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juin 2008

19 juin 2008

Races, racisme et antisémitisme

Blog_reynaud Carole Reynaud Paligot avait publié sa thèse, en 2006, aux Presses universitaires de France, sous le titre la République raciale 1860-1930. Elle y étudiait l’effort de la science française pour construire la catégorie de la race, qu’elle appela « paradigme racial » et qu’elle confronta avec l’idéologie républicaine de cette époque. L’historien Christophe Charle, qui signa la préface du livre, y voyait là « le projet transversal du livre […] : retrouver comment, à l’échelle de deux, voire trois générations de savants, a été constitué un paradigme scientifique (au sens de Thomas Kuhn) qui a occupé une position dominante dans les institutions scientifiques. Mais, ajoute-t-il avec raison, à la différence des paradigmes des sciences mieux établies, ce mode d’appréhension de l’histoire de l’humanité, à partir de critères qui se voulaient aussi rigoureux que ceux des sciences de la nature, a plus largement structuré la vision de l’histoire de l’humanité d’élites républicaines qui, dans le même temps, se lançaient dans l’aventure impériale et se trouvaient donc confrontées aux ‘races’ que ce paradigme définissait, hiérarchisait, classait, et auquel il assignait une position ‘naturellement’ subordonnée, justifiant ainsi leur domination et sujétion. » En combinant l’histoire des sciences, l’histoire intellectuelle et l’histoire administrative, Carole Reynaud Paligot réussissait dans son entreprise et produisait un livre important pour comprendre les relations entre science et idéologie. Son second livre, paru également aux PUF il y a quelques mois (Races, racisme et antiracisme dans les années 1930, coll. « Science, histoire et société », 173 p., 20 €), approfondit et décale dans le temps, sur les années 30, cette question de l’anthropologie raciale et de sa contradiction avec « les principes universalistes de la République » : « savants, hommes politiques et administrateurs coloniaux ont partagé, à des degrés divers, ces représentations différencialistes et inégalitaires du genre humain. » L’ouvrage propose une recherche excellente, à une réserve près, l’absence d’une étude méthodique de ce que sont précisément ces « principes universalistes de la République » fondant l’antiracisme et auxquels sont confrontées les « représentations inégalitaires de l’altérité », ne serait-ce que pour apprécier le recul d’un modèle égalitaire ou sa survivance décisive. Mais, comme l’écrit l’auteur, « cette contribution à l’étude de la culture républicaine […] n’est pas close ». A suivre donc, aux PUF certainement.

Vincent Duclert, EHESS

18 juin 2008

La stratégie européenne de Lisbonne

Blog_bruno À l’heure des réformes des systèmes de recherche européens, voilà un ouvrage d’analyse salutaire. Issu d’une thèse de doctorat, il est consacré au déploiement d’un objectif stratégique décidé lors d’une réunion extraordinaire du Conseil européen à Lisbonne en mars 2000 : la transition vers une société et une économie fondées sur la connaissance et l’accélération des réformes structurelles pour renforcer la compétitivité et de l’innovation. En s’inscrivant au croisement de plusieurs courants de recherche, Isabelle Bruno s’attache à montrer comment la stratégie de Lisbonne inaugure une démarche originale avec le dispositif de coopération intergouvernementale dit Méthode Ouverte de Coordination et que cette ingénierie managériale transforme profondément les modes de pilotage et d’administration des activités de recherche. La démonstration en plus d’être convaincante donne largement matière à la réflexion (À vos marques®, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche,Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008, 270 p., 18,50 €). Dans l’analyse des pratiques et des discours qui participent à fonder un Espace Européen de la Recherche, l’auteur accorde une attention particulière aux instruments de gouvernement, en particulier au benchmarking. Cet outil issu du monde de l’entreprise et adapté à un ensemble d’institutions par le New public management, installe l’incitation et l’émulation comme mode de fonctionnement C’est par la valorisation des performances, leur quantification et la publicité de leur classement, qu’il plie les dirigeants à la discipline d’une gestion par objectifs dans laquelle les modes de « pilotage » et de « gouvernance » font des savoirs collectifs des sources de production d’innovations (brevetables) et d’outils de développement et de compétition économiques. Cette européanisation par le chiffre qui installe et réactualise la « grandeur compétitive » comme mesure de toute chose a de profond effets politiques et sociétaux. Ils n’ont pas fini de se manifester.

Soraya Boudia, université Louis Pasteur, Strasbourg.

17 juin 2008

Réforme du CNRS. Une déclaration

Blog_cnrs_2 Le Blog des Livres / La Recherche reproduit ici la « Déclaration commune du président du Conseil scientifique de département et des présidents des sections du département des sciences humaines et sociales », en réaction aux décisions ministérielles récentes (Post du 21 mai 2008 notamment).

«

Suite au «Point d’étape» sur la réforme du CNRS qui (à son point IV) impose aux sciences humaines et sociales l’exigence d’un «travail supplémentaire de structuration», et suite à la présentation, lors du Conseil scientifique du 10 juin, d’un tout nouveau projet proposant en conséquence un Institut composé de «départements» dont les périmètres et les intitulés même n’avaient jamais été portés à leur connaissance auparavant, les présidents des sections de l’actuel département et le président de son Conseil scientifique, réunis ce 13 juin, expriment leur étonnement et leur incompréhension communes devant les conditions particulières préalables qui sont ainsi posées, de manière spécifique et discriminatoire, à l’éventuelle création d’un Institut national des Sciences humaines et sociales.
De plus, comme l’ont de leur côté clairement indiqué le Conseil scientifique du CNRS et l’ensemble des présidents des Conseils scientifiques de département, ils considèrent comme intangible le principe d’autonomie académique respecté dans les pays démocratiques, selon lequel il appartient aux scientifiques, dans le cadre d’une politique nationale, de déterminer librement l’organisation de leur recherche.

Paris, le vendredi 13 juin 2008. Michel Blay, Président de la Section 35 ; Jean-René Cazalets, Président de la Section 27 ; Jean-Luc Fiches, Président de la Section 32 ; Martine Hossaert-McKey,Présidente de la CID 46 ; Dominique Vinck, Président de la CID 43 ; Pierre Lascoumes, Président de la Section 40 ; Francis Messner, Président de la section 36 ; Christian Pihet, Président de la Section 39 ; Daniel Fabre, Président de la Section 38 ; Pascal Petit, Président de la Section 37 ; Stéphanie Thiébault, Présidente de la Section 31 ; Jeannine Richard-Zappella, Présidente de la Section 34 ; Francois Weil, Président de la Section 33 ; Philippe Régnier, Président du CSD SHS. »

Désir d'enfant

Le docteur François Olivennes, spécialiste de la fertilité à l’hôpital Cochin, avait défrayé la chronique médico-médiatique en annonçant dans Le Monde, le 29 décembre 2006, son départ de l’hôpital public et son arrivée dans le secteur privé. Il y avait des raisons personnelles à ce choix, mais aussi des raisons liées à l’actuelle fusion des services de Cochin et de Saint-Vincent-de-Paul. Des unités spécialisées dans le traitement de la stérilité, qui ont fait la réputation des deux services, risquent de faire les frais des grandes manœuvres. On peut le regretter, tant étaient exceptionnels le professionnalisme et l’approche humaniste des médecins et sages femmes.

Blog_olivennes « A la suite d’une carrière universitaire et quinze ans passés auprès du professeur René Frydman à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, puis trois ans en tant que chef d’unité à l’hôpital Cochin, je suis aujourd’hui installé en cabinet privé », commence justement François Olivennes dans l’ouvrage qu’il a co-écrit avec la journaliste Laurence Beauvillard, N’attendez pas trop longtemps pour avoir un enfant (Odile Jacob, 2008, 285 p., 23 €). Son prix, heureusement, est aligné sur le tarif de la consultation en secteur public, c’est déjà une bonne nouvelle pour ses lecteurs. L’ouvrage mêle l’expérience empirique du médecin avec un regard sur les évolutions sociales repoussant l’âge des mères au premier enfant et des propos de bon sens. Dans le chapitre « Docteur, faites moi un enfant ! », François Olivennes aborde l’anxiété des couples en attente d’enfant et la dimension humaine de l’AMP (assistance médicale à la procréation). Devant « l’irrésistible désir de procréation », le médecin souligne la nécessité de la bonne information – qu’il délivre ici – et la réflexion qui doit s’instaurer au sein des couples pour assumer l’absence éventuelle d’enfant, entre les strictes règles françaises et les ressources nouvelles d’un marché de l’AMP à l’étranger –non sans risques et cruelles désillusions. Devant la détresse des couples nombreux qu’il a rencontrés, François Olivennes plaide pour un choix plus précoce d’enfant par la femme et par l’homme, solidaires dès ce moment. Ce n’est pas « un plaidoyer militant pronataliste tendance Vatican II », mais simplement l’expression d’une responsabilité inquiète et l’appel à penser sa vie plutôt que de l’oublier. Pour la penser mieux, il est nécessaire d'être clairement informé. Le livre du docteur Olivennes contribue à cette nécessité de l'information. Mais la question des choix de l'existence pourrait se poser pour l'auteur lui-même qui quitte à regret l'hôpital public, dit-il, et qui renonce d'une certaine manière à se battre pour la médecine à laquelle il croit.

Vincent Duclert, EHESS

16 juin 2008

Cybernétique et Information

Blog_tricot Au fond, en dépit de nombreuses publications, la cybernétique restait jusqu’ici un sujet touffu et quelque peu obscur : était-ce une discipline scientifique, une théorie, voire un concept, ayant eu leur heure de gloire, mais aujourd’hui dépassés ? A l’inverse, était-ce une philosophie, une vision politique du monde ? Ou alors n’était-ce simplement qu’un groupe de scientifiques qui s’était réuni entre le milieu des années 1940 et le milieu des années 50, à l’origine des sciences cognitives ? Objet protéiforme, la cybernétique est tout ceci à la fois, sans doute ; de plus elle s’est incarnée différemment aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Union Soviétique. Cela plusieurs auteurs l’avaient déjà montré, chacun pour un aspect. Toutefois, Mathieu Triclot est le premier à proposer avec son ouvrage (Le moment cybernétique. La constitution de la notion d’information, Editions Champ Vallon, coll. « Milieux », 2008, 422 p., 29 €) une vision aussi claire et complète de ce carrefour de résultats et de pratiques scientifiques, de personnages aussi et non des moindres (Shannon, Wiener, Von Neumann, McCullogh etc...) qui convergent dans les années de guerre et d’immédiate après-guerre aux Etats-Unis. L’auteur tient simultanément la généalogie des traditions et des concepts scientifiques : théorie de la communication, du signal, ingénierie de contrôle, transition de l’ordinateur comme calculateur à l’ordinateur comme machine à traiter de l’information, analyses des analogies cerveau- ordinateur ou information- néguentropie etc. Il poursuit les explications y compris dans leur technicité précise, il ne perd pas de vue l’ambition et l’ampleur des projets des fondateurs, avec une attention privilégiée à la figure de Norbet Wiener. La lecture est enthousiasmante par la limpidité intellectuelle et la clarté du style ; par la variété des points de vue mobilisés également : celui de l’épistémologie historique — dont l’auteur se réclame, nourrie ici d’auteurs comme Foucault ou Hacking —, celui de l’histoire, (avec les travaux des "sciences studies" sur le contexte de la guerre aux Etats-Unis essentiels pour rendre compte de la niche écologique de la cybernétique), celui de la philosophie, notamment dans l’analyse des conceptualisations divergentes à partir de l’usage de mêmes formalismes ; et enfin une attention inédite à ce que fut une politique de la cybernétique.

Amy Dahan, CNRS-Centre Alexandre Koyré.

14 juin 2008

Les médaillés du CNRS : fiers mais très inquiets

Fidèle à sa vocation d’information critique, le Blog des Livres de La Recherche reproduit ici un extrait de la pétition des médaillés du CNRS. Pour le texte intégral et l’imposante liste des signataires, voir http://medailles.recherche-enseignement-superieur.fr/

Blog_mdaille_dor « Nous, enseignants-chercheurs chercheurs ou ingénieurs des universités ou des organismes de recherche, sommes fiers de faire de la recherche. D’autant plus fiers que nous avons été distingués parmi les « Talents » français : une Médaille – d’or, d’argent, de bronze – ou un Cristal du CNRS est venu récompenser notre travail. Ce sont nos pairs – un large groupe de collègues, élus ou nommés au Comité national du CNRS – qui nous ont ainsi reconnus sur la base de nos travaux, et nous l’apprécions. D’autres parmi nous ont reçu des distinctions similaires, non moins prestigieuses, des grandes sociétés savantes. Pourtant, nous sommes inquiets. À l’heure où l’on ne nous propose plus que des financements de quelques années pour des projets très ciblés, où les formations scientifiques à l’Université se dépeuplent, où l’on ne peut souvent promettre à un brillant thésard, au terme d’un travail achevé au niveau bac + 8, que des années au SMIC, voire au RMI, à l’heure où les ITA sont menacés d’être regroupés en « pools » affectés selon les besoins aux tâches les plus urgentes, comment apprécier pleinement ces récompenses ? Le système d’enseignement et de recherche qui nous a formés est en train de péricliter. Comment se déprendre de l’impression, nous qui sommes en poste, au CNRS, dans un autre organisme de recherche ou à l’Université, qui prenons plaisir à chercher, à transmettre, et qui avons été reconnus pour cela par nos pairs, que nous serons les derniers de notre espèce, que nous n’aurons, bientôt, qu’à éteindre la lumière et fermer la porte derrière nous ? Comment apprécier notre médaille du CNRS, au moment même où cet organisme mondialement reconnu paraît être en voie de démantèlement ? »

Sociologie / histoire des sciences : guerre de tranchées inévitable ?

Blog_shin Dans un passionnant article paru dans le numéro 14 de la revue Carnets de bord en sciences sociales (décembre 2007, p. 52-64), Jérôme Lamy et Arnaud Saint-Martin font le pari de l’existence d’un espace pour des approches sociologiques et historiques. Le tandem est composé d’un historien (J. Lamy) très versé en sociologie et d’un sociologue (A. Saint-Martin) préoccupé d’histoire des sciences. L’affichage de ce type d’association est suffisamment rare pour être salué. La posture la plus fréquente demeure la guerre de tranchées reposant fréquemment sur une totale méconnaissance de l’univers de l’autre. L’un des intérêts, et non des moindres, de l’article est sa riche bibliographie dont je me contenterai d’extraire un ouvrage de référence, entrée possible pour l’historien des sciences qui souhaite faire un pas vers les sociologues. Controverses sur la science. Pour une sociologie transversaliste de l’activité scientifique de Terry Shinn et Pascal Ragouet (Raisons d’agir, 2005, 9 €) a le mérite de ne pas céder à la tentation du jargon et d’offrir une limpide structuration des différents courants de la sociologie des sciences, depuis Merton jusqu’à la proposition « transversaliste » des auteurs. Si le petit format (238 pages) amène les auteurs à quelques raccourcis et simplifications, la clarté du propos et le caractère opératoire des typologies permettent à tout lecteur de réinvestir l’analyse dans son propre champ puis de compléter son information par de nouvelles lectures fléchées par ce premier contact.

Colette Le Lay, Centre François-Viète, université de Nantes

13 juin 2008

Les mathématiques expliquées à mes filles

Lorsqu’on parle aujourd’hui de vulgarisation mathématique, on ne peut pas ne pas citer Denis Guedj. Auteur à succès de romans (Le théorème du perroquet) ou de pièces de théâtre autour des mathématiques, chroniqueur à Libération (au cours d’une vie antérieure de ce quotidien… lorsqu’on y parlait de sciences), il a parfaitement compris et intégré comment les champs scientifiques, en particulier le champ mathématique, peuvent s’offrir à des entreprises romanesques (voir à ce sujet : http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=97

Blog_guedj_2 Son nouvel ouvrage, Les mathématiques expliquées à mes filles (Le Seuil, 160 p., 9€) s’adresse à un très vaste public, qui irait de 7 à 77 ans… Vous êtes nul en maths, ou vos enfants le sont ? Il saura vous expliquer ce qu’est un raisonnement, une démonstration ou un théorème, la différence entre égalité, identité et équation. Au travers d’un dialogue entre Ray et Lola, vous apprendrez que les mathématiques ont une histoire voire une utilité. Si, dans le titre de l’ouvrage, vous mettez en exergue plus particulièrement le mot « filles », n’en déduisez pas pour autant qu’on y aborde une nouvelle explication du peu de place prise par le sexe féminin dans cette science. Il s’agit en fait d’un titre de collection où des auteurs célèbres essaient d’expliquer aux plus jeunes leurs préoccupations (hormis Roger Paul Droit qui explique l’Occident à tout le monde…) La se trouvent en fait les limites de cet ouvrage (et peut être de la collection). Il s’adresse à un public jeune, voire très jeune, et l’auteur souhaite leur faire partager son enthousiasme pour les mathématiques ; un roman ? déjà fait plusieurs fois, de l’histoire romancée ? déjà fait (Zéro chez Robert Laffon, Les cheveux de Bérénice, au Seuil), un DVD ? déjà fait (L’histoire des nombres, Gallimard) . Bien, alors ici Denis Guedj essaiera la forme directe : parler de ce qu’est « faire des mathématiques ». Pourtant, on peut en parler différemment, tout simplement en en faisant. Cela a déjà été fait : Raisonnement divins de Paul Erdös (Springer). Mais à un autre niveau, de tous les points de vue.

Henri Lemberg, classes préparatoires (Paris)

12 juin 2008

Mai 68, suite

Blog_zancarini_2 Michelle Zancarini-Fournel, déjà co-directrice avec Philippe Artières de 68. Une histoire collective [1962-1981] (La Découverte, 2008, 847 p., 28 €) a publié au Seuil un ouvrage précieux sur l’événement puisqu’il interroge les récits, les sources et les savoirs de l’événement (Le Moment 68. Une histoire contestée, coll. « L’univers historique », 314 p., 22 €). L'historienne montre ainsi comment Mai 68 se construit après-coup dans la parole, l’image et l’écriture, et pas seulement en France puisqu’elle élargit le spectre de la réflexion en dépassant l’hexagone. M. Zancarini-Fournel conclut sur le « temps de l’Histoire » qui fait passer l’analyse de « mai 68 » aux « années 68 ». Voici un livre très riche, à la fois du point de vue de la documentation mobilisée que dans sa lecture de l’événement et de ses postérités. Un vrai travail de recherche à la base de bien d’autres à venir.

Blog_sirinelli Indifférent aux problématiques développées par Michelle Zancarini-Fournel, le Mai 68. L’événement Janus (Fayard, 331 p., 22 €) d’un autre historien, Jean-François Sirinelli, propose un récit analytique de l’événement, un exposé structuré, parfois inspiré (comme sur le « moment 65 »), souvent descriptif. La langue et l’expression sont travaillées mais tendent surtout à caractériser des évidences comme l’événement « accélérateur de particules historiques » ou bien les temporalités (courte et longue) nécessaires à sa compréhension. Cet ouvrage assez peu documenté (tant du point de vue des sources que de celui de l’historiographie) est aussi un ouvrage personnel dont le mérite est d’exister dans un champ de productions du quarantième anniversaire qui firent la part belle aux témoignages, aux sources et aux travaux collectifs. Il est toujours plus risqué de s’emparer seul d’un « événement Janus ». C’est à l’aune aussi de ces risques qu’il faut juger ce Mai 68. V.D.

11 juin 2008

Le mai-juin des ouvriers

Blog_gobille_2 L’un des acquis de la commémoration du quarantième anniversaire de Mai 68 aura été de déporter l’événement …… vers le mois de juin et ses mouvements ouvriers qui ont suivi les manifestations étudiantes. Le collectif de science politique Mai-juin 68, dirigé par quatre chercheurs de la discipline, Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal (Editions de l’Atelier, 445 p., 27 €) aborde largement cette dimension en soulignant, comme le font B. Pudal et Jean-Noël Retière, « un mouvement social sans lendemain mémoriel ». Il est vrai que le mai-juin des ouvriers, au milieu des sept millions de grévistes et des trois semaines de grèves n’a pas débouché sur des réformes décisives. Les accords de Grenelle conclus par le gouvernement avec les organisations syndicales (26-27 mai) n’auront été que branches par branches et limités dans leur ambition. Le principe de la section syndicale fut adopté, mais pas ceux de la démocratisation des relations au sein de l’entreprise et du progrès des libertés syndicales, deux revendications phares des grévistes.

Blog_vigna Pour comprendre la nature des mouvements sociaux de Mai 68, il faut revenir à la thèse de l’historien Xavier Vigna publiée en 2007, L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines (Presses universitaires de Rennes, 380 p., 22 €). La revendication majeure, mais aussi la moins traduisible dans le langage syndical ou patronal fut la demande de dignité des salariés, dignité face au travail, face à l’encadrement, et dans le regard de la société. Nul doute que cette revendication ne cesse d’être actuelle, à un moment de profonde transformation des conditions de travail, particulièrement pour les bas salaires et les employés dits « flexibles ». Sans portée « mémorielle », cette attente n’en est pas moins collectivement vécue. Aux chercheurs alors de donner les moyens de formuler les expériences sociales et politiques.

Vincent Duclert, EHESS