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20 août 2008 |

Imaginaire social et folie littéraire

Blog_popovic En se penchant sur le cas de Paulin Gagne, Pierre Popovic amène à repenser complètement la manière dont on abordait, jusqu’à aujourd’hui, ces auteurs méprisés rassemblés sous le vocable « fous littéraires », qui font le plus souvent l’objet d’une curiosité amusée de la part des amateurs (Pierre Popovic, Imaginaire social et folie littéraire, Le second Empire de Pierre Gagne, Presses de l’Université de Montréal, 2008, 372 p., 31 €). La catégorie de « fou littéraire » a été forgée dans les années 30 par Raymond Queneau, explorateur passionné de la Bibliothèque Nationale de France, d’où il a extrait de nombreuses perles inclassables, textes improbables écrits par quelques inventeurs farfelus ou autobiographies délirantes déjà collectionnées au XIXe siècle, notamment par Nodier. Le point commun de tous ces textes était, selon Queneau, leur caractère culturellement inassimilable : scientifiquement inacceptables, littérairement abscons, ils ne peuvent dès lors donner lieu qu’à une lecture au second degré qui s’attache à les traiter comme des curiosités esthétiques. André Blavier, héritier de ce travail, reprit le concept en le rendant, s’il était possible, encore plus flou. Même quand ces écrits sont rassemblés autour de thèmes démontrant de facto la pertinence d’un traitement historique, on s’attache le plus souvent à les traiter comme des hapax en mettant l’accent sur leur insurmontable singularité. Monique Plaza, dans Littérature et Folie (PUF, 1985) avait pourtant mis en garde contre pareille lecture, arguant à propos des « textes bruts », qui subissent un traitement comparable, que leurs auteurs, pour être internés, n’en étaient pas pour autant « retranchés hors société ni hors culture ». La remarque vaut plus encore pour ces écrivains bizarres et inclassables que sont les « fous littéraires ». Pierre Popovic les réintègre avec habileté dans le champ de la culture légitime pour interroger le sens de leur production.
Il rattache ainsi les écrits de Paulin Gagne, écrivain malheureux et raillé par tout ce qui comptait sous le Second Empire, au contexte historique, social et culturel dans lequel il s’insère, surprise, à merveille. A propos de son texte-clé, Le Suicide, Pierre Popovic montre par exemple l’opposition idéologique de Gagne au romantisme et sa tentative de ralliement à la frange conservatrice de la littérature de l’époque. Il offre une remarquable analyse des contradictions internes qui régissent son poème contaminé malgré lui par l’esthétique romantique, « paradoxe pragmatique [qui] étale tant ce qu’il dénonce qu’il le rend fascinant alors même qu’il le renie », et jette ainsi un éclairage neuf sur le rejet unanime dont son œuvre a fait l’objet. Ces textes réputés illisibles prennent alors sens et cohérence, dévoilant toute la pertinence de cette lecture qu’on aimerait voir reconduite sur d’autres « fous littéraires », avant de voir  la catégorie disparaître.

Anouck Cape, Université de Paris X-Nanterre

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