre, explique l’universitaire d’origine bulgare, a été longuement porté ; son propre destin commence en réalité dès 1997 avec sa première publication en 1997 (en anglais). La traduction serbe a été réalisée en plein bombardement de l’OTAN sur Belgrade et assurée par des intellectuels opposants à Milosevic. Sont venues ensuite des versions bulgare, grecque, roumaine, slovène, macédonienne, turque, albanaise. Bref, l’histoire du livre restitue la complexité et la richesse des Balkans dont il a fait son sujet. Mais il fait plus. Sa trajectoire dans toute l’Europe, avec ses traductions hongroise (par extraits), polonaise, allemande, italienne, anglaise, exprime le dynamisme et la profondeur d’un imaginaire tendu à l'échelle un continent, constructeur de mythes comme celui de l'Europe centrale. L’édition française, due à la volonté du directeur scientifique des éditions de l’EHESS, Christophe Prochasson, et au talent de la traductrice Rachel Bouyssou, complète très utilement ce parcours singulier d’une étude qui aide à dépasser les nationalismes locaux, à relancer la réflexion sur « l'orientalisme » initiée par Edward Saïd, ou à interroger les héritages ottomans de l'Europe.

Vincent Duclert

 

25 mai 2011

Utopie universitaire

Blog bulle 
J'avais mis de côté le petit livre de Libero Zuppiroli, La bulle universitaire. Faut-il poursuivre le rêve américain ? (Editions d'en bas, 2010, 156 p., 9€) lorsqu'il était arrivé il y a déjà plus d'un an. Pour le lire plus tard. Je l'ai ressorti la semaine dernière. Je confesse aujourd'hui que j'ai eu bien tort de ne pas lui faire immédiatement la place qu'il mérite.

En très courts chapitres, d'une plume acérée mais jamais acerbe, Libero Zuppiroli, professeur à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, règle son compte au « modèle américain » que celle-ci tente, selon lui, d'imiter depuis une dizaine d'années sous la pression du pouvoir politique. Les professeurs n'y sont plus que des managers, dont les activités principales sont devenues le networking, le fundraising et le marketing (il refuse de traduire ces termes typiquement américains). Les sujets de recherche sont choisis pour satisfaire la mode. Et le contrôle bureaucratique l'a emporté sur l'indépendance et la liberté de l'université traditionnelle.

Pour Libero Zuppiroli, une bonne partie du mal vient d'une recherche d'uniformisation des diplômes, en particulier au niveau européen, démarche connue en France sous le joli nom de « masterisation ». Présentée comme un moyen de faciliter la circulation des étudiants sur le continent, voire au-delà, puisque de nombreux pays du monde proposent également des études universitaires organisées en cycles de 3, 5 et 8 ans, la masterisation ne servirait en fait qu'à produire une main d'œuvre dévalorisée et interchangeable. En cause également, la demande par les politiques d'une recherche utile, dont les applications ne se font pas trop attendre et sont, si possible, programmables.

Dans une dernière partie, il présente son utopie universitaire. Liberté de la recherche, liberté d'enseigner et d'apprendre, liberté d'imaginer : la liberté est son maître mot. Il idéalise sans doute les modèles du passé, tel celui de l'université médiévale de Bologne. Mais peut-on lui reprocher de défendre une « université où l'on pense » face à une université où l'on a surtout la préoccupation de produire, des découvertes ou des diplômés? Une question à discuter aussi en France à l'heure où les partis élaborent leurs programmes pour les élections nationales de 2012.

Luc Allemand

 

24 mai 2011

Les "Gueules Noires" de Lens

Blog marion 
Le doublé du LOSC samedi, l'équipe lilloise remportant à la fois la Coupe et le Championnat de France de football, a suscité une véritable communion des habitants de la capitale du Nord avec leur club. Le football n’est pas seulement un sport, une équipe, un stade, un public. Car il fabrique aussi du lien social au point que l’étude d’un club mène à une plongée sans équivalent dans la société française. Enquête historienne et sociologie de l’action ont fondé le travail de Marion Fontaine sur le Racing Club de Lens qui, rappelons-le, a anticipé la ferveur populaire de la coupe du monde 1998 en remportant, le 9 mai précédent, le championnat de France, la première et unique fois de son histoire. « Un déluge de commentaires avait alors salué la victoire du "Club des Gueules Noires" par le truchement de laquelle s’imposait le triomphe des valeurs de la ténacité et du travail sur un continent où l’argent semblait ruiner l’âme du sport », explique Christophe Prochasson qui a signé la préface de la publication de cette thèse aux éditions des Indes savantes, dans la collection « Rivages des Xantons » (Le Racing Club de Lens et les « Gueules Noires ». Essai d'histoire sociale, 2010, 292 p., 29 €).

Blog sang et or 
La chercheuse de l’université d’Avignon ouvre elle aussi son travail par l’évocation raisonnée de cette victoire sportive aux sens multiples : « Elle sembla faire revivre aussi, pour un instant, l’image des "Gueules Noires", de ces mineurs auparavant consacrés en héros des luttes ouvrières, désormais convoqués comme emblèmes par les supporters lensois ». Cette « incroyable effervescence sportive » réveillait selon elle « le souvenir d’un mort, de ce monde disparu et figé, présenté comme un monolithe tout entier identifié par le travail du charbon. C’est avec cette étrangeté que tout a commencé, avec le regard étonné porté sur ce kaléidoscope où se succédaient la vision des supporters en sang et or (les couleurs traditionnelles du RCL) et la remémoration fugace des mineurs noircis à la sortie de fosses. C’est de cette superposition qu’est né le problème fondateur de ce livre, à la frontière du jeu et des Mines, à la frontière de l’histoire du sport et de celle du monde ouvrier ». La compréhension des processus de transmission des identités sociales est au cœur de cette recherche passionnante, remarquablement exposée et rédigée.  Ou comment le sang versé se change en or partagé.

Vincent Duclert

Alors que Lille célébrait sa double victoire, le RCL était rétrogradé, pour la deuxième fois de son histoire, en Ligue 2. Mais nul doute que cette épreuve devrait souder davantage encore le club à ses supporters « en sang et or ».

 

20 mai 2011

Conscience es-tu là ?

Blog veille 
Disons-le tout de suite, le principal intérêt de Veille de Robert J. Sawyer (Robert Laffont, 2010, 395 p., 21€) n'est pas dans l'intrigue. Elle ressemble trop au scénario d'un film familial d'espionnage mâtiné de science-fiction (et étant donné qu'il s'agit du deuxième tome d'une trilogie, on pourrait attendre une adaptation hollywoodienne). Mais l'auteur est passionné de science. Et s'il la pousse un peu vers la science-fiction, il reste fidèle à la science actuelle. Et il possède un réel talent pour la mettre en scène et l'exposer de façon attractive.

Soit, donc, une adolescente de 16 ans. Elle est aveugle, mais pour une raison si particulière qu'un spécialiste japonais de la vision lui a rendu la vue d'un œil grâce à un implant électronique (dans le premier tome de la trilogie). Et elle est surdouée en mathématiques. C'est normal, c'est l'héroïne, et son père est un physicien théoricien de génie, collègue de Stephen Hawking ; et sa mère est spécialiste de théorie des jeux. Son œil est relié à Internet, dont elle voit la structure interne (comme Néo dans Matrix en quelque sorte). Réciproquement, elle permet au Web de voir, ce qui a permis l'émergence, au sein de celui-ci d'une conscience. Vous suivez ? Bien entendu, cette apparition d'une intelligence non contrôlée (et rapidement incontrôlable) n'est pas du goût des services secrets, du moins ceux des Etats-Unis (qui dirigent le monde), qui essaient de l'éradiquer. Mais si les gentils de cette histoire sont très gentils, les méchants ne sont pas vraiment très méchants, et éventuellement, sont ridicules.

Passons donc. Tout cela ne mériterait pas plus d'attention si Robert J. Sawyer ne construisait son histoire de manière à amener des exposés de vulgarisation scientifique, toujours à propos pour faire avancer l'histoire. Il extrapole évidemment un peu pour les besoins de la fiction, mais jamais trop, et les réflexions que partagent les personnages sur la théorie de l'évolution, le dilemme du prisonnier (et plus généralement la théorie des jeux) ou encore la nature de la conscience, sont en ligne avec les débats scientifiques d'aujourd'hui. C'est dans cette science actuelle que les héros trouvent des solutions aux problèmes qu'ils rencontrent. Et on aurait mauvaise grâce à reprocher à Sawyer sa philosophie humaniste : après tout, il a bien le droit de penser que l'homme est foncièrement bon (comme le bonobo aussi), même si une observation attentive du monde pourrait parfois nous en faire douter.

Luc Allemand

 

19 mai 2011

Le premier dictionnaire encyclopédique de muséologie

Blog dic 
Alors que le Sénat vient de rendre public le rapport d’information de la sénatrice UMP de Paris Catherine Dumas sur « le projet de création d’un musée de l’histoire de France » *, - rapport particulièrement critique sur le processus suivi par ses responsables -, paraît aux éditions Armand Colin le premier Dictionnaire encyclopédique de muséologie (776 p., 59 €). Sous la direction d’André Desvallées et de François Mairesse, cette œuvre monumentale se place résolument dans les pas de l’Encyclopédie et des « graines de science » auxquels aspiraient Diderot et d’Alembert. L’introduction de l’ouvrage, en forme de « Discours liminaire », distingue précisément l’encyclopédie du dictionnaire et opte pour une synthèse des deux : sont alors proposés, en un volume, ces « germes de science » sous la forme de 21 articles « présentant, selon un ordre alphabétique, les principaux concepts et notions utilisés en muséologie » (on va d’ « architecture » à « société » en passant par « muséal », « musée », « muséographie », « muséologie », « objet », « patrimoine », « public », ou « recherche »), et une « partie dictionnaire, définissant près de 500 termes liés à la muséologie et renvoyant à leur utilisation dans la première partie ».

Ce projet adopte une conception résolument internationale même si l’essentiel des auteurs appartient à la sphère francophone. Il émane du travail mené au sein du Comité international pour la muséologie du Conseil international des musées, comité institué en 1977 et qui lança, en 1993, le projet d’ « établir un recueil des concepts de base de la muséologie », point de départ de l’ouvrage publié aujourd’hui. « Au fil des années, expliquent ses directeurs, un consensus s’est dégagé pour tenter de présenter, en une vingtaine de termes, un panorama du paysage si varié qu’offre le champ muséal ». La muséologie est une discipline jeune, qui ne disposait pas jusqu’à lors d’un ouvrage de référence. Cette lacune est comblée par le Dictionnaire encyclopédique de muséologie qui inclut un séduisant et pédagogique cahier iconographique hors texte. On aurait souhaité cependant qu’un article « Politique » vienne s’intercaler, dans la partie encyclopédique entre « Patrimoine » et « Préservation » tant les musées – et pas seulement les musées d’histoire – peuvent être soumis aux pressions des Etats ou des pouvoirs politiques ; on le constate dans le cas français de la « Maison de l’histoire de France ». Mais peut-être que l’acte professionnel et scientifique que représente le Dictionnaire encyclopédique de muséologie constitue un moyen efficace autant que détourné pour déjouer ces contraintes.

Vincent Duclert

* « La maison de l’Histoire de France : Rendez-vous avec l’histoire » http://www.senat.fr/rap/r10-507/r10-5071.pdf

17 mai 2011

De la stratégie judiciaire américaine

La stratégie judiciaire pénale américaine réside, dès lors qu’il y a de la part de l’accusé la décision de plaider non-coupable, dans un affrontement de versions contradictoires opposant l’accusation et la défense. Cette bataille dont dépend souvent la réputation des procureurs et des avocats appelle l’usage de moyens considérables, surtout si l’accusé dispose des ressources financières pour rémunérer des équipes d’avocats qui entraînent par effet la mobilisation des services du procureur. La stratégie vise à affaiblir l'image de cohérence de la version de la partie adverse, en suscitant le doute sur le sérieux du dossier. Ceci passe souvent par la mise en cause d’une assertion particulière et par la publicité faite à cette incohérence : le rôle des médias devient alors capital dans l'impact psychologique qu’ils peuvent exercer sur les entendements individuels et collectifs. La démonstration de la vérité apparaît alors moins importante que le jeu de rapports de force et la production d'effets de vérité. On l’a vu dans l’affaire « Peuple de l’Etat de New York contre Dominique Strauss-Kahn », lorsque les avocats de ce dernier ont appuyé sur le point faible de l’accusation, la thèse relative à une fuite de leur client laquelle témoignerait d’une conscience de culpabilité. Cependant, la vérité des faits, dès lors qu’elle repose sur des preuves vérifiables, vient bouleverser ce duel de la défense et de l’accusation.

Blog blonde 
La stratégie judiciaire pénale américaine est au cœur de la littérature policière de l’écrivain Michael Connelly dont les romans sont traduits aux éditions du Seuil, du moins jusqu’à celui qui paraît aujourd’hui, Les neuf dragons. Le héros central, le détective du Los Angeles Police Department Harry Bosch, est fréquemment confronté à la justice criminelle, au point même de s’y retrouver comme accusé avec La Blonde en béton (paru en traduction française en 1996). Connelly, qui fut longtemps chroniqueur judiciaire au L.A. Times a gardé de ces années de journalisme dans les prétoires une passion pour la stratégie judiciaire, notamment celle des avocats. Avec Bosch, il relève ainsi, au sujet du défenseur qu’il donne à son héros, que « son discours était plus une réponse à celui de sa consœur qu’un exposé courageux démontrant l’innocence de Bosch et l’injustice des accusations portées contre lui. [...] Certes, cela faisait gagner quelques points à la défense, mais c’était également la confirmation, de manière indirecte, qu’il existait deux conclusions en faveur de la partie plaignante. Belk n’en avait pas conscience, contrairement à Bosch ».

Blog lincoln 
En 2005, dans La défense Lincoln (Seuil, 2006), Connelly s'offrait un nouveau héros en la personne d’un avocat, Mickey Haller, lequel découvrait finalement que la meilleure défense restait toujours la recherche de la vérité. Une véritable rédemption pour ce juriste en quête de retour. L’auteur retravaillait ici la matière pénale qu’il avait suivi des années durant les tribunaux du comté.

Blog verdict 
En 2008, Michael Connelly faisait se rencontrer le flic et l’avocat dans Le Verdict du plomb. Bosch était certes en arrière-plan, mais bien présent tout de même. Le premier plan était occupé par Haller, aux prises avec un obscur procès où la vérité disparaissait sous les mensonges et les manipulations. Mais la clef résidait dans la scène de crime qualifiée de « carte » qu’il faut savoir déchiffrer. « Sachez la lire et parfois vous y trouverez votre chemin, fait-il dire à Mickey Haller. La géométrie du meurtre. Dès que je la comprendrais, je serais prêt à plaider. »

Blog neuf 
Les neuf dragons
, le dernier des titres traduits par le remarquable Robert Pépin (408 p., 21,50 €), inverse les positions. Bosch est au centre du roman, et bien plus encore puisqu’il doit arracher sa fille des griffes d’une triade de Hong Kong. Il y parvient de justesse, s’embarquant in extremis dans un avion pour Los Angeles, laissant derrière lui quelques cadavres. Ces derniers le rattrapent : il est convoqué par ses chefs pour répondre aux accusations de responsables de la police chinoise. Mais il ne vient pas seul. Accompagné de Mickey Haller qui est devenu son avocat, il repousse la mise en accusation et s’offre même, par la voix de son défenseur, une contre-offensive inattendue. Le pouvoir de la presse est la carte maîtresse abattue par les deux hommes, Haller menaçant de révéler à la presse comment la police de Hong Kong avait refusé d’enquêter sur la disparition de cette jeune Américaine menacée d’être vendue pour ses organes. Ecartant la mise en accusation et l’extradition, le détective peut alors retourner à son enquête. Car l’histoire n’est pas terminée…

Vincent Duclert

 
13 mai 2011

Mathématiques et mathématiciens

Blog villani 
Paru en 2007, Les mathématiciens, de l’Antiquité au XXIe siècle, est réédité avec une préface de Cédric Villani, médaille Field en 2010. Cet ouvrage collectif composé d’articles publié dans la revue Pour la science, présente une vingtaine de mathématiciens dont plusieurs Français, Laurent Schwartz se réservant l’évocation de Jacques Hadamard, parent par alliance de sa grand-mère maternelle. Cédric Villani évoque pour sa part l’étonnant mathématicien russe Grigori Perelman qui est parvenu à démontrer en 2002 le programme de Thurston, donc la conjecture de Poincaré. Il l’a fait depuis Saint-Pétersbourg (Institut Steklov) au moyen d’un manuscrit rendu public sur internet. Un immense débat secoue alors la communauté des mathématiciens qui reconnaît finalement la validité de la découverte de Perelman. Mais celui-ci refuse tous les prix, les plus richement dotés (Médaille Field, Prix du Millénaire), et démissionne même de l’Institut Steklov. « Ce qui est extraordinaire chez G. Perelman, explique Villani, ce n’est pas le refus de l’argent ou des honneurs – on connaît bien d’autres exemples -, mais bien la force de caractère et la pénétration extraordinaire qu’il a fallu pour vaincre, en sept années de travail solitaire et obstiné, l’un des plus célèbres énigmes mathématiques. » (Belin, 280 p., 24 €).

Blog beaufret 
Très différent sur la forme comme sur le fond est le recueil de trois conférences de Jean Beaufret prononcées à l’Ecole normale supérieure entre 1979 et 1981, dans le séminaire de philosophie et de mathématiques dirigé par Jean Dieudonné, Maurice Loi et René Thom. Edité par Philippe Fouillaron, Le fondement philosophique des mathématiques (Seuil, coll. « Traces écrites », 165 p., 20 €) s’attache particulièrement à montrer comme la relation des deux disciplines doit s’appréhender dans le rapport au passé, celui de l’Antiquité grecque pour commencer, « dans l’histoire de la question que posa à la philosophie, dès sa naissance, le voisinage préexistant des mathématiques » (fin de la première conférence).  

Vincent Duclert

 

12 mai 2011

La physique de l'impossible

Blog kaku 
Le physicien Michio Kaku, professeur au City College de New York, s’est appliqué en 2008, dans Physics of the Impossible que viennent de traduire les éditions du Seuil (par Céline Laroche, coll. « Science ouverte », 282 p. 22 €), à confronter son imagination nourrie dès son plus jeune âge « dans les univers de la magie, du fantastique et de la science-fiction » avec le développement de la physique. Ceci afin de réfléchir aux frontières de « l’impossible » qu'admet la la science et d'imaginer justement de les dépasser. Les pogrès fulgurants enregistrés depuis la fin du XXe siècle plaident selon l’auteur en faveur de cet agenda de l’utopie, cette « théorie de l’ultime » qui pourrait, au bout du compte, « répondre aux questions même les plus difficiles aujourd’hui qualifiées "impossibles", comme celles de savoir si les voyages dans le temps sont envisageables, de connaître le cœur des trous noirs ou de comprendre ce qui a eu lieu avant le big bang ».

Mais la question de « l’impossible » en physique n’est pas seulement celle des progrès techniques faisant advenir dans la société, au quotidien, des réalités que l’on n’imaginait pas possibles auparavant. Elle est aussi celle de la pensée physicienne elle-même, qui a besoin de ce pouvoir de l’imagination pour s’interroger sur ses buts et ses limites. Et pour comprendre aussi, ce que le livre n’aborde pas réellement, qu’à la fin des fins, la question sera bien celle des usages que l’homme et l’humanité feront ces conquêtes d’impossible, du sens qui en sera donné. Bien que publiée dans la collection « science ouverte », cette Physique de l’impossible demeure pour nous trop enfermée dans la discipline et ses certitudes techniques. La quête d’impossible ne fait pas seulement qu’ouvrir de nouveaux horizons scientifiques ; elle place aussi le savant dans une interrogation philosophique sur lui-même et ses imaginaires. On en trouve de nombreuses confirmations dans la science-fiction.

Vincent Duclert

 

10 mai 2011

Les traites et les esclavages

Blog cottias 
Le 10 mai n’est pas seulement la date anniversaire de l’arrivée au pouvoir de la gauche en France sous le régime de la Ve République. Depuis 2004 et le choix du Comité pour la mémoire de l’esclavage présidé par l’écrivaine Maryse Condé, il désigne aussi la journée commémorative du souvenir de l’esclavage, des traites et de l’abolition. Le 10 mai 2001 en effet était votée la loi dite Taubira faisant de la traite et des esclavages un crime contre l’humanité. Au-delà de la mémoire, il y a la recherche et celle que proposent notamment Myriam Cottias, Elisabeth Cunin et António de Almeida Mendes dans l’ouvrage collectif, Les traites et les esclavages (préface de Paul E. Lovejoy, postface d’Ibrahima Thioub, Karthala et Ciresc, coll. « Esclavages », 394 p., 32 €). Née de l’association entre un éditeur et le Centre international de recherches sur les esclavages du CNRS, la collection qui l’édite se veut une proclamation critique, méthodologique, civique, pour un domaine d’étude souvent saturé de mémoires et de conflits mémoriels. En combinant « des approches historiques et archéologiques avec des analyses plus contemporaines (anthropologiques, sociologiques, géographiques, littéraires) », en s’intéressant « à l’espace transatlantique, mais aussi à l’Afrique, l’océan indien et l’Europe », ce livre ambitieux « ne cherche donc pas à donner une vision homogène et consensuelle de cette problématique, ni même à produire une synthèse sur la question des esclavages et des traites ; ce livre est avant tout polyphonique et souhaite rendre compte de la diversité – en termes de thématique, d’aire géographique, d’époque étudiée, d’angle d’analyse – des travaux contemporains en France et dans le monde francophone ». Un ouvrage important, nécessaire, base de nouvelles recherches et de la diffusion des savoirs dans les sociétés francophones contemporaines.

Vincent Duclert