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17 décembre 2008 |

Les taches solaires

Blog taches La littérature de fiction courante ne fait guère de place à l’activité scientifique, sauf à la prendre, mais trop rarement eu égard à son importance dans notre société, comme thème central. Elle est en règle générale la grande oubliée de la production romanesque, quitte à ce que, de temps en temps, l’intrigue, souvent policière en la circonstance, prenne pour cadre un laboratoire et pour acteurs principaux des chercheurs et chercheuses.

Mais qu’un personnage de roman soit scientifique, comme d’autres sont médecins ou garagistes, et que, comme ces derniers, il vive des aventures sans rapport nécessaire avec sa profession qui n’est alors que l’un des éléments rendant riche et crédible la fiction, voilà qui est singulièrement rare. C’est en quoi ce roman de Jean-François Chassay, Les taches solaires (Boréal, Montréal, 2006, 376 p.) mérite attention. Son narrateur et finalement acteur est un astrophysicien contemporain, qui s’assume comme tel et ne se prive pas pour évoquer au fil des pages ses préoccupations scientifiques, tant théoriques qu’institutionnelles. Mais le ressort romanesque du livre n’a rien à voir avec la science, puisqu’il s’agit d’une tragi-comique saga familiale québécoise couvrant près de trois siècles, et qui, pour le lecteur français a le charme parfois déroutant des « quelques arpents de neige » d’Outre-Atlantique. La réussite du livre tient précisément à la combinaison entre le caractère contingent de la profession scientifique du narrateur et la façon essentielle dont elle colore sa vision du monde et le style de son récit. On ne s’en étonnera pas, sachant que l’auteur est professeur au département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, où il dirige le groupe Sélectif ("Savants et espace du laboratoire : épistémo-critique de textes irrigués par la fiction"), et que son domaine de recherches privilégié porte sur la représentation littéraire des scientifiques et du discours scientifiques. Mais on lui saura gré d’explorer par l’exemple une voie originale d’« irrigation par la fiction » — le terme étant ici d’autant plus approprié que ce roman est une histoire d’eaux, où fleuves, canaux et bassins jouent un rôle essentiel et parfois assassin.

Jean-Marc Lévy-Leblond, université de Nice-Sophia Antipolis

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