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mars 2010

29 mars 2010

Libres propos sur le Salon du Livre

La trentième édition du Salon du Livre a débuté vendredi, après la traditionnelle soirée d’inauguration du jeudi soir. On a beaucoup lu et entendu sur les déboires actuels du Salon, la grogne de certains groupes dont Hachette qui estiment que le coût élevé de leur présence n’est pas assez rentabilisé, que les contacts ne sont pas assez professionnels (comme à la Foire de Francfort où se vendent et s’échangent les droits sur les futurs best-sellers), que la Porte de Versailles est indigne de la spécificité littéraire de la manifestation (en comparaison du Grand Palais qui avait accueilli la manifestation il y a une vingtaine d’années), que les salons à privilégier sont désormais les réunions plus thématiques ou disciplinaires et non cette immense bibliothèque généraliste où la distinction s’égare au milieu des vagues de badauds. Mais les partisans du Salon du Livre dans sa version actuelle sont nombreux aussi, depuis les petits éditeurs qui peuvent se faire connaître et se regrouper jusqu’aux libraires qui constatent l’appétit des Français pour le livre papier et les espaces, grands ou petits, où ils s’exposent et se vendent. Et puis, le public peut rencontrer les auteurs, faire signer un livre, parler avec eux littérature ou salon. Pour sa trentième édition, le Salon avait du reste décidé d’innover dans cette direction en célébrant 90 écrivains, 60 auteurs français et 30 auteurs étrangers, avec le mot d’ordre : « mettre à l’honneur les auteurs ! ».

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Pour cause d’anniversaire, le Salon avait en conséquence rompu avec sa pratique du pays invité. Celui-ci devait être en 2010… la Turquie ! Elle avait même été choisie, avant d’être finalement décommandée. En ces temps d’opprobre présidentiel pour ce pays candidat à l’UE, les dirigeants du Salon avaient décidé de différemment fêter les trente ans et d’annuler le pays invité pour mieux valoriser l’événement des 90 auteurs du monde entier. On se dit que les deux initiatives auraient pu être menées de concert. Et si elles ne les ont pas été, c’est que décidément la Turquie n’est peut-être pas encore fréquentable. On ne peut s’empêcher de s’interroger. Mais de quelle Turquie parlons-nous en définitive ? Celle des généraux de dictature toujours peu ou prou aux manettes de l’Etat, celle d’un gouvernement islamiste modéré prompt à l’ultra-conservatisme religieux et au nationalisme menaçant dès qu’un pays envisage, par exemple, de reconnaître le génocide des Arméniens, ou bien la Turquie des écrivains et des intellectuels dont beaucoup affrontent par leurs actes et leurs écrits ces phénomènes de tyrannie rampante, d’ultranationalisme débridé et de violence contre la liberté. La démocratie, dans ce pays, prend souvent le visage des écrivains, des artistes, des savants, des journalistes, des avocats, signataires de nombreuses pétitions en faveur de la liberté d’expression, de la fin des législations d’exception, de la reconnaissance des souffrances arméniennes, de la vérité de l’histoire, du respect des identités minoritaires et kurdes opprimées depuis des décennies.

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Nombre d’auteurs turcs ont été traînés devant les tribunaux pour leurs écrits. Certains ont même payé de leur vie cette lutte pour la liberté et la vérité comme le directeur d’origine arménienne du journal bilingue Agos, Hrant Dink, assassiné le 19 janvier 2007 à Istanbul devant son immeuble. Comme beaucoup d’autres dans le passé, et d’autres à venir dont l’existence pourrait se briser brutalement avec l’un de ces assassinats extrajudiciaires toujours d’actualité en Turquie. Le Salon du livre se serait honoré de soutenir ces combats d’écrivains turcs qui relèvent d’une conscience européenne à l’œuvre contre l’intolérance et la barbarie. Il aurait témoigné de la conception d’une société des lettres défiant les pouvoirs arbitraires et portant les espoirs de démocratie des sociétés civiles. Certes, parmi les écrivains étrangers invités figure Nedim Gürsel, dont les œuvres sont traduites et publiées par les éditions du Seuil. Mais il s’agit peut-être du plus français des écrivains turcs, qui vit, travaille et écrit à Paris depuis 1979. Il est renommé en France, moins connu dans son pays. Il est toujours aux côtés de ses amis d’Istanbul, là où se multiplient les pétitions civiques. En 2009, il a même été visé par un procès contre son roman Les Filles d’Allah. Si son œuvre exprime la nécessité, partagée par beaucoup sur les deux rives du Bosphore, d’ouvrir l’histoire turque et de faire une place en son sein aux cultures ottomanes, musulmanes, juives, arméniennes, syriaques, aux cultures alévie, kurdes, …. Nedim Gürsel n’est pas le plus représentatif des écrivains turcs témoignant du pouvoir de la littérature d’affronter l’indicible et la violence.

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Des éditeurs s’efforcent de restituer cette richesse esthétique et politique de la littérature turque trop méconnue en France. Galaade a publié en ce début d’année les Chroniques d’un journaliste assassiné de Hrant Dink (traduit par Haldun Bayri et Marie-Michèle Martinet, 288 p., 20 €) et le roman du jeune écrivain Murat Uyurbalak, Tol. Histoire d'une vengeance, initialement paru en 2002 en Turquie (traduit par Jean Descat, 320 p., 21 €). L’auteur est présent aujourd’hui sur le stand de Galaade au Salon du Livre (R 65).

Vincent Duclert

25 mars 2010

Des adieux dans le soleil

Blog le seuil
Séquence émotion, hier, au service de presse du Seuil où j’étais passé avec Maurice Olender, directeur inoubliable de la collection « La Librairie du XXIe siècle ». Les attachés de presse, dont on ne cesse d’apprécier le professionnalisme et l’accueil toujours attentif, ferment les ultimes cartons. Sur les rayonnages des bibliothèques, quelques livres qu'elles ne veulent pas abandonner, qui iront « là-bas ». La maison, installée depuis toujours rue Jacob et autres petites rues vers la Seine, quitte en effet son site historique pour Montrouge, en bordure du périphérique (mais avec une adresse parisienne et la station Porte d’Orléans à deux pas). C’était le dernier jour avant le saut dans l’inconnu. Dernier passage, à l’heure du déjeuner, au soleil d'un premier printemps, dans les lieux familiers, qui résonnent des vies et des jours. On était heureux d’avoir été là un instant avec elles, partager ces adieux aux bureaux lovés et aux jardins secrets. Demain, elles seront au Salon du Livre, porte de Versailles. Les déménageurs entreront en action. L'année prochaine, au moins, elles seront plus proches du Salon - s'il existe encore !

Vincent Duclert

23 mars 2010

Les places et les chances

Blog dubet
Déjà auteur en 2008 d’un ouvrage, Faits d’école (éditions de l’EHESS), pour lequel il avait publié dans La Recherche une page d’opinions, le sociologue François Dubet publie aujourd’hui, dans La République des idées que coédite Le Seuil un essai sur Les places et les chances sous-titré « Repenser la justice sociale » (122 p., 11,50 €). On ne redira jamais assez la qualité de ces petits livres denses autant qu’accessibles, élégants et peu onéreux, qui, pour une question donnée, livre le meilleur de la réflexion des sciences sociales. L’introduction de François Dubet en témoigne : « Il existe aujourd’hui deux grandes conceptions de la justice sociale : l’égalité des places et l’égalité des chances. Leur ambition est identique : elles cherchent toutes les deux à réduire la tension fondamentale, dans les sociétés démocratiques, entre l’affirmation de l’égalité de tous les individus et les inégalités sociales issues des traditions et de la concurrence des intérêts à l’œuvre. Dans les deux cas, il s’agit de réduire certaines inégalités, afin de les rendre sinon justes, du moins acceptables. Et pourtant, ces deux conceptions diffèrent profondément et s’affrontent, bien que cet antagonisme soit souvent masqué par la générosité des principes qui les inspirent et par l’imprécision du vocabulaire qui les porte. » Au terme d’un méthodique exposé des deux conceptions, l’auteur conclut, « contre l’air du temps », en faveur de l’égalité des places, et il confronte son choix à la réalité du terrain : « l’éducation, la place des femmes et celle des "minorités visibles" ».

Vincent Duclert

19 mars 2010

La mémoire désunie

Blog wieviorka
Historien de la Résistance, connu pour ses travaux sur le réseau Défense de la France et son étude du débarquement de juin 1944, Olivier Wieviorka a transformé pour les éditions du Seuil une expertise demandée par le ministère de la Défense sur les politiques publiques de la mémoire de la Résistance en une recherche historienne importante. L’ouvrage qui en est issu comble un vide sur l'objet de la Résistance resté saillant depuis la publication en 1990, déjà au Seuil, de l’étude décisive d’Henry Rousso, sur son symétrique, la mémoire de Vichy (le Syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours).

Dans La mémoire désunie (Le souvenir de la Seconde Guerre mondiale 1944-2009, coll. « L’Univers historique », 310 p., 20 €), l’auteur se saisit de la problématique de la mémoire et de sa gestion publique, problématique dominante depuis les années 1990, pour analyser rétrospectivement le rapport des pouvoirs publics avec les résistants au sens large. La question est ici posée de la difficulté à construire la catégorie d’ « ancien combattant » qui ne put s’inscrire, au cours des années de la Libération, dans l’héritage de la Première Guerre mondiale. Car la Seconde Guerre mondiale avait multiplié pour la France les zones grises et les espaces sombres, occultés ensuite par la mémoire publique. La multiplicité des acteurs, résistants de l’Intérieur, forces françaises combattantes, déportés politiques, déportés raciaux, requis du STO, … a empêché qu’une définition du combattant de la guerre puisse s’élaborer. Et l’histoire savante a souvent accompagné dans le passé les choix officiels plus qu’elle ne les a questionnés ou même critiqués. La construction d’une mémoire publique fondée sur la reconnaissance de l’histoire, amorcée par Jacques Chirac lors de ses mandats présidentiels, apparaît aujourd’hui compromise avec les instrumentalisations politiques et la confusion des récits caractéristiques du mandat de son successeur. De vives critiques civiques sont portées actuellement sur son action, en témoigne par exemple la publication du Programme du Conseil national de la Résistance qui serait menacé par les entreprises sarkozystes (Les Jours heureux. Le programme du Conseil national de la Résistance de mars 1944. Comment il a été écrit et mis en œuvre, et comment Sarkozy a accéléré sa démolition, La Découverte, 204 p., 14 €). La controverse est à nouveau à son comble.

Vincent Duclert

17 mars 2010

La mort d'un petit cheval

Blog hippa
Je ne sais pas si une critique de L'hipparion, publié par le Belge Jean Muno en 1962 et réédité il y a quelques mois par Luc Pire (avec une postface d'Elisabeth Castadot, 272 p., 8€), a réellement sa place sur ce blog. En outre, je ne suis pas un spécialiste de littérature. Mais j'ai été attiré par le titre à teneur paléontologique. L'hipparion est en effet un genre d'équidé qui parcourait le monde il y a entre 23 millions d'années et un million d'années environ. Plus petit que les chevaux actuels, il s'en distingue particulièrement par le fait qu'il avait trois doigts à chaque pieds.

Pour Lionel Van Aerde, instituteur en retraite et naturaliste amateur, la découverte d'un hipparion vivant sur une plage Belge est donc un événement fantastique. A tel point qu'il accepte de payer pour conserver l'animal, et qu'il l'emmène chez lui, l'installe dans son jardin, puis au rez-de-chaussé de sa maison, après que sa locataire dépitée l'ait abandonné. Mais il est dans la position inconfortable de l'amateur qui a fait une découverte trop importante pour lui. Désireux de ne pas se la faire voler, il la cache. Incapable toutefois de l'étudier par lui-même, il accepte la suggestion d'un savant professeur de transformer cet animal bien vivant en squelette, plus conforme à la vision des paléontologues académiques. Le squelette, trop frais, sera à son tour récusé.

Bien entendu, l'hipparion est une métaphore, et la vraisemblance n'est pas la première préoccupation de Jean Muno. Le dernier rêve du vieil homme ne résiste pas et s'évapore, laissant un vieillard prêt à mourir. Mais l'auteur n'a pas pour autant sacrifié le réalisme dans ses descriptions de Van Aerde face à ses collections, face au taxidermiste ou face aux pseudo-savants de province, professeurs (mais de quoi?) et conservateur d'un musée de troisième zone. Tout scientifique amateur, qu'il ramasse des fossiles ou des pierres, ou qu'il photographie les étoiles, n'est-il pas plus ou moins à la recherche d'un hipparion, découverte impossible et pourtant si désirée qui pourrait lui apporter gloire et reconnaissance?

Luc Allemand

15 mars 2010

Patrimoine et communautés savantes

Blog anne
Bien que modeste contributeur de Patrimoine et communautés savantes (Presses universitaires de Rennes, coll. « Art & société », 297 p., 22 €), nous voulons signaler cet ouvrage collectif qui intéressera, outre le public scientifique, tous ceux que les questions de patrimoine ne laissent pas indifférents. On peut être irrité par ce terme dont l’omniprésence aboutit à lui faire perdre toute signification et à accroitre la domination du seul présent, le « présentisme » étudié par François Hartog qui signe précisément la préface du livre. Mais le patrimoine prend du sens lorsqu’on étudie l’attention qu’un monde social et intellectuel, en l’occurrence ici celui des savants, porte aux traces de son passé et aux formes de leur conservation. Interroger ce rapport, c’est alors pouvoir mieux comprendre, ici les communautés savantes. Dirigé par trois jeunes et talentueux chercheurs, Soraya Boudia, Anne Rasmussen et Sébastien Soubiran, Patrimoine et communautés savantes est un livre précieux, bien articulé et très bien édité.

Vincent Duclert

10 mars 2010

Sinistres clones

Blog all
Si vous suivez l'actualité scientifique, vous croyez sans doute que le premier clone de mammifère était une brebis, nommée Dolly, née en Ecosse en 1996. Je le pensais aussi. Mais nous nous trompions. Dès 1980, le Belge Victor Hoppe, alors à l'université d'Aix-la-Chapelle, en Allemagne, avait fait naître trois souris par clonage. Malheureusement, il ne réussit jamais à reproduire cette performance et, plutôt que de répondre aux questions d'une commission d'enquête de l'université, il préféra démissionner de son poste en 1984 pour se retirer dans son village natal de Wolfheim.

Bon, d'accord, il faut attendre la page 157 du Faiseur d'anges de Stefan Brijs (Héloïse d'Ormesson, 460 p., 2010, 23 €) pour apprendre cela. Mais franchement, on se doutait depuis le début que le Doktor Hoppe n'était pas très net. Lorsqu'il revient dans son village natal avec ses trois fils nouveau-nés, tout le monde s'interroge : où est la mère des enfants? Et pourquoi ne les voit-on jamais hors de la grande maison du Doktor? Seule Charlotte Maenhout, institutrice en retraite à qui il a demandé de les éduquer, peut vraiment les approcher. Et ce qu'elle découvre n'est pas pour la rassurer : ces vrais triplés, nés avec le bec de lièvre de leur père, ont certes des capacités intellectuelles hors du commun ; mais ils ont aussi une santé d'une fragilité inhabituelle, et semblent vieillir de façon accélérée. Victor Hoppe tente-t-il de les soigner d'un mal mystérieux, ou au contraire mène-t-il sur eux des expériences mystérieuses responsables de leur état?

L'atmosphère de ce récit le rapproche des romans gothiques. Villageois craintifs et superstitieux, religion (catholique) pesante et morbide. On oublierait facilement que le récit se déroule dans les années 1980, s'il n'y avait des autobus et des voitures dans les rues de Wolfheim. Il y a d'ailleurs du Victor Frankenstein dans Victor Hoppe : médecin génial, sa volonté de faire le bien se perverti lorsqu'il imagine qu'il peut égaler, voire surpasser Dieu. En voulant régler ses comptes avec ce dernier, il finira mal, non sans laisser derrière lui la possibilité de recommencer. Les lecteurs qui s'interrogeraient sur l'utilité de faire des lois en matière de bioéthique seront à n'en pas douter convaincus de leur nécessité après avoir refermé le livre.

Luc Allemand

08 mars 2010

Place Cécile Brunschvicg

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Aujourd’hui 8 mars journée mondiale des femmes. Evidemment, ce serait mieux que tous les jours soient ceux des femmes et surtout de l'égalité. Nous y travaillons. Tout à l’heure, inauguration, à l’angle de la rue du Simplon et de la rue Boinod à Paris (18e), de la place Cécile Brunschvicg, à l'initiative de la Mairie de Paris. Née en 1877, disparue en 1946, épouse du philosophe Léon Brunschvicg, Cécile Brunschvicg fut notamment présidente de l’Union française pour le suffrage des femmes et première femme ministre dans l'histoire de France (1936). Sa petite-fille Marianne Weill (épouse Baruch), docteure ès sciences, ancienne chargée de recherches au CNRS et membre, de 1965 à 1973, de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique, prendra brièvement la parole lors de la cérémonie. En 2002, l’historien Marc Olivier Baruch, avait publié dans le Dictionnaire critique de la République (Flammarion, rééd. 2007) un portrait de son arrière grand-mère dont nous reproduisons ici la dernière partie. Vincent Duclert

Blog cécile 

 Cécile Brunschvicg, par Marc Olivier Baruch

L'apogée de sa carrière fut marqué par sa participation, entre juin 1936 et juin 1937, au gouvernement de Front populaire dirigé par Léon Blum. Nommée sous-secrétaire d'état à l'Éducation nationale, elle devint en effet, avec Suzanne Lacore, chargée de la protection de l'enfance, et Irène Joliot-Curie, qui occupa quelques semaines le poste de sous-secrétaire d'état à la Recherche scientifique, l'une des trois premières femmes membres d'un gouvernement en France. Il est évidemment indigne, envers la mémoire de Léon Blum comme envers celle de Cécile Brunschvicg, de prétendre, comme le fit Louise Weiss après la disparition de l'une comme de l'autre, que l'attribution d'un maroquin fut conditionnée par la renonciation implicite à l'égalité de suffrage entre hommes et femmes. Ce qui est exact en revanche, c'est que la stratégie des acquis progressifs qu'avait toujours préconisée Cécile Brunschvicg cumula ses effets avec la solidarité ministérielle, celle-ci doublée d'une amitié sincère envers Léon Blum, pour éviter de mettre en difficulté le président du Conseil, dont on sait que la chute sera due, à la fin du premier semestre de 1937, à l'hostilité du Sénat, solidement conservateur en matière politique, économique et sociale. Chautemps, successeur de Blum, ne nomma aucune femme dans son gouvernement, de sorte que l'expérience ministérielle de Cécile Brunschvicg tourna court.

Elle avait profité de son passage au ministère pour entamer des projets qu'il reviendrait aux régimes ultérieurs de parachever, qu'il s'agisse de la généralisation des cantines scolaires, de la prise en charge de l'enfance délinquante ou de l'enseignement des enfants de mariniers. Son action en faveur de l'égalité entre hommes et femmes, qui figurait explicitement parmi ses attributions – c'était une nouveauté en France qu'un ministre soit chargé de ces questions –, ne fut pas non plus inconsistante : les femmes purent se porter candidates au concours de rédacteurs de plusieurs départements ministériels, comme elles avaient vocation à le faire pour entrer à l'école d'administration, projet sur lequel travaillait Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale. On vit surtout, en 1938, la loi – acceptée par le Sénat, qui touchait là aux limites extrêmes de son féminisme – accorder la capacité civile aux femmes mariées. Ce ne fut qu'une étape sur le chemin de l'égalité civile, dans la mesure où c'est le seul mari qui était institué chef de famille et que la tentative de rénovation, dans un sens égalitaire, du régime des biens matrimoniaux tourna court. Cette demi-victoire, si elle améliorait indiscutablement la place des femmes dans la société française, n'empêchait pas la France de continuer à détenir, parmi les nations de rang comparable, la triste palme de l'arriération en matière d'égalité politique entre hommes et femmes.

Sous l'Occupation, recherchée par les Allemands, poursuivie de sarcasmes par la presse collaborationniste et antisémite, elle dut s'éloigner de son époux, qui mourut en janvier 1944 dans un hospice d'Aix les Bains. Sous un faux nom, Cécile Brunschvicg enseigna un moment à Valence dans un pensionnat de jeunes filles. Récemment retrouvées, ses notes de cours mettent en avant les valeurs humanitaires et patriotiques qui avaient guidé son action et gouverné sa vie. Aux antipodes des choix de Vichy – autorité contre démocratie, exclusion contre assimilation, réaction contre réforme – elle réaffirmait sa foi en des valeurs qui pouvaient connaître une éclipse, mais qui ne pouvaient disparaître. Il ne pouvait y avoir de France que républicaine.

MOB


Le Dernier Voyage d’Alexandre de Humboldt

Blog chatriot
Alexandre de Humboldt (1769-1859) est aujourd’hui universellement connu tout à la fois pour l’idéal scientifique qu’il a représenté dans la première moitié du XIXe siècle et pour ses voyages en Amérique. Ce géographe et naturaliste allemand se fait entre 1799 et 1804 le découvreur aussi bien de l’Amazonie, de la Colombie que d’une partie des Andes, en particulier au cours du voyage sur l’Orénoque avec Aymé Bonpland. Son exploration lui permet alors de ramener outre de riches collections, des observations scientifiques précieuses des contrées visitées.

C’est autour de cette figure assez étonnante que s’organise un album de bande dessinée qui ne l’est pas moins (Le Dernier Voyage d’Alexandre de Humboldt, Première partie, récit d’Etienne Roux, dessins et couleurs de Vincent Froissard, Paris, Futuropolis, 2010, 80 p., 17 €). Roux et Froissard proposent au lecteur de suivre le vieil homme (l’action se déroule en 1847) repartant en Colombie à la recherche de son ami Bonpland disparu. Des personnages accompagnent le savant : une jeune fille qui lui fournit un précieux carnet et un chevalier prussien qui le suit et espère pouvoir s’attribuer ses découvertes. Un raz de marée, une mystérieuse expédition américaine dans la jungle, une révolte populaire constituent autant de rebondissements. La recherche du récit d’aventure fait ici penser tout à la fois à Stevenson, à Jules Verne mais aussi sans doute à Joseph Conrad.

Si la narration est intelligemment travaillée, le dessin est assez époustouflant. Les planches sont splendides tout à la fois très construites et très surprenantes. Loin d’un simple dessin réaliste, jouant aussi parfois de l’absence de dialogue, l’album entraîne le lecteur dans le cours même du voyage. Assez différente des œuvres respectives précédentes des deux auteurs, ce voyage extraordinaire mérite d’être suivi car il montre que loin des plates reconstitutions historiques, la bande dessinée reste un mélange subtil d’art du récit et de créativité graphique.

Alain Chatriot

05 mars 2010

L'imposture climatique, ou la fausse écologie

L'encre - virtuelle - de mon compte rendu du Mythe climatique (ci-dessous) était à peine sèche que je recevais un texte de mon ami Pascal Acot sur le phénomène éditorial actuel, l'ouvrage de Claude Allègre. Je le publie sans tarder afin que les lecteurs du Blog des Livres - et ils sont nombreux ! - passent un excellent week end en compagnie de cette critique alerte et juste qui en appelle d'autres, voire un livre sur le sujet ! V.D.

Blog allègre
Il n'a pas perdu de temps, Claude Allègre : quelques semaines après la farce triste de Copenhague, le voici qui s'engouffre dans la brèche médiatique élargie par quelques climatosceptiques convertis peinture fraîche (L'imposture climatique, ou la fausse écologie, conversations avec Dominique de Montvalon), Plon, 295 pp. 19,90 €). Il est vrai qu'il fut l'un des premiers : il fit naguère l'éloge appuyé de la traduction d'un livre oublié de Bjørn Lomborg (The skeptical ecologist), ouvrage que le monde libéral encensait alors puisqu'il était en harmonie avec la politique environnementale de G. W. Bush. Et comme le fiasco de Copenhague était prévisible avec certitude depuis au moins l'année 2007 (Conférence de Bali), notre ex-dégraisseur de mammouth était fin prêt. Beaucoup de choses ont déjà été dites sur son livre.

L'assassinat de l'ouvrage par Stéphane Foucart (« Le cent-fautes de Claude Allègre », Le Monde du 28 février) donnait envie de le lire : un auteur aussi détesté ne peut être complètement mauvais. Passons sur la couverture, qui réussit à dépasser en comique nombre d'ouvrages sur le réchauffement climatique. Voici le joyeux Claude Allègre marchant – flottant ?- sur la banquise, à la place de l'ours blanc de service. Hélas ! tout ce qui aurait pu donner un certain intérêt à l'ouvrage (non-conformisme, puissance de travail, réactivité) se retrouve noyé sous un déluge d'affirmations péremptoires et d'insultes. Déjà, si vous faites partie du GIEC, vous voilà habillé pour l'hiver : le GIEC est un « commando » qui a réussi à mobiliser la planète « autour d'un mythe sans fondement ». Le principal mobile de ses membres est « l'appât du gain », le « patriotisme de discipline » et la notoriété. Le climatologue Jean Jouzel « récite le catéchisme du GIEC » et Hervé Le Treut ne parle que « lignes de code »... Le train de vie pharaonique et l'ambition dévorante des membres du GIEC que je connais, en France et ailleurs, m'avaient échappé. Sans doute parce qu'ils cachent bien leur jeu en circulant dans Paris par la RATP, les sournois !

Il y avait pourtant des choses à dire sur une souhaitable amélioration du mode de fonctionnement du GIEC, ou sur son actuel président qui a déclaré cesser de manger de la viande rouge à cause du bilan-carbone de la viande de bœuf – confondant peut-être le WWF avec la sérieuse institution de l'ONU qu'il préside ; et les anecdotiques empreintes écologiques individuelles avec les mesures politiques courageuses que la gravité de la situation exigerait. Car il y a aussi beaucoup à dire sur les mesures sociales, humanitaires et politiques qui s'imposent dès maintenant dans le monde, sans attendre que le réchauffement d'origine anthropique soit absolument avéré, plutôt que d'accuser les Verts de « combattre la société de la libre entreprise » (si c'était vrai, cela se saurait, mais ce n'est pas ce qui les menace). Restent des informations édifiantes, sur Al Gore, par exemple, et ses liens étroits avec Enron et Lehman Brothers, ainsi que sur ses rapports avec le capitalisme « Vert » - dernière tarte-à-la crème idéologique en date en matière de lutte contre le changement climatique. Dommage que l'auteur ne soit pas plus sérieux quant à ses sources scientifiques et plus modeste dans ses jugements : il y avait de quoi faire un bon livre.

Pascal Acot, historien du climat (IHPST)