Vous êtes sur BLOGS > le blog des livres « juillet 2009 | Accueil | septembre 2009 »

août 2009

31 août 2009

Pourquoi les crises reviennent toujours

Blog krugman 2009 La crise financière, économique et sociale que le monde traverse une nouvelle fois a conduit le prix Nobel d’économie 2008 Paul Krugman, professeur au MIT, à refondre son ouvrage de 1999 écrit à la suite d’une autre déflagration, la crise asiatique des années 1990. Le Seuil publie opportunément, dans une rentrée placée sous le signe de l’incertitude autant que l’inquiétude, cet essai analytique et critique qui tente de prouver que les sciences de l’économie peuvent encore affronter les crises insaisissables (Pourquoi les crise reviennent toujours, traduit par Joëlle Cicchini, coll. « économie humaine », 203 p., 17 €).

Vincent Duclert

28 août 2009

La Recherche, Nouvelle Formule

Blog une Le numéro de La Recherche daté septembre, et en kiosque déjà depuis jeudi, inaugure la nouvelle formule de La Recherche. Cela signifie un nouveau design, une nouvelle mise en page et, sur le fond, une organisation volontariste fondée sur trois grandes parties, « actualités », « savoirs », « idées », lesquelles sont elles-mêmes structurées sur de grands sujets, des rubriques phares, des dossiers. La grande innovation réside aussi dans la dernière partie, « idées », qui transforme toute la fin du journal en lui donnant une cohérence qu’elle n’avait pas. Entretien du mois, déchiffrage, grand débat, question d’éthique, histoires de science, et bien sûr idées-livres* qui conserve le fameux « livre du mois », la non moins fameuse chronique « Lu d’ailleurs » confiée depuis près d’un an à la journaliste de Québec Science Noémi Mercier, et un nouveau rendez-vous, « Touche pas à ma science », où un journaliste de la rédaction s’indigne contre la mauvaise science et les faux savants. Ne l’oublions pas, les livres seront aussi plus que jamais à la Une du Blog des Livres qui reprend dès lundi son rythme de croisière quotidien.

Bonne lecture de La Recherche, et comme l’écrit dans son éditorial Aline Richard, directrice de la rédaction, « n’hésitez pas à nous faire part de vos remarques, elles nous sont essentielles pour nous améliorer. » On l’a comprit, tout l’enjeu de cette nouvelle formule est d’instaurer une nouvelle relation entre la science et la société, une relation que La Recherche a à cœur de porter et d'inventer avec ses lecteurs.

Vincent Duclert

 

*rubrique désormais confiée à Sylvie Gruszow, rédactrice en chef adjointe.

26 août 2009

Un canot rouge

Blog queffelec

Un canot rouge, un canot de trop. Il est au cœur du livre enquête de Yann Queffélec qui revient sur le naufrage du Bugaled Breizh (Adieu Bugaled Breizh, Editions du Rocher, 2009, 17 €). Ce chalutier breton de 24 m de long a sombré au sud du cap Lizard le 15 janvier 2004 et emporté avec lui ses 5 membres d'équipage. Pour une grande partie du monde maritime, l'enquête officielle n'a abouti à aucune conclusion satisfaisante et a refusé de prendre effectivement en compte les nombreux sous-marins manœuvrant ce jour-là dans la zone où chalutait le Bugaled Breizh.

L'enquête de Yann Queffélec démontre la possibilité de cette rencontre dramatique entre un sous-marin et les câbles du chalut : le bateau de pêche arraché de la surface étant entrainé par 80m de fond en quelques secondes. Queffelec connaît la mer, les bateaux et les gens de mer. Il ne tolère pas que le silence persiste et que la vérité soit tue.

Un canot de sauvetage rouge a été retrouvé sur la zone du naufrage. On l'a fait disparaître presqu’immédiatement. Il n'appartenait pas au Bugaled Breizh.

Stéphane Tirard

24 août 2009

2009. Lire et relire Darwin – 3

Blog lille

Installé à Down, à partir de 1839 Darwin travailla assidûment à sa théorie, dont la maturation dura deux décennies. En 1844, il en réalisa une ébauche, sans intention de la publier, sauf en cas de décès. La réédition française de ce texte date de 1992 et mérite d’être rappelée en cette année Darwin. (Charles Darwin, Ebauche de l'origine des espèces (Essai de 1844), Lille, Presses Universitaires de Lille, 1992.)

Il est intéressant de consulter cette ébauche pour bien percevoir l'ambition de Darwin. La courte introduction de Daniel Becquemont, qui a établi cette édition française, en la commentant et en révisant la traduction de Charles Lameere qui datait de 1925, est à cet égard très éclairante.

En 1844, Darwin a déjà posé les principaux fondements de sa théorie : « analogie entre sélection naturelle et sélection domestique, existence de variations favorables, lutte pour la vie, survivance, sélection à l'œuvre dans la nature par préservation et accumulation des variations favorables. » (Becquemont p. 15) En outre le plan de cette ébauche, annonce celui de l’origine des espèces par de nombreux points communs. Il reste que la comparaison des deux textes révèle une différence importante soulignée par Becquemont : Darwin, en 1844, ne croit pas à l’existence de variations nombreuses à l’état sauvage, c’est son travail sur les Cirripèdes en 1851 qui l’en convaincra et l’on sait combien le concept de variation est central dans la théorie de 1859.

Pendant les quinze années suivantes, outre le développement de ce crucial acquis théorique, Darwin accumula de nouveaux faits et affina sa conception de la sélection naturelle, tout en semblant toujours repousser la publication de la grande synthèse qu'il projetait. Il fallut l’arrivée de la théorie de Wallace pour le décider à publier son texte en 1859, … dans l’urgence.

Stéphane Tirard, Centre François Viète, Université de Nantes

18 août 2009

2009 : Lire et relire Darwin – 2

Blog darwn

De retour de son voyage de cinq années (1831-1836) autour du monde sur le navire le Beagle, Darwin s’installe à Londres et s’impose comme un naturaliste des plus prometteurs. C’est durant cet épisode londonien qui précède son installation à Down en 1839, qu’il rassemble dans son carnet B des courtes notes sur la « transmutation des espèces ».

Comme l’indique Maxime Rovere qui a traduit, préfacé et commenté cette édition du carnet B (Charles Darwin, Le corail de la vie Carnet B (1837-1838), Paris, Rivages poche, 2008, 8,5 €) : « Les carnets révèlent une écriture entièrement personnelle : lorsqu’il prend des notes, Darwin n’écrit pas. Il réfléchit. » Ce carnet montre en effet la pensée de Darwin en action : il note des questions à poser à des collègues, des projets d’expérimentations, des remarques issues de lectures, des idées parfois des plus fondamentales : « Toute espèce change. Est-ce qu’elle progresse ? » (p. 50)

Ces lignes témoignent d’une période fondatrice et féconde dans le développement de sa théorie et des objectifs fondamentaux semblent fixés dès ces premiers pas. Ainsi, Darwin affirme-t-il : « La grande question que tout naturaliste doit toujours avoir sous les yeux lorsqu’il dissèque une baleine ou classe un acarien, un champignon ou un infusoire est ‘’ Quelles sont les lois de la vie ?’’ ». Faut-il alors s’étonner de trouver, environ vingt après, dans les derniers paragraphes de l’origine des espèces, un rappel des lois qui selon Darwin agissent sur les être vivants : « la loi de la croissance et de reproduction ; la loi d’hérédité qu’implique presque la loi de reproduction ; la loi de variabilité, résultant de l’action directe et indirecte des conditions d’existence, de l’usage et du défaut d’usage ; la loi de la multiplication des espèces en raison assez élevée pour amener la lutte pour l’existence, qui a pour conséquence la sélection naturelle, laquelle détermine la divergence des caractères, et l’extinction des formes moins perfectionnées. » (Charles Darwin, L’Origine des espèces, Paris, Garnier-Flammarion, 2008, p. 563)

La préface de ce volume rend bien compte de l’intensité de la réflexion de Darwin et de sa conscience des enjeux que présente la théorie qu’il pressent. Regrettons toutefois que le cadre historique et les auteurs cités par Darwin ne se voient pas accorder plus d’espace, cela aurait permis d’éviter des raccourcis usant de la notion de « précurseur ». En effet, ce carnet, témoignage d’un moment épistémologique crucial, est à lire tant en regard de l’Origine des espèces, qu’en fonction de certaines des œuvres que Darwin analyse et critique. De nombreuses notes portent sur des ouvrages de Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier, Lyell… autant de théories qui nourrissent la réflexion du naturaliste sur la relation si complexe à établir entre l’histoire de la terre et celle des espèces.

Stéphane Tirard, Centre François Viète, Université de Nantes

12 août 2009

Emile Papiernick

Blog emile 3 La mort, le 8 août dernier *, à 73 ans, du professeur Emile Papiernik, ancien chef de service des maternités Antoine-Beclère à Clamart et Port-Royal à Paris, fait disparaître un grand médecin souvent iconoclaste, très engagé dans la médecine publique et l’égalité des soins, et dont la réflexion critique comme la pratique clinique permirent des avancées remarquables de la médecine, et notamment la naissance du premier « bébé-éprouvette » français conçu avec deux autres médecins, René Frydman et Jacques Testart**. Fils d’un tailleur polonais mort au camp d’Auschwitz, il avait mené de nombreuses campagnes, souvent couronnées de succès, en faveur d’une meilleure médecine obstétrique, gynécologique et périnatale (anesthésie péridurale, échographie fœtale, monitorage, prévention de la prématurité). Il avait soutenu le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse et fut l’un des premiers chefs de service à pratiquer des IVG, disposition qui contribuait à la liberté de choix des femmes pour lesquelles il s’engagea résolument, en obtenant par exemple le congé maternité prolongé en cas de maladie ou de fatigue. Liant toujours pratique médicale et critique de la médecine, il avait publié de nombreux ouvrages, des collectifs strictement scientifiques, des guides d'un large accès, des essais engagés, autant de livres souvent majeurs comme Les passeurs de vie en 1998, Le prix de la vie en 1999, et plus récemment, en 2008, La maternité, progrès et promesses (Odile Jacob, 316 p. 23 €). Grand médecin humaniste, à l’instar du docteur Pierre Simon, gynécologue très impliqué dans le mouvement du Planning familial et disparu en mai 2008, Emile Papiernik a exercé sur la gynécologie-obstétrique une influence nécessaire et salutaire qui n’est pas prête de s’éteindre.   

Vincent Duclert

*Ses obsèques ont lieu aujourd’hui au cimetière parisien de Bagneux.

**La photographie (source AFP) de la conférence de presse commune annonçant la naissance d’Amandine, prise le 24 février 1982 à l’hôpital Béclère, montre des numéros de La Recherche sur la table derrière laquelle sont assis les trois médecins pionniers (le professeur Papiernick est à droite sur la photo).

Blog emile 2 AFP

10 août 2009

2009. Lire et relire Darwin – 1

Blog tirard 2009 est l’année Darwin car nous célébrons à la fois les 200 ans de la naissance du naturaliste anglais et les 150 ans de la parution de L’origine des espèces. Cette année est donc propice à la publication de nombreux ouvrages sur l’œuvre du naturaliste anglais et également à l’édition, ainsi qu’à la réédition de ses œuvres. Dans les jours qui viennent nous nous proposons de consacrer quelques notes à des livres récemment publiés qui marqueront cet anniversaire.

A tout seigneur tout honneur commençons par L’origine des espèces, le maître livre de Darwin. Chacun aura intérêt à lire cette œuvre fondamentale pour la biologie dans sa langue d’origine. Il suffit pour ça de se procurer un volume reprenant la première édition de 1859 (Voir notamment : Charles Darwin, The origin of Species, London, Penguin Classics, 1985). Il reste que l’appui d’une traduction éclairée sera plus que précieux pour entrer dans cette théorie qui constitue un objet épistémologique complexe et qui n’est pas sans poser de délicats problèmes de traduction.

Fin 2008, Flammarion a proposé aux lecteurs français une édition mise à jour de cet ouvrage (Charles Darwin, L’Origine des espèces, coll. Garnier, novembre 2008, 619 p., 11,80 €). Il s’agit de la traduction d’Edmond Barbier, revue par Daniel Becquemont, angliciste et historien des sciences, spécialiste de l’évolution, et présentée par Jean-Marc Drouin, philosophe et historien des sciences de la vie. Cette nouvelle édition vient parfaire le travail de la précédente datant de 1992 et réalisée également par Becquemont et Drouin.

Une brève histoire des éditions anglaises de l’ouvrage de Darwin et de leurs traductions en français est relatée dans une note importante proposée par Becquemont. Retenons que des éditions anglaises successives (1859, 1860, 1861, 1866, 1869, 1872, 1876), et qui contiennent des modifications très substantielles, il n’y eut que trois traductions complètes en français. Ainsi, la troisième édition anglaise fut confiée à Clémence Royer qui publia en 1862 (chez Guillaumin) une traduction idéologiquement contestable dans laquelle Darwin lui-même ne reconnut pas son œuvre. En 1873, l’éditeur Reinwald publia une nouvelle traduction du naturaliste suisse J.-J. Moulinié, réalisée à partir des cinquième et sixième éditions anglaises. Puis, en 1876, Edmond Barbier proposa une troisième traduction, cette fois à partir de l’ultime édition anglaise.

Le travail de Becquemont et Drouin a consisté à nous donner une traduction actualisée de la première édition de l’Origine des espèces en se fondant sur le travail de Barbier. Il s’agit donc d’une reconstitution qui, outre d’indispensables rectifications de la traduction elle-même, a appelé la suppression de passages ajoutés par Darwin au fil des éditions successives (notamment un chapitre entier) et des rajouts de passages, qui au contraire avaient été supprimés. C’est ce travail que Becquemont et Drouin ont approfondi encore dans cette nouvelle édition qui s’impose comme une lecture indispensable en cette année Darwin.

Stéphane Tirard, Centre François Viète, Université de Nantes

07 août 2009

Aventures spatiales

Blog kress Un thème classique de la science-fiction : la rencontre avec des extra-terrestres conduit les hommes à réfléchir à ce qui caractérise la nature profonde de leur humanité. Nancy Kress, avec ce Feux croisés (Fleuve Noir, 2009, 376 p., 22 €), se montre à la hauteur. Soient donc quelques milliers de terriens qui s'offrent un aller sans retour vers une planète surnommée « Forêtverte » qui semble plus accueillante que la Terre, à plus de soixante années-lumière de celle-ci. Un groupe de « neo-quakers », adeptes du silence et de la non-violence, des chinois, des arabes, des « Cheyennes » qui ont négocié un retour à la nature, et quelques autres groupes assez riches pour s'offrir le voyage doivent coopérer et cohabiter dans un monde pas vraiment hostile, mais pas vraiment accueillant non plus : seule une sonde a précédemment envoyé des informations sur la végétation et la faune, et il faut d'abord découvrir ce qui est comestible, ce qui ne l'est pas, ce qui est éventuellement dangereux. Heureusement, l'évolution faisant bien les choses, mêmes si les organismes autochtones sont fondés sur l'ADN, leur génétique est assez différente de la nôtre pour que d'éventuels pathogènes n'aient pas d'effet sur les hommes.

Mais la véritable aventure pour ces pionniers, ou plutôt pour un petit groupe d'entre eux, c'est la rencontre avec les indiens, pardon, les extraterrestres. Deux espèces, en l'occurrence, dont aucune n'est originaire de la nouvelle planète, mais qui s'affrontent depuis une durée indéterminée. L'une, surnommée « les velus » faute de mieux, nous ressemble : à base d'ADN, bipède, à fourrure, technologique et violente. L'autre, « tige », est de nature totalement différente : inorganique, mais d'organisation analogue à celle de végétaux, avec des compétences biochimiques de pointe, et non violente (en tous cas, elle ne tue pas ses adversaires). Les humains doivent-ils choisir un camp? Et lequel? Celui des velus, qui se comportent plus ou moins comme nous, mais qui profitent de leur armement supérieur pour traiter les humains comme de vulgaires pions dans leur guerre? Ou celui des tiges, qui préfèrent réaliser des manipulations biologiques sur leurs adversaires pour amener ceux-ci à la raison? Les humains sont divers, par leur histoire et par leurs options philosophiques et éthiques : ils seront tentés par des choix différents. Il est peut-être un peu dommage que l'auteur ait poussé trop à l'extrême les attitudes antagonistes des deux espèces d'aliens, résolvant finalement son action sans ambigüité, en sauvant la morale (les gentils sont récompensés). Un peu plus de zones grises n'auraient pas nui.

Luc Allemand, La Recherche

05 août 2009

Le liseur

Blog liseur Le film réalisé par Stephen Daldry * a remis en lumière, comme classiquement avec le cinéma, le roman qui a fondé son scénario, à savoir Le liseur de l’allemand Bernhard Schlink, paru en 1995 et traduit l’année suivante aux éditions Gallimard par Bernard Lortholary (coll. « Folio », 1999-2009, 245 p., 6 €). Le réalisateur et le scénariste (David Hare) sont assez fidèles au livre. Ils décrivent précisément cette génération perdue des enfants du nazisme ** et cette thématique du handicap – l’analphabétisme en l’occurrence – qui conduit l’héroïne du roman, Hanna Schmitz, à opter à l’époque nazie pour une carrière de gardienne SS dans les camps de la mort puis, vingt ans plus tard, à refuser de faire valoir la vérité lors de son procès en raison de la honte qui l’attachait à cette infirmité : elle déclare sous serment avoir écrit un rapport accablant, un aveu qui précipite sa condamnation aux plus lourdes peines alors que ses co-accusées, toutes aussi coupables, s’en sortent beaucoup mieux qu’elle.

Le narrateur du livre et du film a assisté au procès comme jeune étudiant en droit (il deviendra par la suite historien du droit). Il sait que Hanna Schmitz, qui fut sa maîtresse lorsqu’il avait quinze ans et qui l’initia à l’amour, était incapable de lire et d’écrire. Il ne dit rien finalement, considérant qu’elle avait droit au secret sur son secret. En prison, en lui adressant des cassettes de livres qu’il lut pour elle – comme au temps de leur amour, mais aussi au temps de son service dans les camps où elle faisait lire des femmes déportées avant de les envoyer à la mort -, il lui permit de vaincre l’analphabétisme et d’accéder à l’écriture puis à la lecture. Elle put alors apprendre dans les livres ce qu’avait représenté le système d’extermination nazi auquel elle avait contribué – poussée par son impossibilité à surmonter son handicap.

Le film et plus encore le livre exposent à petites touches cette forme de rédemption de la même manière qu’ils soulignent l’importance de la justice pour comprendre les motivations des bourreaux et plonger dans la vérité de leurs actes autant que de leurs responsabilités. Ceci est exposé de manière particulière, décalée, puisque ce n’est pas le procès de Hanna Schmitz qui permit d’atteindre ce but, mais plutôt la relation interrompue de cette femme et de cet homme hanté par son amour d’adolescent. Il n’y a pas d’excuses à la violence passée de l’ancienne gardienne de camp, il y a seulement la conviction de Bernhard Schlink que la compréhension des ténèbres les plus obscures de l’âme humaine permet de conjurer la logique inexorable des bourreaux et de la destruction des faibles. Tout cela devait être dit et écrit, et le roman s’achève du reste sur l’aveu, par le narrateur, du projet d’écrire le livre de cette histoire, ce que le film ne révèle pas, bien à tort car la volonté de communiquer une telle vérité aurait permis de desserrer quelque peu l’atmosphère oppressante voulue par le cinéaste. En plus, le romancier propose à la génération qu'il veut incarner une voie pour surmonter le nazisme de leurs parents. Ce qui n'est pas rien.

Vincent Duclert

* L’un des producteurs du film était Sydney Pollak, décédé en août 2008.

** Voir le passage p. 189.

02 août 2009

Beyond Bloomsbury : Designs of the Omega Workshops 1913-1919

Blog renée

Une exposition au Courtauld Gallery de Londres en ce moment (jusqu’au 20 septembre) fournit l’occasion de voir quelques processus du design expérimental à l’œuvre dans les Ateliers Omega, fondé par Roger Fry, artiste et critique d’art qui a notamment joué un rôle important dans l’introduction de l’art post-impressionniste en Angleterre. En effet, les arts décoratifs de l’atelier : céramiques, meubles, tapis, paravents, textiles, etc. se sont inspirés des mouvements avant-gardiste en Europe. Ainsi, des client(e)s de l’Omega, dont l’atelier et magasin étaient situés dans une maison géorgienne dans le quartier devenu célèbre de Bloomsbury (le nom éponyme donné à la coterie littéraire et artistique autour notamment de Virginia Woolf et sa sœur Vanessa Bell, co-directrice de l’Omega), pouvaient procurer une étole « Fauve », une chaise ou un tapis d’inspiration cubiste. Tâches de couleurs vives et motifs abstraits prédominent dans les objets et les dessins.

Un excellent catalogue, soigneusement édité par Alexandra Gerstein, conservatrice au Courtauld, et avec une introduction de Christopher Reed, spécialiste dans les arts visuels concernant les artistes de Bloomsbury, permet de mieux comprendre le rôle innovateur de l’Omega dans l’histoire du design en Angleterre et « au-delà » (Beyond Bloomsbury, Designs of the Omega Workshops 1913-1919, the Courtauld Gallery/Fontanka Press, 2009, 144 p., 42 €). A côté de l’histoire souvent galvaudée de Bloomsbury, il faut signaler la nouveauté remarquable dans les contributions de sept spécialistes (surtout des historien(ne)s de l’art) à travers des nouvelles archives exploitées et des nouvelles perspectives évoquées. Parmi les thèmes explorés : les relations entre art et industrie ou l’art moderne et la mode (avec la participation des couturières françaises !), mais aussi l’art moderne et l’internationalisme et notamment la fonction sociale de l’art et du théâtre comme l’expression d’une sous-culture pacifiste pendant la première guerre mondiale. Un exemple de l’étendu de l’esprit Omega se trouve dans des sacs à main décorés des motifs géométriques, brodés par des refugiées françaises et belges dans le nord de la France, sous la direction des sœurs de Fry, pour une organisation Quaker qui œuvrait pour aider les victimes de la guerre. Signalons enfin en appendice au catalogue 70 dessins inédits de l’Omega, d’une actualité étonnante, donnés au Courtauld par la fille de Roger Fry.

Renée Champion