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mai 2010

28 mai 2010

Penser les mouvements sociaux

Blog penser
Les syndicats français ont conduit hier une journée d’action contre la réforme des retraites. La mobilisation a été importante, obligeant le gouvernement à compter avec l’opposition sociale, mais elle n’a pas été suffisante pour le faire reculer. Comment penser les mouvements sociaux des sociétés contemporaines en ce début de XXIe siècle ? Tel est le propos d’un collectif édité dans la collection « Recherches » des éditions de la Découverte, et dirigé par un politiste, Eric Agrikoliansky et deux sociologues, Olivier Fillieule et Isabelle Sommier, sur un terrain -qui plus est- fortement inscrit dans la dimension historique depuis le XIXe siècle – et qu’interroge Michel Offerlé dans la dernière contribution de l’ouvrage, « Histoire de protestations ». La protestation est une respiration des sociétés contemporaines (Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, 336 p., 27 €).

Vincent Duclert

26 mai 2010

Les vrais aventuriers de l'Arche perdue

Blog quellec
On le sait peu, mais l'Eglise de Jésus Christ des Saints des derniers jours, dont les adeptes sont plus communément nommés « Mormons », a été fondée suite à une découverte archéologique. Plus précisément, dans les années 1820, le prophète Joseph Smith a trouvé dans l'Ontario, aux Etats-Unis, guidé par un mystérieux messager divin, des plaques d'or portant un texte gravé en hiéroglyphes. Smith traduisit le texte sans regarder les plaques : il plongeait la tête dans son chapeau, où il avait préalablement pris soin de déposer deux pierres magiques trouvées de la même manière, et dictait à son épouse ou à un ami. Personne ne vit jamais les fameuses plaques d'or, mystérieusement disparues. En revanche, l'examen du papyrus égyptien antique que Smith traduisit ensuite a levé toute ambigüité : Smith était bien un mystificateur.

Cette histoire est l'une de celles que raconte avec malice Jean-Loïc Le Quellec dans Des Martiens au Sahara, sous titré « chroniques d'archéologie romantique » (Actes-Sud/Errance, 2009, 25 €). Il y passe en revue des cas connus et moins connus de légendes archéologiques : la découverte du corps d'un géant aux Etats-Unis en 1869, la quête inaboutie de l'Arche de Noé, les multiples interprétations de la grotte de Lascaux (toutes aussi farfelues les unes que les autres), ou encore des gravures représentant des éléphants en Amérique. Les chapitres sont courts et jamais ennuyeux, on voyage dans le monde entier et les créationnistes en prennent pour leur grade. Soucieux de défendre leurs thèses d'une création sans évolution, ces derniers n'hésitent en effet jamais à reconnaître des traces humaines entremêlées à une piste fossile de dinosaures, ou la forme d'un diplodocus dans une gravure rupestre ancienne. On attend un second volume, tant est vaste l'imagination des hommes.

Luc Allemand

24 mai 2010

La face cachée de Yale University

Blog sienna
La couverture en jette, deux femmes plutôt bien mises de leur personne, l’une tenant une revolver, en pleine action policière, sur fond d’explosion de voiture et de scène de nuit dans une ville américaine. C’est le nouvel album de la série « Sienna », dont le scénario a été imaginé par Philippe Emmanuel Filmore, et qui a été dessiné par Chetville (couleurs, Tom Boa). Il est publié par Bamboo éditions, dans la collection de BN « Focus. Grand Angle » (48 p., 10, 40 €). Le sous-titre apparaît plus énigmatique, « Université de Yale… Licence en crimes… ». Cela commence à être intéressant, car au-delà des bonnes vieilles ficelles du thriller à l’américaine se pose la question des valeurs ultra-conservatrices à l’œuvre dans les respectables universités de la Nouvelle-Angleterre. L’aventure se déroule dans la plus prestigieuse d’entre elles (après Harvard), située comme sa rivale de l’ « Ivy League », au milieu d’un extraordinaire campus bâti pour l’essentiel au XVIIIe siècle, du temps de la colonisation anglaise dont l’université avait intégré les dogmes, puritanisme, aristocratie et ségrégation sociale. Yale a bien changé, mais une tradition conservatrice demeure, qu’exprime à sa manière la fameuse société secrète des étudiants, la Skull and Bones (littéralement « Le crâne et les os »), instituée en 1832 par William Hutington Russel de retour d’Allemagne où il avait été intronisé dans un « chapitre » des étudiants, dont l’emblème est la tête de mort aux os croisés et le surnom la « Botherhood of Death » ou « Fraternité de la mort ». En firent partie notamment les Bush présidents père et fils ainsi que John Kerry l’ancien candidat démocrate malheureux de 2004. Cette société secrète demeure active, les membres répugnent à en parler. Un code d’honneur persiste jusqu’à la mort et impose le silence sur cette fraternité qui profite largement aux intérêts conservateurs et de la « grande Amérique ». Dans ce monde à la fois ancien et tout à fait contemporain de Yale, Philippe Emmanuel Filmore a imaginé une intéressante série, très romancée, où deux jeunes femmes, diplômée de l’université (et dont l’une appartient à la CIA, ce qui aide parfois quand il s’agit de lutter contre les méchants), se combattent puis s’unissent pour démasquer un complot criminel. Le « dean » de Yale vient en effet d’être assassiné. Il projetait de moraliser les finances de l’institution qui permettait à de riches donateurs de bénéficier d’avantages fiscaux sans commune mesure avec les sommes effectivement versées. Mais il ambitionnait aussi d’ouvrir des établissements à l’étranger, d’abord en Amérique latine, afin de fonder une communauté de développement et d’échange, « des centaines de milliers de jeunes partageant une même éducation, s’enrichissant de leurs différences, parlant la même langue ». C’était intolérable pour le comité des mécènes de Yale qui décidèrent de son élimination physique et de son remplacement par un président qu’ils pouvaient manipuler à leur guise. La bonne vieille Skull and Bones reprit du service, au nom des valeurs éternelles de l’Amérique conservatrice, puritaine et clairement raciste. Mais c’était sans compter sur Sienna et Gabrielle, que tout devait pourtant opposer. Elles viendront à bout du complot, non sans péripéties. Quant à Yale dans la vraie vie, l’université finance un musée à Cuzco (Pérou) pour y abriter des œuvres de l’art inca du Machu Picchu.

Vincent Duclert




19 mai 2010

Matière sombre

Le fait que la majeure partie de la masse de l'Univers soit portée par une « matière noire » de nature encore inconnue est une découverte scientifique relativement récente. Certains le contestent d'ailleurs, préférant modifier à grande distance les lois de la gravitation. Pourtant, le concept fait son chemin dans la littérature. A preuve, ce passage du dernier roman de Patrick Modiano (L'horizon, Gallimard, 2010, 16,5€), qui n'est pas précisément consacré à la cosmologie (le personnage principal, Bosmans, se remémore son travail dans une librairie plutôt spécialisée dans l'occultisme, et il y est aussi question d'exercice illégal de la médecine).

« Ces fragments de souvenirs correspondaient aux années où votre vie est semée de carrefours, et tant d'allées s'ouvrent devant vous que vous avez l'embarras du choix. Les mots dont il remplissait son carnet évoquaient pour lui l'article concernant la « matière sombre » qu'il avait envoyé à une revue d'astronomie. Derrière les événements, précis et les visages familiers, il sentait bien tout ce qui était devenu une matière sombre : brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues, prénoms et numéros de téléphone figurant dans un ancien agenda et que vous avez oubliés, et celles et ceux que vous avez croisés sans même le savoir. Comme en astronomie, cette matière sombre était plus vaste que la partie visible de votre vie. Elle était infinie. Et lui, il répertoriait dans son carnet quelques faibles scintillements au fond de cette obscurité. Si faibles, ces scintillements, qu'il fermait les yeux et se concentrait, à la recherche d'un détail évocateur lui permettant de reconstituer l'ensemble, mais il n'y avait pas d'ensemble, rien que des fragments, des poussières d'étoiles. »

Les amateurs de Modiano ne seront pas étonnés de la métaphore. Ils regretteront peut-être juste la faiblesse de l'emprunt à Hubert Reeves, qui les a popularisées, des poussières d'étoiles.

Luc Allemand

18 mai 2010

La pensée de midi a dix ans

Blog pm 10
La Recherche
a quarante ans. La pensée de midi, revue littéraire et de débats d'idées, éditée par Actes Sud, fondée en 2000 par plusieurs intellectuels et écrivains de la Méditerranée, au nombre desquels Thierry Fabre, Jean-Claude Izzo, Bernard Millet..., fête sa dixième année d'existence ce mois-ci.

« 10 ans passés à  la recherche d'un monde de significations communes, d'une rive à  l'autre de la Méditerranée. 10 ans passés à  réunir, à  partir de Marseille et pour un large public, les textes, les créations et les prises de paroles des mondes méditerranéens contemporains... », écrivent ses créateurs. Cet anniversaire est l'occasion de la parution d’un numéro spécial, coordonné par Thierry Fabre, le rédacteur en chef, concepteur des Rencontres d’Averroès, et Renaud Ego, écrivain, proche collaborateur de la revue. Dans ce numéro, de nombreux écrivains ont composé des textes inédits. Pour chacun d'eux, il n'a été qu'une seule contrainte : laisser libre cours à son inspiration et faire le portrait d’un jour arbitrairement choisi... le 20 janvier 2010... Des recensions critiques d’ouvrages majeurs de la décennie sont également proposées, dont ceux de François Julien (La Philosophie inquiétée par la pensée chinoise), Pekka Himanen (L’Ethique hacker et l’Esprit de l’ère de l’information) et Frederic Jameson (Le Postmodernisme ou la Logique culturelle du capitalisme tardif).
La pensée de midi affirme ainsi résolument sa vocation de pont entre les rives de la Méditerranée, mais aussi entre les rives de la littérature et des sciences sociales, entre les rives de l’esthétique et de la politique.

Vincent Duclert

Histoire d’un 20 janvier. Récits

(n°31, 238 p., 18,50 €).

Mentionnons aussi le très beau numéro sur Istanbul, ville monde, n°29, octobre 2009 (17 €).Blog pmist

10 mai 2010

Métamorphoses de l’expertise

Blog expert
L’expertise de l’expertise est devenue essentielle, pour apprécier non seulement la dimension scientifique de l’expertise et sa capacité à demeurer indépendante des enjeux politiques, mais pour disposer aussi d’une perspective critique des données issues de l’expertise en interrogeant les méthodes qui les ont produites. Deux sociologues, Céline Granjou et Marc Barbier, ont analysé la période fondatrice d’une réforme de l’expertise liée aux crises sanitaires des années 1900 dont celle de la « vache folle ». Un livre co-édité par la Maison des sciences de l’homme et Quae, livre le résultat de leurs recherches et constate « l’avènement d’une véritable démocratie sanitaire ». Même si les auteurs ne souhaitent pas se faire les hérauts de cette dernière, ils relèvent que le crise de la « vache folle » s’est accompagnée « de la structuration inédite d’une référence à la précaution en politique, en lien avec une professionnalisation des activités d’expertise. Elle témoigne par ailleurs de la constitution d’une certaine conscience réflexive des experts eux-mêmes vis-à-vis de la fonction politique de leur travail collectif ». Cette dimension de réflexivité dans la pratique de l’expertise est essentielle, comme contre-pouvoir précisément à opposer aux instrumentalisations politiques et idéologiques (Métamorphoses de l’expertise. Précaution et maladies à prions, 2010, 304 p., 26 €).

Vincent Duclert

05 mai 2010

De la démocratie en statistiques

Blog bouchard
En quoi consiste l’Amérique ? Les statistiques, le new deal et la démocratie (Éditions La découverte, 2009, 317 p., 26 €) est le très beau livre d’Emmanuel Didier qui raconte de manière plaisante, érudite, généreuse, parfois délicatement humoristique et imagée, la construction, l’effondrement et la reconstruction conjointe d’un État (l’Amérique) et de ses statistiques. Sa grande astuce est en effet de ne pas se confiner au processus de coconstruction allant généralement du « plasma », c’est-à-dire du début de l’activité statistique, jusqu’à l’état de « solidité » et de « consistance » mais bien de suivre et d’analyser un cycle de vie qui va jusqu’à la « viscosité » et la « déliquescence » de l’ensemble.

Qu’il s’agisse des statistiques agricoles, dans les deux premières parties de l’ouvrage, ou des statistiques sur le chômage, dans la troisième partie de l’ouvrage, Emmanuel Didier nous convie à une traversée aux allures d’épopée de l’Amérique de la crise qui perd puis reconquiert sur de nouvelles bases ses repères statistiques. On découvre une Amérique qui ne se connaît plus elle-même, qui ne se découvre plus à travers les outils statistiques mis en place avant la crise, « [l]es nouvelles situations glissaient entre les vieilles griffes statistiques ». (p. 221) et qui, peu à peu, après d’ardents efforts, retrouve sa consistance.

Couche par couche et avec le sens du récit, Emmanuel Didier reconstitue le millefeuille statistique qui nourrit l’Amérique du début du xxe siècle jusqu’à la Grande Dépression puis celui d’après la crise. On approche en effet au plus près la fabrique des statistiques (ainsi par exemple le premier chapitre, de « lister » et « servir », retrace en 17 actions [« questionner », « se déplacer », « calculer », « sommer », « apurer »…]) que la crise revisitera. L’Amérique rurale et urbaine trouvera alors une nouvelle consistance autour de la méthode du sondage aléatoire, assimilée à une nouvellement qualifiée objectivité (« représentativité statistique », « erreur probable »,  « sondage aléatoire stratifié »). Le passage d’un appareillage cognitif associé à l’objectivité, surgit alors par le rapprochement des statisticiens d’État et des statisticiens universitaires.

Ce qu’Emmanuel Didier révèle et analyse au terme de l’ouvrage, c’est le mouvement de recul du participationnisme ou plutôt sa transformation profonde. « Chaque façon de produire de l’objectivité entraîne avec elle une certaine façon, écrit Emmanuel Didier, opposée à d’autres, d’associer la population, le gouvernement et les moyens de connaissance – une opération qui constitue le parangon de la politique » (p. 299). Une traversée qui nous transporte donc aussi avec bonheur sur les chemins de la sociologie des sciences.

Julie Bouchard, Université Paris 13 – LabSic

04 mai 2010

Les quarante ans de La Recherche

Blog 40 ans
La Recherche fête son quarantième anniversaire. Le 12 mai 1970 paraissait en effet son premier numéro, à l’initiative des éditions du Seuil et de Michel Chodkiewicz, grand spécialiste du soufisme philosophique mais aussi éditeur à succès. Il dirigea du reste les éditions du Seuil entre 1979 et 1989.

 

Blog 40 ans 2
Une exposition, celle de l’Institut Mémoire de l'Edition Contemporaine (23 avril-25 mai 2008), et un ouvrage, celui d’Hervé Serry, racontent l’histoire du Seuil depuis les premiers pas du fondateur, Jean Bardet, en 1937 (2008, 208 p., 23 €). Et bien évidemment, La Recherche est présente dans cette histoire. La revue, fondée dans les bureaux de la Place de l’Odéon, quartier historique du Seuil (jusqu’à leur déménagement fin mars dernier pour la porte d’Orléans et le périphérique), tendait à la recherche du lien entre prescription scientifique et vulgarisation publique. Ce lien constitue véritablement la pierre philosophale de la presse et de l’édition à fort contenu intellectuel. Défendre la part des savoirs dans l’élévation de la société, donner à la recherche une image d’elle-même qui soit synonyme d’exigence critique et de diffusion de la connaissance sont des buts collectifs qui demeurent tout à fait d’actualité, en dépit des énormes mutations tant du secteur de la presse que du monde scientifique. On peut donc envisager raisonnablement quarante nouvelles années de publication pour La Recherche – placée au cœur de ces mutations, les analysant, les méditant, les animant.

Vincent Duclert

Ce Blog des Livres, qui a maintenant plus de deux années d'existence (février 2008), s'achemine vers son 500e billet (celui-ci est le 470e). A l'échelle mésozoïque du dinosaure de La Recherche version papier, ce n'est rien, mais à l'échelle de la toile, c'est une performance qu'il ne m'appartient pas de commenter !