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16 juin 2010 |

L'Etrange défaite

Blog bloch
Le 16 juin 1940, les troupes allemandes avançaient en France de 240 kilomètres (sans tirer un seul coup de canon, rappela Jean-Pierre Azéma dans De Munich à la Libération, tome 14 de la Nouvelle histoire de la France contemporaine, Le Seuil, coll. « Point Histoire », 1979, p. 59). Elles progressaient sur trois axes, vers l’Est pour prendre à revers la ligne Maginot (dont les canons ne pouvaient se retourner pour tirer sur un ennemi venant sur l’arrière ; 400 000 hommes y furent faits prisonniers parce que le haut commandement français avait tardé à donner l’ordre d’évacuation), vers le Sud-Est en direction des forces italiennes, et vers le Sud-Ouest pour s’emparer de la façade atlantique. Le 16 juin au soir, après deux réunions gouvernementales « d’une rare violence » (J.-P. Azéma), le président du Conseil Paul Reynaud cédait son poste au vice-président du Conseil, favorable à la solution de l’armistice, le maréchal Pétain. A la débâcle militaire s’ajoutait donc la débâcle politique.

L’effondrement des armées françaises découlait d’une mentalité de la guerre que l’historien Marc Bloch, dans un livre célèbre et qu’il faut lire d’autant qu’il bénéficie d’une nouvelle édition chez Gallimard (L’Histoire, la Guerre, la Résistance, édition établie par Annette Becker et Etienne Bloch, coll. « Quarto », 2006, 1096 p., 28 €), a clairement exposé : à savoir l’absence d’une liberté de jugement permettant d’anticiper voire seulement de comprendre la stratégie ennemie et de s’adapter en conséquence.

« Cet ennemi, véritable trouble-fête de la stratégie, il n’était personne qui n’eût cherché, d’avance, à deviner ce qu’il ferait, afin de préparer, en conséquence, la riposte. Par malheur, dans cette guerre, comme, d’ailleurs, en août 1914 ou au printemps de 1917, avant l’offensive Nivelle, le malappris ne fit jamais ce qu’on attendait de lui. Je ne crois pas que la faute en ait été, au propre, de ne pas assez prévoir. Les prévisions n’avaient été établies, au contraire, qu’avec trop de détails. Mais elles s’appliquaient, chaque mois, seulement à un petit nombre d’éventualités ». Ce qui manquait à l’armée française et à ses cadres, estima Marc Bloch alors qu’il écrivait dès l’été 1940, une fois la défaite consommée, dans sa maison de Fougères dans la Creuse avant de basculer dans la Résistance et de mourir au combat en 1944, ce fut un esprit libre de penser et d’agir, « parce que, pour guider l’action, trop tenue en lisière jusque-là par le dogme ou le verbe, il n’eût été de ressources que dans un esprit de réalisme, de décision et d’improvisation, auquel un enseignement trop formalisme n’avait pas dressé les cerveaux » (pp. 609-610). Et de plaider alors pour sa paroisse, l’histoire, « science du changement », qui aurait contribué à permettre de penser la guerre. Pour tout cela, L’Etrange défaite est un grand livre d’histoire critique de la guerre, à relire en ces temps de commémoration. La guerre est tragique, plus encore quand on n’a rien appris des précédentes et particulièrement des victoires.

Demain, entrée en lice, sur le Blog des Livres, du « colonel Motor », alias De Gaulle.

Vincent Duclert

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