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septembre 2010

30 septembre 2010

Série BD - Barboni, Hautière

Blog elisabeth 
La BD est un rendez-vous incontournable de ce Blog des Livres. L’album imaginé par Thilde Barboni et dessiné par Séraphine, traite de la décolonisation du Congo vue de Bruxelles. Au début des années 1960, dans une atmosphère mêlée de modernité et de fin d’empire. Rose d’Elisabethville (Dupuis, coll. « Aire Libre », 64 p., 14,50 €) conjugue habilement l’histoire d’un couple, avec Rose, l’infirmière de l’hôpital de Bruxelles, qui a grandi en Afrique, et Eric, le journaliste progressiste qui se passionne pour Patrice Lumumba et l’espoir qu’il fait naître dans le continent, une intrigue policière sur fond de diamants cachés, et une fresque historique pour dépeindre l’entre-deux de la Belgique et du Congo. Le dessin est remarquable, une ligne claire rehaussée des teintes de l’automne belge et des images d’enfance.

Blog spoutnik 
Pour demeurer dans l’atmosphère trouble de l’après-guerre, de ses crises et de ses affrontements entre grandes puissances – anciennes ou nouvelles, La guerre secrète de l’espace. 1957 * Spoutnik (Delcourt, coll. « Machination », 64 p., 14,95 €) est également une réussite. Régis Hautière en signe le scénario et Damien Cuvillier lui donne forme, avec un dessin qui restitue les pénombres de la guerre froide. A suivre, puisqu’il s’agit seulement du tome 1 de la série.

Vincent Duclert

28 septembre 2010

Le monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ?

Blog simone 
Le distingué linguiste italien Raffaele Simone publie aux éditions Gallimard la traduction française (par Katia Bienvenu assistée de Gérard Larché) de son essai intitulé Le monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ? (Gallimard, coll. « Le Débat », 178 p., 17, 50 €). La préoccupation première de l’auteur est de constater et comprendre pourquoi « depuis quelque temps en Occident, la gauche sous toutes ses formes recule, et [pourquoi] ses principes sont partout attaqués ou en déclin ». Le symptôme que décrit cette régression a été en son temps analysé par Alexis de Tocqueville dans des pages saisissantes d’intelligence de De la démocratie en Amérique. Nous en citons ci-dessous un extrait de ce que Simone appelle « La prophétie de Tocqueville ». Ancré dans la pensée libérale du XIXe siècle, son livre n’en est pas pour autant classique. Il est même résolument baroque, décousu et flamboyant. Il souligne tout ce que le « monstre doux » imaginé par Tocqueville doit à la « nouvelle droite ». Il oblige ainsi à réfléchir différemment de la politique et de la démocratie.

Vincent Duclert

 

Alexis de Tocqueville : « un pouvoir immense et tutélaire »

 

J’avais remarqué durant mon séjour aux Etats-Unis qu’un état social démocratique semblable à celui des Américains pourrait offrir des facilités singulières à l’établissement du despotisme, et j’avais vu à mon retour en Europe combien la plupart de nos princes s’étaient déjà servis des idées, des sentiments et des besoins que ce même état social faisait naître, pour étendre le cercle de leur pouvoir.

Cela me conduisit à croire que les nations chrétiennes finiraient peut-être par subir quelque oppression pareille à celle qui pesa jadis sur plusieurs des peuples de l’antiquité.

Un examen plus détaillé du sujet et cinq ans de méditations nouvelles n’ont point diminué mes craintes, mais ils en ont changé l’objet.

On n’a jamais vu dans les siècles passés de souverain si absolu et si puissant qui ait entrepris d’administrer par lui-même, et sans le secours de pouvoirs secondaires, toutes les parties d’un grand empire ; il n’y en a point qui ait tenté d’assujettir indistinctement tous ses sujets aux détails d’une règle uniforme, ni qui soit descendu à côté de chacun d’eux pour le régenter et le conduire. L’idée d’une pareille entreprise ne s’était jamais présentée à l’esprit humain, et, s’il était arrivé à un homme de la concevoir, l’insuffisance des lumières, l’imperfection des procédés administratifs, et surtout les obstacles naturels que suscitait l’inégalité des conditions l’auraient bientôt arrêté dans l’exécution d’un si vaste dessein.

On voit qu’au temps de la plus grande puissance des Césars, les différents peuples qui habitaient le monde romain avaient encore conservé des coutumes et des mœurs diverses : quoique soumises au même monarque, la plupart des provinces étaient administrées à part ; elles étaient remplies de municipalités puissantes et actives, et, quoique tout le gouvernement de l’empire fût concentré dans les seules mains de l’empereur, et qu’il restât toujours, au besoin, l’arbitre de toutes choses, les détails de la vie sociale et de l’existence individuelle échappaient d’ordinaire à son contrôle.

Les empereurs possédaient, il est vrai, un pouvoir immense et sans contrepoids, qui leur permettait de se livrer librement à la bizarrerie de leurs penchants et d’employer à les satisfaire la force entière de l’Etat ; il leur est arrivé souvent d’abuser de ce pouvoir pour enlever arbitrairement à un citoyen ses biens ou sa vie : leur tyrannie pesait prodigieusement sur quelques-uns ; mais elle ne s’étendait pas sur un grand nombre ; elle s’attachait à quelques grands objets principaux, et négligeait le reste ; elle était violente et restreinte.

Il semble que, si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos jours, il aurait d’autres caractères : il serait plus étendu et plus doux, et il dégraderait les hommes sans les tourmenter.

Je ne doute pas que, dans les siècles de lumières et d’égalité comme les nôtres, les souverains ne parvinssent plus aisément à réunir tous les pouvoirs publics dans leurs seules mains, et à pénétrer plus habituellement et plus profondément dans le cercle des intérêts privés, que n’a jamais pu le faire aucun de ceux de l’antiquité. Mais cette même égalité, qui facilite le despotisme, le tempère ; nous avons vu comment, à mesure que les hommes sont plus semblables et plus égaux, les mœurs publiques deviennent plus humaines et plus douces ; quand aucun citoyen n’a un grand pouvoir ni de grandes richesses, la tyrannie manque, en quelque sorte, d’occasion et de théâtre. Toutes les fortunes étant médiocres, les passions sont naturellement contenues, l’imagination bornée, les plaisirs simples. Cette modération universelle modère le souverain lui-même et arrête dans de certaines limites l’élan désordonné de ses désirs.

Indépendamment de ces raisons puisées dans la nature même de l’état social, je pourrais en ajouter beaucoup d’autres que je prendrais en dehors de mon sujet ; mais je veux me tenir dans les bornes que je me suis posées.

Les gouvernements démocratiques pourront devenir violents et cruels dans certains moments de grande effervescence et de grands périls ; mais ces crises seront rares et passagères.

Lorsque je songe aux petites passions des hommes de nos jours, à la mollesse de leurs mœurs, à l’étendue de leurs lumières, à la pureté de leur religion, à la douceur de leur morale, à leurs habitudes laborieuses et rangées, à la retenue qu’ils conservent presque tous dans le vice comme dans la vertu, je ne crains pas qu’ils rencontrent dans leurs chefs des tyrans, mais plutôt des tuteurs.

Je pense donc que l’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédée dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l’image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer.

Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.

Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, pré- voyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. L’égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait.

Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. J’ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple.

Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs. Chaque individu souffre qu’on l’attache, parce qu’il voit que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même, qui tient le bout de la chaîne.

Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent.

 

« Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre », in De la démocratie en Amérique [1840], Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », tome II, 1961, pp. 431-437.

 

27 septembre 2010

Le malade est une personne

Blog tabet 
Deux ouvrages récents, différents l’un de l’autre, attestent du poids de la maladie du cancer sur les malades qui basculent, comme personne, vie, corps, dans un univers autre, très éloigné de celui, familier, qu’ils doivent quitter et retrouver sans cesse en tentant de guérir. Les patientes, de Sylvia Tabet, raconte le temps de l’hôpital, l’expérience des soins, la rencontre des médecins, la confrontation avec la vie ordinaire, les rêves, l’instant. C’est un livre remarquable, où l’écriture est salvatrice tant l’auteur prouve que le langage défie la mort. En disant l’épreuve de la maladie, il fige cette dernière et redonne de la beauté à vie. Sylvia Tabet est peintre, son livre est beau comme une toile impressionniste du siècle dernier. Les Empêcheurs de penser en rond, associés à La Découverte, prouvent ici, une nouvelle fois, leur vocation à publier des ouvrages essentiels. Dans celui-ci se lient l’intimité profonde et le genre humain (221 p., 13,50 €).

Blog spire 
Antoine Spire et Mano Siri, le premier journaliste et ancien directeur du département de la recherche de l’Institut national du cancer, la seconde philosophe, enseignante à Paris VII et scénariste (dont Le Blues de l’Orient), signent pour leur part une étude sur la prise en charge des malades et la responsabilité des médecins dans un processus nécessaire de pensée de l’expérience humaine de la maladie. La dimension anthropologique de la médecine est ici affirmée – ou réaffirmée (Cancer : le malade est une personne, Odile Jacob, 263 p., 24,90 €).

Vincent Duclert

 

24 septembre 2010

Où suis-je ?

Blog cassou 
Dans le vaste et récurrent débat sur les relations de la vérité et de l’imaginaire, débat encore relancé par les réflexions sur littérature et histoire, l’ouvrage du philosophe Pierre Cassou-Noguès apporte une vision nouvelle en démontrant la nécessité, pour la philosophie, de construire des figures imaginaires, des lieux incertains, afin de mieux penser et de problématiser ce qui échappe. Ce chercheur au CNRS, déjà auteur chez le même éditeur des Démons de Gödel (2007), contribue ainsi à la réflexion sur la nature et le statut du sujet dans la philosophie classique comme dans la littérature foisonnante du second XIXe siècle (Mon Zombie et moi. La philosophie comme fiction, coll. « L’ordre philosophique », 346 p., 22 €).

Vincent Duclert

22 septembre 2010

La chasse aux mathématiques

Blog ste 
Les mathématiques s’écrivent, c’est bien connu, et c’est même le conseil répété des professeurs à leurs élèves. Les 173 exercices loufoques autant que rationnellement déconcertants de La chasse aux mathématiques (Flammarion, 398 p., 20 €) le démontrent avec humour, comme la brève et délirante « histoire des mathématiques futures » : « 2222. La consistance des mathématiques est établie : c’est celle d’un fromage à pate molle », et les 174 « antisèches futées » qui achèvent ce volume haut en couleurs d’esprit. La traduction (due à Olivier Courcelle) restitue la qualité des titres anglais et l’humour sans limite de l’auteur, Ian Steward, directeur du Mathematics Awareness au Royaume-Uni, dont le précédent ouvrage en traduction française était déjà paru aux éditions Flammarion, Mon cabinet des curiosités mathématiques.

Vincent Duclert

20 septembre 2010

Nos terres d’enfance

Blog anahide Ter  
Qu’est-ce qu’une enfance en exil, dans le sentiment du souvenir d’un pays perdu, dans la conscience d’une errance où doit pourtant s’exprimer l’identité d’un peuple – arménien – et des personnes ? L’écriture littéraire tient lieu de patrie commune, elle ne peut être retirée, elle transmet les certitudes les plus profondes. L’anthologie conçue par Anahide Ter Minassian et Houri Varjabédian pour les éditions Parenthèses (installées à Marseille) prouve l’importance du texte et du récit pour la construction des appartenances. C’est une belle démonstration en même temps qu’une découverte de dizaine d’écrivains arméniens revisitant leur enfance heurtée et toujours renaissante (Nos terres d’enfance. L’Arménie des souvenirs, coll. « Diasporales », 349 p., 25 €).

Vincent Duclert

17 septembre 2010

Les liaisons numériques

Blog casa 
Détournant la célèbre sentence attribuée, tel un mythe tenace, à André Malraux, on pourrait écrire que le XXIe siècle sera numérique ou ne sera pas *. La révolution numérique est en tout cas bien engagée et avec elle l’émergence de sociabilités inédites dont l’une des plus frappantes est l’échange amoureux via Internet. Antonio A. Casilli, chercheur au centre Edgar Morin à Paris, a étudié ces nouvelles relations sociales, constitutives d’une véritable société, et il l’a fait à partir d’une importante documentation dont des entretiens avec des acteurs ou des consommateurs du monde virtuel (Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 335 p., 20 €). Ce sociologue observe particulièrement les évolutions du Web à partir de son blog de recherche Bodyspacesociety.eu. A noter aussi que son ouvrage est en version e-book disponible via la plateforme EDEN.

Vincent Duclert

* sur André Malraux, signalons la parution, chez Armand Colin, dans une nouvelle collection : « Nouvelles biographies historiques », d’une biographie politique et intellectuelle due à Perrine Simon-Nahum (André Malraux. L’engagement politique au XXe siècle, 239 p., 18 €).

 Blog mal

 

15 septembre 2010

Changer la vie

Blog luc
Dans les années qui ont précédé la mise en service du Grand collisionneur de hadrons du CERN, plusieurs citoyens américains ont tenté de faire interdire celle-ci par la voie judiciaire. Motif : les collisions très énergétiques entre protons et antiprotons qui s'y produiraient risquaient de faire apparaître un micro trou noir, qui grossirait alors de façon incontrôlable en absorbant tout son environnement, planète Terre et système solaire compris. Ce n'était pas de la blague, et des physiciens réputés ont dû réaliser des calculs afin de démontrer l'inanité de cette hypothèse. L'énergie des collisions, très grande à l'échelle des particules, n'est tout de même pas si importante à la nôtre, et surtout elle est rapidement dissipée par la production de nouvelles particules et le mouvement de celles-ci.

De la même façon, Robert J. Sawyer avait imaginé en 1999 qu'une expérience avec le Grand collisionneur pourrait avoir des répercussions globales. Celle-ci déclenche en effet pendant quelques minutes un « saut en avant » d'une trentaine d'années pour l'humanité entière : chacun vit par anticipation ce qui lui arrivera un jour précis de 2030. A cela deux conséquences : de nombreuses catastrophes dans le temps présent pendant ces quelques minutes d'absence (accidents de la route, chutes, …) ; et la connaissance de l'avenir. L'histoire suit les physiciens responsables de l'expérience dans leur enquête pour comprendre ce qui s'est passé, et comment un tel phénomène a pu se produire. C'est aussi l'occasion de débats sur le libre arbitre : si on peut voir l'avenir, peut-on le changer? La question préoccupe bien entendu ceux qui n'ont pas eu de vision (et qui en concluent qu'ils seront donc morts 30 ans plus tard). Mais aussi ceux qui ont une une vision ne correspondant pas à leurs espérances (au lit avec une autre femme que celle qu'ils comptent épouser par exemple) : doivent-ils y renoncer? Ou au contraire tout faire pour modifier le cours de l'histoire?

Le récit est bien mené, avec assez de personnages et de phénomènes secondaires pour lui donner de l'épaisseur. Le milieu des physiciens, au CERN et dans les autres grands laboratoires que l'on visite, est aussi crédible, même si la physique elle-même n'a pas grand chose à voir avec la réalité. Les « expériences » du CERN ne ressemblent en effet pas à des « événements » expérimentaux, mais plutôt à de longues périodes durant lesquelles les détecteurs enregistrent des données dans des conditions définies par les physiciens. Et il n'y a pas d'instant de la découverte, mais un long processus d'analyse de ces données, dont la valeur cumulative et statistique fait seule foi.

Luc Allemand

13 septembre 2010

Exobiologie

Blog wilson
Des scientifiques peuvent-ils réaliser des observations et fonder un programme de recherche grâce à un instrument dont ils ne comprennent pas le fonctionnement? C'est la base hautement improbable choisie par Robert Charles Wilson pour son roman Blind Lake (Folio SF, 2009, 478 p., 7,70 €). Un ordinateur quantique utilisant des condensats de Bose-Einstein (un état de la matière extrêmement ordonné) a ainsi échappé à ses créateurs. Conçu pour décoder les signaux envoyés par un interféromètre spatial, il continue de fournir des images même après que ce dernier ait théoriquement cessé de fonctionner. Et quelles images! Celles de la surface d'une planète habitée par une espèce intelligente! Un nouveau type d'astronomes, les exobiologistes, spécialisés dans la compréhension de la vie extraterrestre en fait son miel.

Pour respecter le genre et dramatiser son récit, l'auteur invente un blocus improbable du centre de recherche construit autour de ce télescope étrange, introduit une équipe de journalistes, observateurs et perturbateurs. Les relations entre les différents acteurs de la recherche, administrateurs, chercheurs, techniciens, ingénieurs ou ouvriers sont toutefois rendues de façon crédible. Les alliances et les conflits, ici exacerbés par l'isolement et les enjeux des observations, ne sont pas très éloignés de ce que l'on pourrait retrouver autour des grands instruments actuels.

Le conflit épistémologique à propos de ce qu'il convient d'observer n'est pas non plus inintéressant. Pour comprendre la culture extraterrestre qui s'offre à nous, et étant donné que les moyens d'observation sont quand même limités, vaut-il mieux suivre dans la durée un seul individu, ou essayer de discerner des lois à partir d'observations plus statistiques? La science peut-elle se constituer à partir d'histoires particulières? Jusqu'à quel point? Une différence d'appréciation que l'on retrouve fréquemment entre sciences humaines et sciences dites « exactes ». Comme souvent dans ce type de littérature, la confrontation avec les extraterrestres nous en apprend moins sur ceux-ci que sur l'espèce humaine et sur notre société.

Luc Allemand

10 septembre 2010

Monsieur Descartes, ou la fable de la raison

Blog hildes
Difficile de renouveler la connaissance d’un philosophe aussi illustre et connu que René Descartes. C’est pourtant le pari engagé par Françoise Hildesheimer, historienne de l’époque moderne, auteure (entre autres) d’un Richelieu remarqué (Flammarion, 2004), et conservatrice aux Archives nationales, qui publie en cette rentrée un Monsieur Descartes (Flammarion, 511 p., 25 €). On n’insistera pas sur la remarquable érudition du livre, sur la langue élégante et précise, sur les qualités littéraires du récit. Elles disent déjà l’excellence de l’ouvrage. On s’intéressera ici à la réflexion sur le genre biographique : Françoise Hildesheimer montre comment Descartes porte son époque comme lui-même est porté par elle. On soulignera enfin la problématique stimulante, philosophique, de l’enquête. Pour comprendre le philosophe de la raison, il faut, dit-elle, emprunter les voies de ses doutes, de ses rêves, de ses songes, de ses incertitudes, autant d’expériences intimes qui concourent à modeler sa philosophie autant, peut-être, que l’esprit de système et l’invention des concepts. Un pari réussi pour ce Monsieur Descartes sous-titré (avec intelligence) « La fable de la raison ».

Vincent Duclert

Un cahier hors-texte présente un ensemble d'iconographies subtilement choisies et enrichies de légendes dues au talent de l'auteure.  

Le visuel du livre n'étant pas encore disponible, nous publions ci-dessous un visuel de l'auteure (D.R.)