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octobre 2009

29 octobre 2009

(Re)découvrir les Cités obscures

Blog cites
Quant un éditeur décide de rééditer une série à succès, il s’agit parfois d’une simple opération commerciale… Par chance, le dessinateur François Schuiten et le scénariste Benoît Peeters se sont saisis de la proposition de Casterman pour avoir une démarche nettement plus ambitieuse. Les Cités obscures, une série qui depuis près de trente ans marque profondément la bande dessinée francophone, est donc progressivement republiée. Le plaisir ici de retrouver ce monde imaginaire et utopiste de villes tout à la fois futuristes et marquées par l’art nouveau est renforcé grâce au fait que les albums ont été repris à partir des planches originales que Schuiten a conservées (fait assez rare aujourd’hui). Mais les deux auteurs ne se contentent pas de cette amélioration matérielle, ils ajoutent des préfaces et des postfaces. La fièvre d’Urbicande est ainsi complétée par des pages additionnelles faites à la suite d’un voyage à Brasilia. Dans L’ombre d’un homme, les deux auteurs qui jugeaient la fin peu satisfaisante ont décidé de modifier substantiellement l’histoire : le point de vue narratif change et la fin de l’album est très différente de celle de la version d’origine. Les deux créateurs expliquent qu’ils se sont offerts tels les peintres des « repentirs », ceux-ci concernant aussi bien les contenus, les éditions que la fabrication.

L’album Souvenirs de l’Eternel Présent a une histoire particulière (80 p., 18 €). Au milieu des années 1980, un réalisateur belge Raoul Servais, proche des milieux surréalistes, veut réaliser un film qui mêle dessins et scènes filmées. Les techniques informatiques de l’image ne sont cependant pas encore très perfectionnées et ce film nommé Taxandria sort très tardivement et dans une version très différente de celle souhaitée par l’auteur qui avait fait appel à François Schuiten pour travailler aux décors. La bande dessinée permet ici de revisiter le projet et d’en restituer l’originalité et la force. Aimé, un enfant d’une dizaine d’année vit dans une cité en ruine d’où le temps a été officiellement aboli, aucune référence au passé et au futur n’étant autorisée. L’origine de cette décision est due à un cataclysme suite à des travaux scientifiques sur fond d’ambitions politiques. Aimé découvre peu à peu les explications de cette situation et tente de sortir de cet « éternel présent ». L’histoire retrouve ici toutes les thématiques habituelles des Cités obscures et a une force qui n’est pas sans rappeler la magnifique Enfant penchée.

Ce travail sur le futur et la prospective liant la bande dessinée et le cinéma a été poursuivi par Schuiten et Peters qui ont participé avec la scientifique belge Isabelle Stengers au dernier film de Jaco Van Dormael, Mr Nobody, en étant des « consultants en futurologie » comme ils le disent avec humour. Ils prolongent ainsi la démarche qui a présidée à l’exposition proposée à la Bibliothèque nationale de France intitulée Les portes du possible et reprise en album chez Casterman en 2005.

Alain Chatriot

27 octobre 2009

La science à bout de souffle ?

Blog ségalat
Laurent Ségalat, généticien, directeur de recherches au CNRS, vient de publier aux éditions du Seuil un court et stimulant essai intitulé La science à bout de souffle ? (110 p., 10 €). Il relève ce que chacun peut constater et même dénoncer, à savoir l’accroissement exponentiel des charges et du temps consacrés à l’administration de la recherche, aux tâches d’évaluation, à l’écriture des bilans et rapports. Mais il souligne dans le même temps ce que chacun préfère éviter, à savoir le questionnement de ce cercle vicieux où la recherche finit pas s’étouffer elle-même, et la volonté d’en sortir *. Face à une analyse largement partagée, la réponse tiendrait seulement en un (lâche) mot d’ordre : « laissons le système s’autoréguler ». Prenant l’exemple de la finance mondiale, il lance un cri d’alarme pour la science fonçant vers le même précipice. Et cela vaut de la science française comme de la science mondiale dont elle est un tout. Brillant, convaincant (mais qui pourrait ne pas l’être si on le suit !), l’auteur est en revanche assez court sur les modes possibles de refonte du système de recherche.

Vincent Duclert

*Laurent Ségalat choisit l’image du dopage dans le cyclisme où chacun sait et chacun fait, ceux qui refusent le système s’en trouvant aussitôt éjectés.

25 octobre 2009

Le hêtre et le bouleau

Mercredi 21 octobre, à la maison de l’Amérique latine à Paris, lors d’une conférence tenue autour de son livre Race sans histoire *, l’historien des religions et éditeur au Seuil Maurice Olender a rendu hommage à l’écrivain Camille de Toledo et à son essai, paru dans la collection qu’il dirige, la « Librairie du XXIe siècle ». Le hêtre et le bouleau. Essai sur la tristesse européenne (216 p., 16 €) mérite cet hommage de son éditeur. L’auteur se demande comment quitter le XXe siècle et s’arracher à la tristesse de l’Europe formée du poids de la mémoire et du passé après la joie de 1989 quand s’effondra le mur de Berlin. Pour ce faire l’écrivain propose une traversée de Berlin, avec un long temps d’arrêt au Monument du souvenir du génocide, et simultanément une réflexion sur la polyphonie des langues et des cultures dont l’Europe est porteuse et qui aboutit à sa nouvelle définition, empruntée à Umberto Eco : « La langue de l’Europe, c’est la traduction ».

Quant au sens du titre un peu énigmatique, il est livré dès le rabat de couverture : « Le bouleau, dans le temps littéraire et poétique de la révélation, fut l’arbre du drame, le témoin silencieux de l’extermination ; l’arbre du massacre en train d’avoir lieu. La peau de son écorce en lambeaux est le visage d’un temps que nous n’avons pas connu, temps de l’anéantissement. Plus d’une moitié de siècle après, nous voilà désormais dans le présent du hêtre, arbre gagné par le h de la hantise. » Camille de Toledo a raison. Le bouleau est le témoin fragile de l’Europe et de son histoire. Sur le site du camp d’extermination de Treblinka où il ne reste rien sinon une clairière, les bouleaux sont là, frêles silhouettes blanches veillant les victimes de la barbarie nazie. C’est en tout cas ce que je conserve dans mon souvenir d’un ancien voyage en Pologne, avant la chute du Mur.

Vincent Duclert.

* dont nous avons rendu compte cet été, en relation avec l’affaire de racisme concernant le professeur d'Harvard Henry Louis Gates Jr.

21 octobre 2009

Opération Vent printanier

Blog printanier
« Opération Vent printanier » est le nom de code de la Rafle du Vel’d’Hiv réalisée par la police parisienne le 16 juillet 1942 visant les juifs au regard des lois raciales de Vichy. C’est aussi le titre d’un très bel album, profond et dérangeant, du à Philippe Richelle pour le scénario, Pierre Wachs pour le dessin et Domnok pour les couleurs (Casterman, 2009, 64 p., 15 €), inscrit résolument dans l’histoire passée mais aussi dans sa trace présente. La quatrième de couverture rappelle qu’en France, « l’administration choisit de se charger de l’œuvre d’arrestation et de déportation des juifs décidée par le régime nazi dans toute l’Europe occupée. A Paris, 9 000 policiers et gendarmes sous les ordres de René Bousquet arrêtent 13 000 juifs, dont 4 000 enfants que les nazis n’avaient pas formellement réclamés. La moitié d’entre eux est parquée dans le camp de Drancy, les autres au Vélodrome d’Hiver de la rue Nélaton. Quelques jours plus tard, ils seront convoyés vers les camps d’extermination. » L’album se clôt sur un fragile happy end, au début de la Libération, sur lequel nous allons revenir dans un instant, mais aussi sur une dernière page où il est écrit notamment : « Ce n’est qu’en 1995 que, par la voix du président Chirac, l’Etat français reconnaîtra sa responsabilité dans la rafle et dans la Shoah… » Et c’est vrai que ce discours du Vel’ d’Hiv, du 16 juillet 1995, l’un des premiers du président nouvellement élu de la République, était exceptionnel, à la fois parce qu’il faisait passer dans le discours public et la parole officielle la vérité de l’histoire et parce qu’il mettait fin à cinquante années d’ambivalence, de refus et de silence assumés par les plus hautes autorités de la République jusqu’à François Mitterrand lui-même, prédécesseur de Jacques Chirac et ami de René Bousquet qu’il recevait à l’Elysée ou dans sa maison des Landes. Sur cette page blanche finale sont rappelées aussi la persécution et la déportation des homosexuels par le IIIe Reich. « En France, il faudra attendre 1982 pour que l’homosexualité ne soit plus considérée comme un délit… »

Ce projet heuristique tracé, il fallait le mettre en récit et en dessin. Et c’est là la nouvelle réussite de cet album, en deux parties – la seconde étant publiée aujourd’hui. Le dessin, avec sa précision et son caractère, restitue parfaitement le Paris de l’Occupation, le tragique des situations, la profondeur des personnalités, la jeunesse des héros, la détresse des adultes. Le scénario est lui remarquable dans la mesure où l’introduction de la contingence des personnages et des relations personnelles permet de transmettre aussi bien la compréhension de l'écrasement de l’histoire collective que la connaissance de la capacité de certaines personnes à lui échapper par l’intelligence, la chance ou simplement le refus d’obéir aux ordres inhumains. La morale profonde de cet album tient dans la certitude que quelques-uns pourront racheter la lâcheté ou la trahison du plus grand nombre. Wachs et Richelle les révèlent au grand jour, les uns comme les autres. Ils participent par là à la réflexion essentielle sur la mise en récit de la connaissance, élément capital dans le progrès intellectuel, politique, scientifique.

Vincent Duclert

19 octobre 2009

Vivre avec les mathématiques

Blog vivre avec les maths
Vivre avec les mathématiques ?... Mais tout le monde le fait aujourd'hui, que ce soit dès l'école, où sa fonction de matière sélective la met dans un rôle qui ne lui appartient pas, ou dans la vie de tous les jours : musique, cinéma, Internet, robots, etc. Mais tel n'est pas le thème de la réflexion proposée par Jean Michel Salanskis, professeur en philosophie des sciences et « ancien » praticien des mathématiques, dans son dernier ouvrage (Vivre avec les mathématiques, Le Seuil, coll. « Science Ouverte », 155 p., 17 €).

Il s'agit plutôt de décrire puis de réfléchir à son parcours « oedipien » vis à vis de cette science, qui manifestement, pris une grande place dans sa vie. Parcours d'abord initiatique, celui d'un enfant né dans une famille aisée, doué pour cette matière et amené de façon ludique par ses parents à la curiosité et l'honnêteté intellectuelle qu'elle suppose. Parcours de la découverte, au lycée, en classes préparatoires, puis à Normale Sup, diverses périodes d'un passage enrichissant et obligatoire avant l'intensité, la beauté et la richesse de l'apprentissage de la recherche mathématique. Son aboutissement est par ailleurs mal vécu, puisque l'auteur ne poursuit pas dans cette voie (pourquoi ? Il donne quelques pistes, mais je ne suis pas persuadé que ce soient les raisons essentielles), passe l'agrégation et finit par « échouer » comme enseignant du secondaire. Le terme échouer est-il trop fort, trop péjoratif ? L'auteur doit le penser car il y découvre une autre façon de se consacrer aux mathématiques, une autre façon de faire jaillir l'étincelle et le sourire de la compréhension dans les yeux de ceux qui le regardent. Il ne doit pas le penser entièrement, puisqu'aujourd'hui, il retrouve une position académique et se consacre à la philosophie des mathématiques (il se « flagelle » dans les très belles pages du paragraphe intitulé mélancolie...) La fin de l'ouvrage est consacrée à ce regard plus intellectuel, plus distant, et donc plus juste, sur le rôle des mathématiques sur les différentes composantes de notre société.

Voici réellement un très beau livre, intelligent, sans concessions, écrit dans l'esprit des Confessions, à recommander à tous ceux qui pensent que les maths ont gâchés leur vie et à ceux qui, au contraire, estiment qu'elles ont remplies leur existence. A recommander également à ceux qui débutent leur apprentissage pour leur montrer que malgré l'aridité du voyage, les promesses dont ils entendent constamment parler, sont effectivement tenues à l'arrivée.

Henri Lemberg

16 octobre 2009

L'enseignement des sciences

Blog ciep
A l’heure où l’on regrette la désaffection des élèves et des étudiants pour les filières scientifiques, on s’intéressera à la dernière livraison de la Revue internationale d’éducation éditée par le CIEP (Centre international d’études pédagogiques) qui propose un dossier complet sur le « renouveau de l’enseignement des sciences » (n°51, 158 p., 13,90 €). La contradiction n’est qu’apparente dès lors que l’on envisage la question sous l’angle international, ce que réalisent la coordonatrice du dossier, Florence Robine, et ses contributeurs, avec une série d’études de cas (Chine, Inde, Royaume-Uni, Sénégal, Serbie, Suède), une enquête sur le « projet européen de formation des enseignants » et une substantielle introduction en forme de plaidoyer : « Réformer l’éducation scientifique : une prise de conscience mondiale ».

Vincent Duclert

15 octobre 2009

Un inédit de Renan

Blog renan
La connaissance de l’œuvre d’Ernest Renan, savant majeur du XIXe siècle français, vient de progresser décisivement avec la publication d’un manuscrit de jeunesse, une histoire – couronnée en 1848 par l’Académie des inscriptions et belles-lettres – de l’étude de la langue grecque dans l’Occident de l’Europe depuis la fin du Ve siècle jusqu’à celle du XIVe. Cet ouvrage de 700 pages imprimées, repéré par Pierre Vidal-Naquet, est aujourd’hui édité par Perrine Simon-Nahum * qui a patiemment annoté ce texte capital, guide de la vie et l’œuvre de Renan (éditions du Cerf, coll. « Patrimoines », 802 p., 69 €). Dans l’Histoire du peuple d’Israël, il confiait : « En inventant l’histoire, le Grec inventa le jugement du monde, et, dans ce jugement, l’arrêt de la Grèce est sans appel. »

Vincent Duclert

* et Jean-Christophe de Nadaï pour la traduction des textes latins et grecs.

13 octobre 2009

Déchets

Blog nucléaire
La chaîne Arte diffuse ce soir à 20h45 le documentaire Le cauchemar du nucléaire et co-édite en même temps, avec les éditions du Seuil, le livre qui a servi de support au film, Déchets. Le cauchemar du nucléaire, de la journaliste d’investigation, spécialiste du nucléaire et des sujets environnementaux au journal Libération, Laure Noualhat (215 p., 18 €). Il s’agit d’une enquête fouillée qui replace la question du nucléaire dans le contexte démocratique, soulignant ainsi que celle-ci n’a jamais fait l’objet d’un véritable débat public. L’astrophysicien Hubert Reeves rappelle pour sa part, dans sa préface de savant, qu’une solution existe à la hausse exponentielle de déchets difficilement retraitables : réduire la consommation d’électricité dans le monde. « Faire mieux, avec moins ».

Vincent Duclert

09 octobre 2009

Discours de la méthode

Une nouvelle édition du Discours de la méthode, Essais (Dioptrique, Météores, Géométrie) et autres textes mathématiques (Traité de mécanique), est parue aux éditions Gallimard, sous la direction de Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner. Une initiative de la collection « Tel », à saluer (826 p., 17,5€).

Vincent Duclert

08 octobre 2009

Comment je vois le monde

Les éditions Flammarion et le quotidien Le Monde (également partenaire de La Recherche) organisent depuis le 1er octobre une opération en faveur des « livres qui ont changé le monde », à savoir les textes fondateurs de la société d’aujourd’hui, qui ont posé les bases d’une science, qui ont durablement modelé les mentalités, ou qui ont initié des combats pour la tolérance, la justices, les « minorités », etc. La liste des vingt fait apparaître une majorité d’œuvres appartenant au corpus des chercheurs, de L’origine des espèces de Charles Darwin (avec une introduction de Jérôme Picon, selon la traduction révisée par Daniel Becquemont, et au prix de lancement d’un euro) à Max Weber (pour L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme) en passant par Albert Einstein (Comment je vois le monde), Emile Durkheim (Les règles de la méthode sociologique) ou Louis Pasteur (Ecrits scientifiques et médicaux). Une initiative salutaire pour permettre aux étudiants de se constituer une première amorce de bibliothèque de fonds, et qui devrait se prolonger au-delà des vingt premiers titres. D'autant que le choix initial pourrait faire l'objet d'amendements certains, De l'esprit des lois de Montesquieu à Jean Jaurès et Les Preuves en passant par le Discours sur deux sciences nouvelles de Galilée. Chacun pourra réfléchir en tout cas à sa bibliothèque idéale. Chaque volume est vendu au prix de 4,90 € pour 200 à 300 pages. L'ouvrage d'Albert Einstein, paru en 1934 aux éditions Flammarion, est disponible avec Le Monde ce jeudi 8 octobre.

Vincent Duclert