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05 mai 2010 |

De la démocratie en statistiques

Blog bouchard
En quoi consiste l’Amérique ? Les statistiques, le new deal et la démocratie (Éditions La découverte, 2009, 317 p., 26 €) est le très beau livre d’Emmanuel Didier qui raconte de manière plaisante, érudite, généreuse, parfois délicatement humoristique et imagée, la construction, l’effondrement et la reconstruction conjointe d’un État (l’Amérique) et de ses statistiques. Sa grande astuce est en effet de ne pas se confiner au processus de coconstruction allant généralement du « plasma », c’est-à-dire du début de l’activité statistique, jusqu’à l’état de « solidité » et de « consistance » mais bien de suivre et d’analyser un cycle de vie qui va jusqu’à la « viscosité » et la « déliquescence » de l’ensemble.

Qu’il s’agisse des statistiques agricoles, dans les deux premières parties de l’ouvrage, ou des statistiques sur le chômage, dans la troisième partie de l’ouvrage, Emmanuel Didier nous convie à une traversée aux allures d’épopée de l’Amérique de la crise qui perd puis reconquiert sur de nouvelles bases ses repères statistiques. On découvre une Amérique qui ne se connaît plus elle-même, qui ne se découvre plus à travers les outils statistiques mis en place avant la crise, « [l]es nouvelles situations glissaient entre les vieilles griffes statistiques ». (p. 221) et qui, peu à peu, après d’ardents efforts, retrouve sa consistance.

Couche par couche et avec le sens du récit, Emmanuel Didier reconstitue le millefeuille statistique qui nourrit l’Amérique du début du xxe siècle jusqu’à la Grande Dépression puis celui d’après la crise. On approche en effet au plus près la fabrique des statistiques (ainsi par exemple le premier chapitre, de « lister » et « servir », retrace en 17 actions [« questionner », « se déplacer », « calculer », « sommer », « apurer »…]) que la crise revisitera. L’Amérique rurale et urbaine trouvera alors une nouvelle consistance autour de la méthode du sondage aléatoire, assimilée à une nouvellement qualifiée objectivité (« représentativité statistique », « erreur probable »,  « sondage aléatoire stratifié »). Le passage d’un appareillage cognitif associé à l’objectivité, surgit alors par le rapprochement des statisticiens d’État et des statisticiens universitaires.

Ce qu’Emmanuel Didier révèle et analyse au terme de l’ouvrage, c’est le mouvement de recul du participationnisme ou plutôt sa transformation profonde. « Chaque façon de produire de l’objectivité entraîne avec elle une certaine façon, écrit Emmanuel Didier, opposée à d’autres, d’associer la population, le gouvernement et les moyens de connaissance – une opération qui constitue le parangon de la politique » (p. 299). Une traversée qui nous transporte donc aussi avec bonheur sur les chemins de la sociologie des sciences.

Julie Bouchard, Université Paris 13 – LabSic

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Commentaires

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Bonjour,

Voici pour les lecteurs que ca intéresse une petite appli autour de la compréhension des mots et leur impact dans le temps, j’ai testé, c’est amusant :
http://www.ebibliophilie.com/stats_words.php

C’est sur un site qui recense le prix des livres lorsqu’ils passent en vente aux enchères.

A+

Yohann

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